Vue de l’exposition collective «Correspondances.Lire Angela Davis, Audre Lorde,Toni Morrison». Photo: Marc Domage/Crédac, 2024
Réunir les archives de 3 autrices emblématiques américaines : Angela Davis, Audre Lorde et Toni Morrison autour de leurs correspondances et affinités littéraires, amicales et politiques selon un engagement pédagogique collectif partagé par ces figures émancipatrices, en donnant à voir des travaux de collégiens et d’artistes contemporains influencés par ces enjeux, tel est l’objectif du projet et de l’exposition de Claire Le restif, directrice du Crédac et d’Elvan Zabunyan, historienne de l’art contemporain, critique d’art et professeure à l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne . Alors que le livre d’Elvan « Réunir les bouts du monde. Art, histoire, esclavage en mémoire », parait aux éditions B42 dans la collection Culture, l’exposition au format inédit est la concrétisation de 10 ans de recherches, d’un voyage aux Etats-Unis pour consutler les archives sur les traces de ces correspondances et de leur résonance auprès d’un certain nombre d’artistes ayant un lien avec le Crédac, tels que Kapwani Kiwanga, Mathieu Kleyebe Abonnenc, Paul Maheke…Déterminismes, racisme, homophobie et précarités traversent ces voix, des questions plus que jamais d’actualité en ces temps de crispation et de trouble. Une play list couvrant les années 1924 à 2024, est proposée par Julia Leclerc, médiatrice au Crédac impliquée dans le projet pédagogique de l’exposition, dans le salon de lecture qui clôt le parcours. Claire Le Restif revient sur la genèse de ce projet de co-création qui place le Crédac résolument en phase avec un engagement émancipateur au cœur de la cité.
La genèse et contexte de ce projet inédit
La genèse remonte à une invitation formulée à Elvan Zabunyan en 2013 autour d’un cycle de conférence à la médiathèque d’Ivry-sur-Seine sur les liens entre la mémoire de l’esclavage et l’art contemporain. Je partage avec Elvan des liens et des intérêts communs esthétiques, artistiques et amicaux depuis 30 ans mais ce cycle a permis de poser des jalons y compris avec le lieu et son équipe. Il y a 2 ans nous avons donné carte blanche à Elvan dans le contexte de l’exposition de Mahtieu Kleyebe Abonnenc à s’emparer de l’exposition le temps d’un après-midi de lecture. Elle avait choisi de lire des extraits du livre «Les damnés de la terre» de Frantz Fanon afin de proposer une réflexion en dialogue avec les œuvres présentées. Mathieu est le directeur dela collection Culture chez B42. Ce livre est le fruit de 10 ans de recherche à partir de différentes invitations qui lui ont été faites dans des contextes européens et notre invitation à Ivry.
Lors d’une discussion ici il y a 2 ans, Elvan me confiait son inquiétude face à l’état du système éducatif français autour de la question des déterminismes sociaux. Etant elle-même professeure,
elle s’inquiétait des discriminations en hausse. L’on s’aperçoit notamment que les collégiens post confinement ont beaucoup souffert. Connaissant le projet éducatif et pédagogique du Crédac lié à des questions de transmission et d’émancipation, elle m’avait formulé son souhait d’aller lire des textes d’Angela Davis, Andrey Lorde et Toni Morrison dans les collèges et de partager avec ces adolescents la pensée et l’action des trois autrices et militantes. J’ai tout de suite accepté l’idée. Ce qui m’intéressait au-delà de la notion de transmission qui accompagne nos expositions, était que l’exposition s’inscrivait directement dans un projet éducatif. Nous avons permis à Elvan avec l’aide du Festival d’Automne qui est notre partenaire, de partir mener des recherches aux Etats- Unis en janvier 2024 dans les archives d’Audre Lorde et Angela Davis. Elle a par ailleurs pu consulter celles de Toni Morrison à distanceA partir de ces recherches, elle a commencé, à son retour, une série de lectures et d’ateliers dans les collèges d’Ivry et Vitry, accompagnée par Julia Leclerc médiatrice au Crédac. Mon rôle de co-commissaire a été de choisir ensemble des artistes et des œuvres qui pouvaient être en «correspondance» avec la pensée des 3 autrices et le travail des collégiens collégiennes. Réfléchir ensemble également à la scénographie et la mise en partage des archives qu’Elvan a sélectionné pour le public pour trouver ensemble, l’articulation entre les archives, les productions des élèves et les œuvres d’art en résonance.
Vue de l’exposition collective «Correspondances. Lire Angela Davis, Audre Lorde, Toni Morrison ». Photo: Marc Domage/Crédac, 2024
La place des archives dans le parcours
Elles sont exposées sous forme de diaporamas dès la première salle, comme littéralement le cœur de l’exposition. Un certain nombre de courriers entre ces trois autrices et des féministes intersectionnelles et afro-américaines. Mais aussi d’ordre privé avec leur mère, sœur, amantes. Tout un maillage qui témoigne d’un contexte culturel et politique unique des années 1960 à 1990-2000. Cartes postales, cartes de vœux, timbres sont un témoignage précieux. En plus des diaporamas sur 3 écrans, les archives sont imprimées pour que chacun puisse prendre le temps de les consulter et les traduire grâce aux applications des téléphones portables tout étant en anglais-américain.
Le parcours : les partis pris
Construit contre les hiérarchies, il propose dans chaque salle les travaux des collégiens et les œuvres d’artistes avec lesquels nous étions déjà en dialogue que ce soit le Crédac ou Elvan, sur cette idée de correspondances et d’amitié, de réseaux de solidarité et de lutte.
Le choix des artistes
Il y a notamment Kapwani Kiwanga qui a eu un solo ici en 2021 et sur le travail de laquelle Elvan a écrit. Paul Maheke faisait partie de l’exposition « La Vie des Tables ». Egalement une jeune artiste de Chicago inconnue en Europe, Krista Franklin enseignante. L’artiste Pope. L dont nous tenions beaucoup à la présence qui est décédé pendant le processus de l’exposition. De même pour l’artiste féministe Faith Ringgold sur laquelle Elvan est la première à avoir écrit en France et qui a été exposée au Musée Picasso Paris en 2023.
Il convient de souligner à quel point Evan est pionnière sur l’écriture de la mémoire de l’esclavage à travers les œuvres des artistes. Elle dit «les œuvres d’art comblent des silences». Comment les artistes ont crée des traces et comment ils ont tenté et tentent encore de faire mémoire. On retrouve Mathieu kleyebe Abonnenc en dialogue avec Annouchka de Andrade qui est la fille de Sarah Maldoror. Il y a ainsi une présence dans l’exposition de Sarah Maldoror avec également une soirée au cinéma Le Luxy d’Ivry le 6 décembre autour de 3 films inédits et restaurés en avant-première de la rétrospective qu’aura la réalisatrice au Centre Pompidou en avril 2025 et au MoMa en septembre.
Un réseau d’amitié qui nous permet de mener une exposition de cette nature et de nous adresser aux artistes en spécifiant qu’il s’agit d’abord d’un projet de recherche impliquant un dialogue entre leurs œuvres et des travaux de collégiens et les archives. Il fallait une certaine connivence, confiance de leur part et une adhésion y compris de la part des artistes que nous ne connaissions pas.
Vue de l’exposition collective «Correspondances. Lire Angela Davis, Audre Lorde, Toni Morrison ». Photo: Marc Domage/Crédac, 2024
La réception de ces combats
Si je prends le recul quand Elvan écrit le livre « Black is a color » c’est le premier livre en français lié à toutes ces questions. Il a été fondamental pour toute une génération d’artistes. Pour ma part je pense que ces questions ne sont pas encore assez abordées à l’heure où les extremismes de droite envahissent la pensée et les esprits, il est plus qu’urgent de mettre en partage l’histoire et l’art auprès des jeunes générations notamment.
Ce n’est pas un objet politique même si nous sommes dans une ville communiste où Angela Davis est encore aujourd’hui une référence.Je pense que la part historique de l’exposition permet cette distance et objectivation des choses. J’espère juste que tout le monde va pouvoir continuer à avoir la parole sur ces sujets car nous avons beaucoup de retard. Un grand travail historique est encore à faire.
Nous avions à cœur de poser les choses sur une base historique tout en rendant hommage à ces 3 autrices et en les faisant connaitre à des jeunes gens qui se sont montrés très à l’écoute et concernés.
Vue de l’exposition collective «Correspondances. Lire Angela Davis, Audre Lorde, Toni Morrison ». Photo: Marc Domage/Crédac, 2024
La sortie du livre « Réunir les bouts du monde. Art, histoire, esclavage en mémoire »
Nous avions décidé de le soutenir avant l’exposition et par une concordance de calendrier, nous avons la chance qu’il sorte maintenant. Cela implique beaucoup de travail à Elvan qui répond à beaucoup d’interviews (France Culture, Mediapart) et la semaine prochaine à la radio chez Marie Richeux avec deux collégiennes impliquées, Elvan et un professeur. C’est tout l’enjeu et le meilleur feedback possible au projet.
https://editions-b42.com/categorie-produit/auteurs/zabunyan
Si l’on fait un bilan de l’année 2024, qu’est-ce qui ressort ?
Nous avons commencé l’année avec l’artiste Louidgi Beltrame, artiste qui n’avait pas eu de solo show depuis longtemps. Ensuite nous avons eu l’exposition « L’amitié ce tremble » à partir du temple de l’amitié de Nathalie Clifford Barney à la fois dans le Crac Alsace et au Crédac, puis en parallèle le projet de Julia Borderie dans le contexte des Olympiades culturelles.
Nous avons tenu à saisir cette occasion qui a donné lieu à un film inédit, des sculptures, une performance et un match dans Ivry avec un travail auprès des collégiens. Nous avons proposé le projet au MAC VAL pour qu’il soit accessible plus longtemps, tout l’été. Cela a été notre première collaboration artistique avec le MAC VAL et un vrai temps fort. C’est
Une année très riche donc avec des sujets qui se relient entre eux et beaucoup d’évènements en extérieur, le Crédac ayant bénéficié de moyens supplémentaires notamment du Ministère de la Culture et de la Métropole du Grand Paris.
Quels projets pour 2025 ?
Nous aurons un solo show de l’artiste Roy Köhnke, l’un des membres fondateurs des Ateliers Wonder dont je suis le travail depuis presque 10 ans. Au printemps j’organise une exposition comme commissaire intitulée « Une nature moderne » à partir de la pensée et de l’exposition de Derek Jarman qui s’ouvrira sur la question des gestes positifs et optimistes de résilience concernant la nature. A l’automne 2025 nous aurions une exposition de June Crespo, sculptrice basque dont on avait vu certaines œuvres au Jeu de Paume dans le cadre de Fata Morgana.
Artistes : Artistes : Annouchka de Andrade et Mathieu Kleyebe Abonnenc, Joan E. Biren, Krista Franklin, Jean Genet, Kapwani Kiwanga, Jill Krementz, Paul Maheke, Sarah Maldoror, Pope.L, Faith Ringgold, Céline Sciamma, Paula Valero Comín.
Infos pratiques :
Correspondances. Lire Angela Davis, Audre Lorde, Toni Morrison
CENTRE D’ART CONTEMPORAIN
D’IVRY — LE CRÉDAC
La Manufacture des Œillets
1, place Pierre Gosnat 94200 Ivry-sur-Seine
Jusqu’au 15 décembre
Crédac Radio : Apple Podcasts & Spotify
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