« Air de repos » par Cédric Fauq au Capc : le musée comme sas de décompression et machine d’assistance respiratoire !

Jan S. Hansen, « Untitled » (2024). Courtesy de l’artiste et Simian, Copenhague. Photo : GRAYSC

Après « Barbe à Barba », proposition ludique et régressive abordant en creux les denrées coloniales qui transitaient par l’ancien Entrepôt Lainé, Cédric Fauq, commissaire en chef avec « Air de repos » (Breathwork) rebat les cartes et joue de la double interprétation du mot, clin d’œil nostalgique de départ en vacances sur les aires d’autoroutes mais aussi à l’architecture d’origine du Capc en forme de caravansérail, augmenté d’une dimension politique de la respiration. A partir du slogan de résistance devenu viral « I can’t breath » et de l’ouvrage de Franco Berardi « Respirer : chaos et poésie » (traduction française), Cédric Fauq dessine un paysage radical et volontairement vide d’images, mis au repos. Si l’acte de respirer est devenu un enjeu sociétal majeur, il renvoie aux inégalités et visées impérialistes, le musée devient une formidable « machine d’assistance respiratoire ». La trentaine d’artistes réunis appartiennent à la même génération et partagent une posture poétique critique commune avec le commissaire, comme il le confie, autour du champ de recherches des black studies.

De nombreuses œuvres ont été produites pour l’occasion selon une réponse à l’in situ. Dès la façade des éléments disruptifs nous mettent en éveil pour peu que l’on soit attentifs. L’artiste Alexandre Khondji a enlevé les lettres E,N et T au mot Entrepôt, transformé en REPOT alors que les 200 ans du bâtiment sont célébrés en 2024. Valérian Goalec affiche le poids total des œuvres de l’exposition soulignant l’ambiguïté de la démarche entre rapport à la légèreté de l’atmosphère et la masse de matière réunie. Elle joue aussi sur ce caractère vaporeux et gazeux à l’aide d’une pluie de confettis qui tombe lentement. La vidéo qui ouvre le parcours des artistes Sophia Al-Maria et Sin Wai Kin « Astral Bodies Electric, Make Up ! » reprend les codes du manga des années 1990, sous genre « magical girl » autour d’un poème invitant à la méditation et circulation d’énergie, lu en lipsyncé sur une bande son en hommage à la musicienne jazz Alice Coltrane, décédée suite à une déficience pulmonaire.

Assez vite l’on remarque au centre de la nef les modules de climatiseurs de l’artiste Ima-Abasi Okon diffusant une œuvre sonore. Ultra visibles et à l’encontre du caractère aseptisé des musées pour les besoins de conservation des œuvres, ils fonctionnement à des rythmes différents et affectent directement le visiteur dans leur rôle de ventilateurs. Le morceau diffusé au ralenti d’une balade R&B incite à oser une certaine paresse et lâcher prise. Autre sens sollicité, l’odorat avec la fontaine de soda d’Adam Farah-Saad qui renvoie à ses souvenirs d’enfance dans la communauté caraïbéenne de Londres, les bouquets de gypsophiles et eucalyptus sur les hauteurs de la nef et le parfum conçu pour l’exposition à base de « notes de benzine, de cyprès du Japon, de pétrichor (la terre après la pluie), de curcuma, de cuir Nappa, de chaleur humaine et de métal ». Son titre E2NW9 est la contraction de deux codes postaux londoniens, celui du quartier de la mère de l’artiste et d’un club queer qu’il a fréquenté. Ce parfum est diffusé avec le billet d’entrée de l’exposition et disponible à tout moment via les gardien.nes des salles. L’artiste souligne l’impact et la persistance du souvenir de certains lieux dans nos vies.

Autre œuvre aux confins du visible avec la sculpture transparente et minimale de l’artiste et poète Rhea Dillon qui rend hommage à Ella Adoo-Kissi-Debrah, jeune fille noire de 9 ans, morte des suites d’une crise d’asthme aigue en lien à la pollution de l’air. La grande tapisserie de l’artiste Stefani Jemison et la structure métallique qui l’accompagne interpellent. Il s’agit d’un décor de théâtre récupéré et renversé dont on verrait les coulisses. L’artiste qui mène des recherches autour de figures et mythes de l’envol (défier les lois de la gravité), s’est penchée sur des trampolinistes de la célèbre fabrique de champions noirs de cette discipline à Chicago dans les années 1950, la Jesse White Tumbling Team, à travers la vidéo Bound. Des images hypotoniques à partir uniquement de leurs paroles et de vues de ciels sur une musique entêtante, le tout recréant un état d’apesanteur. Autre objet polysémique la calèche enveloppée de film de polyéthylène de l’artiste Jack O’Brien détournant la notion de readymade comme d’autres artistes de l’exposition. D’un objet renvoyant à l’architecture du caravansérail ayant inspiré l’architecte du Capc, il en fait un témoin emprisonné du passé dans une connotation de métamorphose érotique à la limite de l’abstraction. Au sol de grandes pales blanches intriguent jusqu’à ce que l’on réalise qu’il s’agit d’anciennes éoliennes, l’artiste Lea Porsager ayant grandi au milieu de ce qu’elle considère comme des totems au Danemark. Leur découpe leur donne des allures d’organes sexuels même si le nom de l’œuvre « H.O.L.Y.S.P.I.R.I.T » renvoie à une dimension plus spirituelle associée au souffle et à l’âme. 

Plusieurs enseignes lumineuses surgissent à des interstices visibles de prime abord ou non, de l’artiste Eva Gold. Des enseignes portant le titre de « Open Late, 24 hours » ou « MOTEL » donnent une dimension nocturne et cinématographique inédite au musée, renforcée par un chapeau de cow boy et des paquets de cigarettes. De plus une rangée de vestes noires cousues dans du caoutchouc renvoie aux rencontres furtives du cruising à l’urinoir d’une aire de repos ou à une bande de motards. Le mannequin blanc et perforé de l’artiste Jan S. Hansen entouré d’étoiles suspendues rejoue le phénomène de « chute des astres » né de l’expérience des astronautes d’une sensation de flottement de la terre dans l’espace. Mais ces étoiles sont recouvertes de fientes d’oiseaux, utilisées dans la médecine chinoise pour dégager les poumons. Le triptyque vidéo d’Olu Ogunnaike qui semble à priori un paysage en mouvement est en réalité la projection en temps réel de feuilles d’un arbre situé à l’entrée du musée par le truchement d’une caméra de surveillance installée sur la façade. De nouveau l’artiste nous invite à décrypter les images qui nous entourent. 

Cette exploration extra-sensible se poursuit sur les mezzanines et terrasses du musée avec notamment les œuvres de Carolyn Lieba François Lazard autour de l’idée du soin à partir d’un autre readymade, des purificateurs d’air qui renvoient à l’univers des hôpitaux ou d’une vidéo quasiment muette impliquant la technique neuro-émotionnelle de l’EMDR. Jesse Stecklow reprend une méthode de respiration anti sress utilisée dans le yoga avec la série de « Box Breathing » à partir de 4 ballons de baudruche reproduisant les étapes de l’exercice. 

De multiples strates de lecture à l’œuvre et qui semblent être l’un des fils rouges de ce panorama d’œuvres silencieuses mais habitées. Nos projections, désirs enfuis, souvenirs font du musée un réceptacle de nos émotions. Un fil tendu entre abstraction et incarnation, poésie et politique, art conceptuel et expérience intime.

Puisque nous sommes au bord de l’asphyxie, du trop-plein d’images et d’écrans, cette invitation exigeante invite à de nouvelles approches en matière de monstration et de curation afin d’inscrire un nouveau récit. Accompagnée de son indispensable vinyle, elle fera date. 

parallèle l’exposition de Benoît Maire « Cronos, objets fabriqués dans le grillage du temps » à partir des collections du madd-bordeaux. Collages et jeux d’associations libre ont guidé l’artiste qui adopte la posture du curieux face à l’émergence de nouveaux objets associés à l’idée du progrès.

Egalement à ne pas manquer : « Itinéraires Fantômes » à partir des échanges entres les commissaires Ana Iwataki et Marion Vasseur Raluy et l’artiste Alexandra Grant sur le travail de l’écrivaine et théoricienne Hélène Cixous autour du postulat d’œuvres hantées. Le parcours est structuré sur la base d’un jeu de tarot imaginé et dessiné par Hélène Cixous et l’artiste Alexandra Grant incitant les visiteurs à se laisser guider par des intuitions libres à partir d’archétypes. 

Infos pratiques :

« Air de repos » (Breathwork)

Jusqu’au 5/05/2025 

« Itinéraires fantômes » 

Jusqu’au 19/01/2025 

« Cronos » 

Jusqu’au 25/05/2025 

Et toujours : Amour Systémique

Capc

Relire mon interview avec Sandra Patron à l’occasion des 50 ans musée (lien vers)

https://www.capc-bordeaux.fr/agenda/expositions