Jérémy Griffaud, Sous le ciel, 2024, dessin préparatoire, aquarelle sur papier, 30 x 40 cm envrion Courtesy de l’artiste © Adagp, Paris, 2024
« C’est ce maillage local qui confère aux Alpes-Maritimes leur dynamisme et s’inscrit dans la filiation de la modernité artistique sur la Côte d’Azur » Anne Dopffer
Directrice de trois musées nationaux à l’identité bien différente autour de créateurs emblématique du XXème siècle : Marc Chagall à Nice, Fernand Léger à Biot et Picasso à Vallauris, Anne Dopffer conçoit le musée comme un espace de paix, d’éveil et de questionnement au sein de la vie de la cité. Elle est animée d’une même exigence pour ces trois lieux avec une place résolument faite à la création contemporaine. Soutenant le festival OVNi dès le départ dans une démarche qu’elle juge essentielle de maillage du territoire, je la rencontre à l’occasion du projet de l’artiste Jérémy Griffaud pour le musée Marc Chagall : « Sous le ciel » qui mêle dessins, aquarelles et art vidéo dans une relecture de l’univers foisonnant de Chagall. Un nouvel éclairage qui fait sens. L’artiste présentera une version VR de l’exposition dans le cadre du volet Parcours Hôtels de cette 10ème édition d’OVNi au WindsoR (Nice). Anne Dopffer a répondu à mes questions.
Anne Dopffer, Conservatrice générale du patrimoine, directrice des musées nationaux du XXe siècle des Alpes-Maritimes
Marie de la Fresnaye. Conservatrice générale du patrimoine, directrice des musées nationaux du XXe siècle des Alpes-Maritimes : comment s’organise votre mission au quotidien entre ces 3 lieux remarquables et à l’identité singulière ?
Anne Dopffer. Il s’agit en effet de l’un des grands défis de ce poste passionnant d’arriver à faire vivre trois établissements très différents ; l’un consacré à Marc Chagall à Nice, l’autre à Fernand Léger à Biot et à Picasso à la Chapelle de Vallauris. Je me suis fixée comme ligne directrice d’avoir le même niveau d’exigence pour les trois lieux et de favoriser leur développement de manière équitable, tout en respectant l’identité très singulière de chacun de ces lieux et artistes. Il y a véritablement un esprit des lieux qu’il s’agit de respecter mais en même temps de faire évoluer et tout ce travail s’appuie sur la collection. C’est à partir de ce noyau dur que l’on fait grandir la connaissance de l’artiste. La vie de ces musées est rythmée par de nombreux évènements : des expositions mais aussi des manifestations culturelles, des partenariats que l’on construit. C’est donc un travail qui fonctionne en réalité selon différents calendriers, nos métiers relevant aussi de l’évènementiel. Nous devons respecter des deadlines que ce soit l’inauguration d’expositions et aussi en amont d’autres dates butoir en ce qui concerne les catalogues, les demandes de prêts…Cette vie des musées tourne autour de l’actualité et l’urgence de certains dossiers. Cela implique une grande mobilité sur te territoire entre les trois musées, mon bureau étant basé à Nice.
MdF. Quelle serait votre définition du musée ?
AD. Les définitions du musée sont multiples, ce qui en illustre la richesse. Si l’on se réfère à la loi et il est toujours intéressant de se poser la question des cadres, les missions principales d’un musée sont d’enrichir les collections, de les conserver, de les étudier et de les diffuser. Cette dernière partie concerne directement le public qu’elle soit sous la forme d’une exposition, d’un catalogue, d’une médiation. Cette première définition est déjà très large. Pour ma part, je considère que le musée doit s’appuyer sur les collections et il est particulièrement intéressant de faire vivre une collection, de partager les chefs d’œuvre et les comprendre comme les reliques d’un passé qui a disparu. Il est important d’apporter un éclairage qui peut être historique mais pas exclusivement sur ces fragments du passé pour essayer de les faire raisonner ensemble et donner au public une idée du contexte, du sens de l’œuvre au moment de sa création même si elle a acquis entre temps un autre sens qui peut être tout aussi puissant. Selon moi le musée est un lieu très important dans la vie de la cité ; un havre de paix, de sérénité, un lieu à la fois de délectation, de joie, de partage. C’est ce qui me motive le plus. Le musée a un rôle social fondamental à jouer qui, au-delà de la délectation individuelle, ouvre sur un questionnement intellectuel. C’est aussi un lieu de partage c’est pourquoi j’invite toujours les gens à fréquenter les musées et à toute heure, du jour comme de la nuit autour de certains évènements pour venir y trouver des valeurs de spiritualité, d’élévation, de recherche de transcendance. Dans nos sociétés il y a finalement peu de lieux qui offrent cela.
MdF. Vous favorisez la place de la création émergente au sein de chacun des musées : comment cela se traduit-il ?
AD. Soutenir la création fait partie des missions de service public que nous devons assumer et les trois musées le font depuis presque 25 ans maintenant, à travers des propositions variées et un vrai dynamisme. Pour ma part je tiens à ce que la création contemporaine soit présente mais associée à nos artistes. Dans le cadre de ces musées monographiques consacrés à trois monstres sacrés du XXème siècle : Chagall, Léger et Picasso, inviter des artistes c’est se poser des questions sur les liens ou les fractures entre les générations. C’est pourquoi toutes les invitations que nous engageons s’inscrivent en lien étroit avec nos artistes, certaines de leur thématiques, certains échos formels ou plastiques. Ce qui nous intéresse est de chercher de nouveaux éclairages à la fois sur nos artistes décédés et des singularités d’artistes contemporains. L’histoire de l’art est faite de liens, de rebonds entre générations d’artistes, d’où ce travail que nous poursuivons. Dans certains cas il m’est arrivé de voir des œuvres de jeunes artistes qui se trouvaient modifiées par leur travail autour de nos collections et artistes. Lorsque l’on constate que cette rencontre permet aux jeunes artistes de franchir un pas, d’aller plus loin, c’est une grande récompense.
MdF. Parmi les synergies développées sur le territoire vous entretenez un lien actif avec le festival OVNi avec notamment le projet de Jeremy Griffaud pour le musée Chagall : qu’est-ce qui vous a séduit dans cette proposition et en quoi son univers rejoint-il la pensée de Chagall ?
AD. Je suis très attachée aux projets avec le territoire, au travail en réseau car au-delà des projets internationaux que l’on peut mener les uns et les autres, c’est ce travail de maillage local qui confère aux Alpes-Maritimes leur dynamisme et qui s’inscrit dans la filiation avec ce qui s’est passé du point de vue de la modernité artistique sur la Côte d’Azur au XXème siècle. Le festival OVNi est à mon sens une manifestation très intéressante à partir d’une initiative privée qui prend une forme assez originale avec cette idée d’investir un hôtel autour d’un champ artistique, qui, il y a 10 ans, restait assez mal connu du public. J’ai souhaité nous y associer dès le départ. Nous avons réalisé un certain nombre de manifestations à cette occasion comme l’invitation aux artistes libanais Joana Hadjithomas et Khalil Joreige en 2018 à la Chapelle Picasso, l’artiste britannique Elizabeth Price en 2022 et le français Pierrick Sorin en 2023 au musée Fernand Léger. Cette année nous avons invité Jérémy Griffaud ce qui faisait sens, son œuvre étant d’abord picturale. Il commence par du dessin à l’aquarelle et sa manière d’aborder le dessin dans sa liberté, sa qualité onirique et la place accordée à la couleur me parait intéressante à mettre en regard avec l’œuvre de Chagall. Jérémy va plus loin car il scanne ensuite ses dessins, les anime et bascule ainsi du côté de la narration le temps de la durée d’un film. Il s’agit d’une narration complexe comme l’est celle de Chagall qui présente toujours des images très foisonnantes et interprète le monde selon une vision très personnelle. Le monde qu’a créé Jérémy à partir de quatre tableaux de Chagall est très riche et ancré dans le contemporain. Les enjeux de la nature chez Jérémy concernent la biodiversité alors que pour Chagall il s’agissait d’une représentation idéalisée d’un monde de paix et d’harmonie entre les hommes et la nature. Une utopie en quelque sorte. En ce qui concerne le public, si l’on arriver à emmener quelqu’un qui est venu voir Chagall à un voyage dans la création contemporaine, on a gagné le pari du partage et le pari de la curiosité.
Jérémy Griffaud, Sous le ciel, 2024, film d’animation. Installation vidéo sonore, durée : 15 min. Capture d’écran : Courtesy de l’artiste © Adagp, Paris, 2024.
Quels projets vous animent ?
Il y a bien sûr des projets d’expositions, des invitations que j’ai envie de faire mais de manière plus transversale je dirai que les projets qui ont un impact social me motivent particulièrement : la méditation en direction des publics empêchés ou l’adaptation de nos structures aux exigences de développement durable me paraissent des défis complexes et passionnants.
Infos pratiques :
Jérémy Griffaud, « Sous le Ciel »
Exposition du 12 octobre au 20 janvier 2025
Musée national Marc Chagall
https://musees-nationaux-alpesmaritimes.fr/chagall/agenda/evenement/jeremy-griffaud-sous-le-ciel
Réseau Plein Sud
https://pleinsud.art/fr/lieux/musee-national-marc-chagall
10ème édition Festival OVNi
Parcours Hôtels
Jérémy Griffaud à l’Hôtel WindsoR
Du 29 novembre au 1er décembre