Carol Bove ou l’art de la soustraction au MAH Genève 

Exposition La Genevoise, 2025 © Musée d’art et d’histoire de Genève,

photo : S. Altenburger

L’artiste américaine Carol Bove marque une rupture dans la série des carte blanche initiées par Marc-Olivier Wahler au MAH Genève. Après les accumulations savantes et ludiques de Wim Delvoye ou d’Ugo Rondinone, place au vide dans un ce qui ressemble à un white cube spatio-temporel ! Déroutant au premier regard, il convient de se pencher sur les détails, de revenir sur ses pas, de refaire le parcours. Carol Bove accorde une grande importance à l’architecture et scénographie, les estrades notamment tiennent une grande place, comme on le remarque dès la première salle, sorte de matrice qui doit mettre en condition le spectateur.  Un buste de Platon nous fait face et renvoie au mythe de la caverne et des apparences, le tout dans une ambiance très théâtrale où rien n’est laissé au hasard. L’exposition parcourt 15 000 ans d’histoire et ces fragments de timeline sont matérialisés à l’entrée de chaque salle.  A noter l’importance des couleurs et leur interaction qui varient entre les murs et les facsimilés des bancs historiques. En plus d’une réflexion sur l’objet d’art son statut et ses usages, l’artiste suggère une expérience sensorielle même si cela manque un peu de lisibilité à mon sens.

Elisabeth-Louise Vigée-Lebrun (1755-1842) Portrait de Germaine de Staël en Corinne au Cap Misène, 1809-1809 Huile sur toile; 140 x 118 cm © Musée d’art et d’histoire de Genève, photo : B. Jacot-Descombes

Quant au titre « La Genevoise », il reste mystérieux. Qui est-elle ? L’artiste, née dans cette ville avant de partir aux Etats-Unis ? ou bien Mme de Stael, contrainte à l’exil sur les bords du Lac Léman et représentée par la célèbre Elisabeth Vigée-Lebrun en héroïne de son roman, la poétesse Corinne ? Ce tableau, l’un des chefs d’œuvre du musée est présenté à la fin du parcours aux côtés d’un élément biographique de l’artiste lié à son poids de naissance matérialisé par un instrument de mesure rappelant l’expertise de Genève dans ce domaine et à une ancienne porte de cellule de prison (celle de Saint Antoine aujourd’hui disparue) ornée de graffitis qui devient une œuvre elle-même, détachée de son contexte premier. 

Il est en est de même pour la statue du Port retrouvée au milieu de pilotis à l’occasion de la démolition de l’ancien Grenier à blé, qui placée sur une colonne, lui donne les caractéristiques du caractère aristocratique du peuple allobroge. Monumentale, en bois partiellement calciné, elle pourrait figurer dans une installation contemporaine.

Marc Camoletti (1857-1940) Canapé à quatre assises, env. 1910 Hêtre ; 94,5 x 200 x 45 cm inv. AA 2021-0079 © Musée d’art et d’histoire de Genève,

photo : F. Bevilacqua

Le passé lacustre de Genève a particulièrement intéressé l’artiste qui s’est penché sur ce mythe dans ce qu’elle considère des « espaces de recherche » autour de livres et d’archives, les artistes du XIXème ayant été très inspirés par ces vestiges. Petite dose d’humour avec le duo suisse Fischli & Weiss que Wim Delvoye avait aussi convoqué. 

Autre incursion dans ce qui fait l’identité de Genève avec les dessins de la fameuse chambre à bulle Gargamelle du CERN (Conseil Européen pour la Recherche nucléaire) qui marque un tournant décisif dans le domaine de la physique des particules. Nous sommes de nouveau aux confins de l’invisible. 

Un moment clé du parcours se joue autour du travail de la céramiste Quitterie Ithurbide avec les équipes de médiation à l’attention du public malvoyant avec ces translations d’œuvres tactiles, notamment les peintures d’Hodler dont le mobilier de l’appartement signé du chef de fil de la Sécession viennoise, Josef Hoffman, est placé en résonance. Par ailleurs, Carol Bove rompt le caractère violent et austère de la salle des armures, avec des esquisses qui symbolisent la genèse du geste et de la pensée d’un artiste. 

Exposition La Genevoise, 2025 © Musée d’art et d’histoire de Genève,

photo : S. Altenburger

Assez curieusement le parcours de termine dans l’entrée du musée avec une sculpture de voiture de couleur rose, rutilante mais cabossée, écrasée, de l’artiste suisse Sylvie Fleury qui nous a habitué à ses artefacts du glamour et du luxe dévoyés (sacs, flacons de parfum, maquillage, tallons aiguilles..). Symbole d’une mythologie collective viriliste, la voiture comme fantasme devient toile de fond et espace de projection. Une note pleine d’humour après cette traversée qui reste assez conceptuelle. Un support de compréhension est suggéré à travers les podcasts proposés au fil du parcours autour des choix des conservateurs. De plus, un travail de médiation devrait permettre au public de rentrer dans ces multiples facettes, répliques et technologies…le MAH n’a pas finit de nous surprendre !

A ne pas manquer lors de votre venue au musée Rath « L’image revenante » en étroite collaboration avec la Fondation Caixa, Madrid.

Vue de l’exposition L’image revenante, MAH Genève 2025 photo: F. Bevilacqua avec l’oeuvre de Pavel Büchler (1952) Studio Schwitters, 2010 et Dora Garcia, Golden Bag, courtesy the artists

L’image revenante explore les différentes manières dont les artistes questionnent le passé (Mike Kelley, Vanessa Beecroft, Cindy Sherman) : comment ils intègrent, revisitent l’histoire de l’art ou au contraire font table rase ? Puis l’exposition s’organise autour de trois axes thématiques : La survie de l’image, la dissolution de l’image (Julian Schnabel, Dora García) et le degré zéro de l’image, avec Marcel Duchamp (Sherrie Levine, Rachel Harrison). Le parcours est cohérent et les oeuvres tissent des affinités subtiles.

A venir au MAH en 2025 :

Jean Tinguely : à l’occasion du centenaire de l’artiste, le MAH présente une trentaine de sculptures mécaniques et une sélection d’œuvres sur papier. 

El Lissitzky et l’avant-garde russe :

A partir de son fonds exceptionnel d’art graphique de l’avant-garde russe, le MAH met en dialogue El Lissitzky avec Olga Rozanova et d’autres représentants majeurs.

L’architecture à Genève dans les années 1930 et la place de Casanova (300ème anniversaire) complètent ce panorama très stimulant.

Découvrir l’odeur du MAH : démarche du musée multifréquence; telle que conçue par Marc-Olivier Wahler

Inspirée des paysages genevois qui ornent ses salles, la fragrance du MAH capture l’essence de Genève : l’air vif de la bise, les mystères du lac et les floraisons printanières.
Ce parfum signature invite Genève à s’installer dans le musée, tandis que le MAH s’évapore joyeusement au-delà de ses murs, flirtant avec les paysages qui l’entourent.
Un parfum singulier avec une tension entre le froid et le chaud, le métallique et le floral.

Relire l’interview de Marc-Olivier Wahler : lien

Infos pratiques :

La Genevoise

Carte blanche Carol Bove 

Jusqu’au 22 juin 2025

Réservations et tarifs: Billet d’entrée à prix libre « Paie ce qu’il te plaît »

MAH, Genève

https://www.mahmah.ch/expositions/la-genevoise

Agenda des évènements arty avec GENEVA ART WEEK :

https://genevaartweek.com/