Centre Pompidou Metz : « Après la fin. Cartes pour un autre avenir » Interview Manuel Borja-Villel, curateur

Ahlam Shibli, Occupation no. 32, 2016-2017 Impression jet d’encre sur papier satiné, 60 × 40 cm Collection de l’artiste © Ahlam Shibli

La nouvelle exposition du Centre Pompidou Metz « Après la fin. Cartes pour un autre avenir » sous le commissariat de Manuel Borja-Villel autour de 40 artistes internationaux, nous invite à écrire de nouveaux récits à rebours d’une conception linéaire occidentale et à partir de territoires (les Caraïbes et la Méditerranée) et de groupes reliés les uns aux autres. Les notions de temps en spirale entre passé et futur, de mémoire, de frontière, de genre et de représentation et de modernités autres, irriguent cette constellation de gestes et de savoirs partagés. Manuel Borja-Villel, qui a notamment dirigé le Museo Reina Sofía de Madrid et le MACBA de Barcelone, nous décrypte ces multiples niveaux de signification et d’interprétation diasporiques et décoloniales. 

Portrait de Manuel Borja-Villel. Tous droits réservés

Marie de la Fresnaye. Quelle est votre définition de la « modernité eurocentrée » ?

Manuel Borja-Villel. Une forme de pensée qui aspire à être universelle et qui se base sur l’abstraction et la dé-territorialisation. 

MdF. Quelle a été votre méthodologie dans le choix des artistes ? 

MBV. Les expositions classées par thèmes ou catégories ne m’intéressent pas, pas plus que le « n’importe quoi ». Une exposition est comme un canevas dans lequel différentes histoires se croisent et s’entrecroisent. Un fil mène à un autre.

J’ai voulu analyser comment la colonisation est un système global, dans lequel l’eau et la terre, la mer et le désert, l’Atlantique et la Méditerranée sont interconnectés dans un jeu complexe qui a commencé il y a un peu plus de cinq siècles. L’exposition comprend d’ailleurs trois « enconchados » (productions préhispaniques hybrides et métissées à l’iconographie européenne) peints par Juan et Miguel González au XVIIe siècle. Le colonialisme est un système fondé, comme nous le savons, sur le racisme et la violence structurelle. L’art a joué un rôle important dans ce système, en tant qu’agent colonisateur qui a contribué à imposer certaines cultures à d’autres.  Mais ce même art est capable d’ouvrir des fissures, de récupérer des voix réduites au silence, de configurer des espaces de résistance et, ce faisant, d’imaginer la possibilité d’autres mondes.

Nous passons ainsi du travail et de la collaboration avec des artistes amazighs (comme le collectif Tizintizwa (Soumeya Alt Ahmed et Nadir Bouhmouch) ou M’barek Bouhchichi) à la relation au territoire d’auteurs des Caraïbes (comme Wifredo Lam ou Frank Walter). Ou encore des images du détroit entre le Maroc et l’Espagne d’Yto Barrada aux espaces « gardés » de la Cisjordanie photographiés par Ahlam Shibli. 

Aline Motta, A água e uma máquina do tempo #3 [L’eau est une machine à remonter le temps #3], 2023 Installation video. Collection de l’artiste

MdF. Est-ce que le leitmotiv de la dernière Biennale de Venise «Stranieri Ovunque, Etrangers partout » vous a inspiré ? 

MBV. Je suis très critique à l’égard de la dernière édition de la Biennale de Venise. J’ai écrit un article à ce sujet dans le numéro de septembre d’Artforum. Mes références, mes « sources d’inspiration » ont été, entre autres, le travail intellectuel et militant d’auteurs tels que Gloria Anzaldúa, Leda María Martins ou Edouard Glissant. Quoi qu’il en soit, les œuvres d’art ne sont jamais l’illustration de théories. Au contraire, elles nous interpellent et nous questionnent en permanence. C’est là toute la beauté d’une exposition.

Ellen Gallagher, Morphia, 2008
Encre, crayon et aquarelle sur papier, 51,5 x 42,5 cm
Collection Hilde & Rudy Koch-Ockier
Londres, Hauser & Wirth
 

MdF. Quelle est la répartition entre les artistes contemporains et modernes ? 

MBV. L’exposition se situe dans le présent et par consequent le nombre d’artistes contemporains est important. Un certain nombre d’œuvres ont été produites spécifiquement pour l’exposition (Philip Riszk, Tizintizwa, Alejandra Riera et Olivier Marboeuf, par exemple). Mais l’histoire n’est pas une succession de moments étanches, séparés les uns des autres. Le présent, le passé et le futur s’entremêlent sur la base de continuités et, bien sûr, de ruptures. C’est pourquoi il y a aussi un nombre important d’auteurs modernes, comme Rubem Valentim, Wifredo Lam, Maya Deren ou Katherine Durham.

MdF. Comment le catalogue accompagne-t-il et prolonge-t-il l’exposition ? 

MBV. Cette question est très pertinente. Le livre accompagne l’exposition. Comme le ferait un guide, qui sert à nous orienter à travers les rapprochements et associations proposés par l’exposition. Cela dit, nous sommes conscients que le livre a aussi une vie propre, qui se poursuivra après la fin de l’exposition. C’est pourquoi la séquence des auteurs et des œuvres n’est ni alphabétique ni chronologique, mais s’établit par relations et affinités. De même, compte tenu de la nature de l’exposition, le catalogue ne commence pas par un texte curatorial mais par un dialogue. Plutôt que des conclusions, l’intention est que le livre soit une ouverture.

Liste des artistes :

Laeila Adjovi

Amina Agueznay

Basma al-Sharif

Mounira Al Solh

Victor Anicet

Belkis Ayón

Ariella Azoulay

Yto Barrada

Baya

M’barek Bouhchichi

Ahmed Cherkaoui

Aimé Césaire

Myrlande Constant

Maya Deren

Katherine Dunham

Abdessamad El Montassir

Ellen Gallagher

GIAP

Édouard Glissant

Juan et Miguel González

Kapwani Kiwanga

Wilfredo Lam

Georges Liautaud

Donald Locke

Sarah Maldoror

Marie-Claire Messouma Manlanbien

Olivier Marboeuf

Aline Motta

Bouchra Ouizguen

Rosana Paulino

Alejandra Riera

Philip Rizk r

Ahlam Shibli, Tizintizwa (Soumeya Ait Ahmed et Nadir Bouhmouch)

Rubem Valentim

Frank Walter

Frantz Zéphirin

Catalogue, éditions du Centre Pompidou Metz, 224 pages, 39 euros 

Infos pratiques : 

« Après la fin. Cartes pour un autre avenir » 

Du 25 janvier au 1er septembre 2025

Programmation associée 

Centre Pompidou Metz

Tous les jours, sauf le mardi et le 1er mai

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