Laia Abril « Feelings » de la série On Mass Hysteria 2023, Courtesy the artist, Galerie Les Filles du Calvaire, Paris
Incontournable de ce début d’année, le dernier volet de l’ambitieux projet « On Mass Hysteria : Une histoire de la misogynie » de l’artiste-chercheuse catalane Laia Abril, après Photo Elysée Lausanne et The Finnish Museum of Photography, Helsinki, arrive au BAL, Paris, et c’est un évènement. A partir d’un phénomène qui traverse l’histoire, qualifié souvent « d’hystérie collective », et largement interprété comme la manifestation de pathologies mentales, mais qui, selon Abril, révèle plutôt de mécanismes d’emprise sociale et politique à l’encontre des femmes, cette exposition interroge la manière dont des dynamiques de genre ont été instrumentalisées et psychologiquement pathologisées. Dans une perspective intersectionnelle et transdisciplinaire, Laia Abril mêle photographie, vidéo, archives, et récits documentaires pour explorer les racines et les manifestations de la misogynie dans l’histoire et le temps présent. Le parcours se construit autour de chacune des études de cas « d’hystérie collective » autour des témoignages, vécus, symptômes mais aussi réactions de la presse et des autorités. La représentation de l’hystérie dans les médias et la culture populaire est un axe important, montrant comment des films, des livres, et des images contribuent à la construction de ces récits biaisés.
L’artiste fait appel aussi bien à la médecine, la psychologie, l’anthropologie, la sociologie soulignant les interprétations souvent simplistes et condescendantes, misogynes, racistes et colonialistes.
Laia Abril, « Teen’s Pain », de la série On Mass Hysteria 2023, Courtesy the artist, Galerie Les Filles du Calvaire, Paris
Le concept d’hystérie collective, souvent associé aux femmes, est un fil conducteur de son travail. Dans la patrie de Charcot, comme le souligne Diane Dufour, directrice du BAL, cela a une portée bien particulière. L’on se souvient du livre remarquable « Le Bal des folles » de Victoria Mas autour de l’évènement mondain que représentait cette soirée sordide à la Salpêtrière où le Tout Paris de la Belle Époque se pressait pour voir ces femmes se livrer à un spectacle costumé. L’artiste explore comment la médecine occidentale cherche à mettre en avant les facteurs biologiques pour expliquer des comportements jugés déviants, plutôt que de prendre en compte des injustices structurelles et dynamiques de pouvoir sous-jacentes.
Laia Abril « WE WANT BLOOD”, Mind Series, On Mass Hysteria 2023 Courtesy the artist, Galerie Les filles du calvaire, Paris
De plus, la mise en perspective transhistorique de ce phénomène montre qu’il n’est pas cantonné à un seul contexte culturel. Les manifestations de l’hystérie sont analysées sous différents angles géographiques et historiques, soulignant une continuité dans la manière dont les sociétés ont tenté de contrôler les femmes et ce depuis le Moyen-Âge, des procès de sorcellerie en Europe et aux Etats-Unis jusqu’au traitement psychiatrique des femmes au 19e siècle et au début du 20e siècle dans les grands hôpitaux parisiens.
Les trois études de cas contemporains présentés dans l’exposition concernent d’une part un pensionnat catholique mexicain en 2007, une usine de fast fashion au Cambodge entre 2012 et 2014 et un lycée américain en 2012 : des victimes aux symptômes différents pour arriver aux mêmes discours infantilisants.
Laia Abril « Identity Thief », de la série On Mass Hysteria 2023 Courtesy the artist, Galerie Les Filles du Calvaire
Au premier étage du BAL (le sens de la visite commence par le sous-sol), Laia Abril pose un changement de perspective à partir d’une théorie anthropologique qui a révolutionné son regard, celle d’Aihwa Ong qui associe ces crises psychosomatiques comme une forme de résistance des femmes face au contrôle exercé par les hommes. Une approche non occidentale autour de croyances animistes sur la nature multiforme de la souffrance, tant physique, émotionnelle que spirituelle, trop souvent négligée.
Pour conclure, cette histoire de l’hystérie et de l’institutionnalisation de la misogynie rejoint une histoire transnationale des violences psychologiques, sociales et politiques faites aux femmes dans des contextes variés (Europe, Amérique, Asie..) au sein d’une même société patriarcale régie par le contrôle systémique des corps.
L’artiste remet en question les discours sur la santé mentale des femmes et examine la manière dont l’hystérie a été utilisée pour contrôler et exclure, plutôt que comprendre et guérir. Elle interroge également la question du consentement, de la culpabilité et de la victimisation.
Elle ouvre la voie vers une possible émancipation et déconstruction de l’hystérie.
Publication, Delpire & co/Dewi Lewis
Le livre qui accompagne l’exposition aux éditions Delpire*, de même que le programme de conférences et de rencontres initié par LE BAL à cette occasion font plus que jamais de ce lieu un formidable outil de questionnement des images et d’éduction du regard !
*On Mass Hysteria – Une histoire de la misogynie
Édition : delpire & co
384 pages
Format : 19 × 27 cm
Prix de vente : 55 € – disponible à la librairie du BAL
Laia Abril est représentée par la galerie Les Filles du Calvaire, Paris.
Infos pratiques :
Laia Abril
« On Mass Hysteria : Une histoire de la misogynie »
Jusqu’au 18 mai 2025
LE BAL
6 impasse de la Défense, 75018 Paris
Ouvert le mercredi de 12h à 20h et du jeudi au dimanche de 12h à 19h
Fermé le lundi et le mardi
Programmation associée :
Prochain rendez-vous le 18 janvier, conversation Diane Dufour & Laia Abril