Apocalypse à la BNF par Jeanne Brun : « Un meta-récit pour penser l’expérience du basculement, du lendemain »

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Tacita Dean (née en 1965) The Book End of Time [Le Livre fin du temps] 2013 Courtesy the artist, Frith Street Gallery, London and Marian Goodman Gallery, New York / Paris Photographie Pinault Collection, Paris

La BNF propose la première exposition sur l’apocalypse, un mythe inscrit dans l’imaginaire collectif qui prend ses racines dans le livre biblique de l’Apocalypse de Jean (Nouveau Testament) et connait de nombreuses résurgences au fil des âges. Associé à une série de catastrophes et de malédictions, ce terme symbolise aussi le renouveau et le monde d’après comme le souligne Jeanne Brun, directrice adjointe du Centre Pompidou et commissaire qui s’est appuyée sur les riches collections de la BNF (exceptionnels manuscrits du Moyen Age) pour construire un parcours réunissant 300 œuvres d’expressions très diverses : cinéma, littérature, BD, art contemporain, pop culture.

Jeanne Brun directrice ajointe du Musée national d’art moderne, Centre Pompidou © Centre Pompidou 2025
Photo © Didier Plowy

Apocalypse de Saint-Victor Ouverture du sixième sceau Normandie, 1er quart du XIIIe siècle

BnF, département des Manuscrit

L’enjeu selon elle est de retourner dans la profondeur de l’histoire pour s’interroger sur la persistance de l’usage de ce mot et son utilité aujourd’hui, sa pertinence, comme elle le résume dans le passionnant podcast de l’exposition. Les artistes ont toujours éprouvé une véritable fascination pour ce phénomène synonyme de menaces, catastrophes, excès, effroi mais aussi sublime, renaissance et espoir. Le « Jour d’après » dans la dernière partie du parcours s’attache à des productions plus contemporaines autour de cette réécriture du monde renforcée par l’urgence climatique et tensions géopolitiques actuelles. De Dürer à Antonin Artaud, de William Blake à Judit Reigl, de Marguerite Duras à Odilon Redon, de Mary Schelley à Twilight zone, ils sont les vigies de ces forces incontrôlables, les voyants (Rimbaud) de notre traversée insomniaque. 

Retable du Jugement dernier [panneau central] École flamande, Pays-Bas du sud, fin du XVe siècle Musée des Arts décoratifs, Paris

La première salle de l’exposition ouvre très justement sur le film Melancholia de Lars Von Trier, cette fin inéluctable et dramaturgie en miroir, ce délitement programmé sous le règne de la planète Saturne. Puis nous pénétrons dans la progression du récit originel de Jean de Patmos : les 7 sceaux, les 7 trompettes, le combat contre le dragon, la chute de Babylone, le jugement dernier jusqu’à l’avènement de la Jérusalem nouvelle. Une succession de visions et de prophéties dont toutes ne sont pas passées à la postérité. Diverses enluminures en provenance notamment du remarquable manuscrit de l’abbaye de Saint Sever, un retable flamand, un fragment de la tapisserie d’Angers accompagnent cette exploration des sources chrétiennes et occidentales du récit fondateur de l’apocalypse, peu à peu effacées par une lecture plus populaire et universelle. Gravures de Dürer, de Goya avec la célèbre série des Désastres de la guerre jusqu’à la sensibilité plus romantique au XIXème face à l’urbanisation et au matérialisme ambiant avec William Blake.

La Chute des damnés de Pieter Claesz Soutman (1580?-1657), d’après Rubens – 1642 – BnF, département des Estampes et de la photographie

Ce « Temps des catastrophes » titre de la 2ème section du parcours se cristallise avec les grandes tragédies du XXème siècle : les guerres, les totalitarismes, les génocides dont la Shoah. Germaine Richier, Otto Dix, Natalia Gontcharova, Jean Lurçat, Vassili Kandinsky, le Douanier Rousseau témoignent de ces tensions et noirceurs. Cinéma de nouveau avec Fritz Lang (Metropolis), Friedrich Murnau (Nosferatu), Abel Gance jusqu’à Francis Ford Coppola, Apocalypse Now ou Chris Marker avec La Jetée, récit d’anticipation sur fond de désastre nucléaire.

Anne Imhof, Sans titre, 2022 Huile sur toile imprimée Pinault Collection, Paris Courtesy of the artist, Sprüth Magers and Galerie Buchholz Photographie Timo Ohler

Le volet final après le saisissement, ouvre sur la révélation d’un ordre nouveau dans un éclairage plus contemporain. Ali Cherri avec le fim the Watchman, soldat solitaire d’une nuit sans trêve, le duo Bromberg et Chanarin et les archives des conflits modernes en regard de la Bible, Miriam Cahn et le champignon nucléaire qui renvoie à l’exposition du Musée d’art moderne ou Kiki Smith et l’Eden retrouvé, Luciano Fabro et le très poétique et fragile Infini en écho à l’arte povera célébré à la Collection Pinault ou encore Angelika Markul avec Bambi à Tchernobyl, un paysage suspendu devenu presque familier. 

Xie Lei (né en 1983) Rescue [Secours] 2022 Huile sur toile Courtesy Semiose, Paris Photographie Aurélien Mole © Adagp, Paris 2025

La question qui se pose en sortant de ce brillant et ambitieux projet est finalement celle de notre relation à l’image, comment témoigner de la violence ? traduire l’indicible ? tout en gardant la distance juste ? Comment résister à l’addiction du spectaculaire, ne pas succomber à la fatalité et rester ces veilleurs, ces guetteurs à l’instar des artistes. 

Une captivante initiation à la fois savante et accessible. A ne pas manquer !

Catalogue, 50 illustrations 49 €

BnF Éditions 

(disponible à la librairie de la BNF)

Infos pratiques :

Apocalypse, hier et demain 

Jusqu’au 8 juin 2025

Tarif 15 €/13 €

Autour de l’exposition, notamment :

Rétrospective Apocalypse et Cinéma

du 12 février au 2 mars 2025

à la Cinémathèque française

https://www.bnf.fr/fr/agenda/apocalypse