Arte Povera à la Bourse de Commerce

Vue de l’exposition « Arte Povera », Bourse de Commerce – Pinault Collection, Paris, 2024 © Photo : Florent Michel / Pinault Collection

L’un des évènements de la très dense Paris Art Week « Arte Povera » à la Bourse de Commerce recréé de façon magistrale les jalons de ce courant emblématique dans l’Italie de la reconstruction des années 1960 qui revendique une rupture face à la suprématie et surenchère de l’art américain d’alors. Plus de 250 oeuvres entrent en dialogue. Le terme est inventé par le critique d’art et commissaire Germano Celant en 1967.

Des matériaux humbles, anti spectaculaires, « pauvres » pour une expérience phénoménologique et incarnée de la pensée comme le souligne Caroline Christov-Bakargiev, commissaire à l’invitation d’Emma Lavigne, directrice de la Pinault Collection qui possède un large fonds d’œuvres emblématiques du mouvement. L’ex directrice de Castello di Rivoli (Turin) qui connait personnellement plusieurs artistes de cette période, a réussi un tour de force étant donné la fragilité de certaines œuvres ou complexité de leur mise en œuvre. Ainsi des machines réfrigérantes de Pier Paolino Calzolari, de l’installation  » Rosa Bleu Rosa » à base de chlorure de cobalt de Gilberto Zorio dont la couleur change selon l’humidité, de l’eau comme élément du souvenir de l’enfance et clin d’œil au minimalisme chez Pino Pascali avec «Confluenze », la présence du feu chez Jannis Kounelis, autant de manifestations visibles de phénomènes sensibles vivant à provoquer « une épiphanie chez le regardeur » comme le résume la commissaire.

Giuseppe Penone, Albero porta – cedro, 2012 Collection particulière. ADAGP, Paris, 2024 Vue de l’exposition « Arte Povera », Bourse de Commerce
© Photo : Florent Michel / 11h45 / Pinault Collection

Dès l’extérieur de la Bouse de Commerce, nous sommes accueillis par le grand arbre de Giuseppe Penone, artiste bien connu des français (expositions à Chaumont sur Loire, la BNF..). « Idee di pietra -1532 kg di luce » titre d’une grande poésie pour décrire toutes les ramifications possibles à l’instar des branches et des rochers suspendus. A ses côtés Mario Merz réinterprète la suite de Fibonacci avec ces chiffres qui s’inscrivent en néon rouge, symbolisant la croissance exponentielle de l’univers. Une fois à l’intérieur, dans le vestibule la très discrète fontaine de Marisa Merz dessine un cœur sur une vasque de plomb animée par un violon en cire. Artiste trop souvent associée à son mari, elle est exposée dès 1967 à la galerie Sperone de Turin. Le LaM lui a consacré une superbe rétrospective récemment.

Jannis Kounellis, Sans titre (Margherita di fuoco), 1967 ADAGP, Paris 2024 Collection Mario Pieroni Vue de l’exposition « Arte Povera », Bourse de Commerce 
© Photo : Nicolas Brasseur / Pinault Collection

Dans la Rotonde se déploie la matrice de l’ensemble selon le parti pris de la commissaire : une vision collective des 13 artistes majeurs dont les œuvres posées au sol incarnent le principe d’horizontalité, tandis que plane « la Macchia » (la tâche) de Gilberto Zorio suspendue en l’air. Le dispositif reprend celui de l’espace d’art indépendant Deposito D’Arte Italiana Presente fondé par le galeriste Gian Enzo Sperone en 1967. La lumière, les sons, l’espace, la fluidité des états de la matière : fontaine fumante de d’Ailghiero Boetti « Autoritratto » , la glace chez Pier Paolo Calzolari, le plomb d’Emilio Prini.. tout est énergie vibratoire. Une fois cet imaginaire posé, les galeries rayonnantes de la Bourse de Commerce ouvrent un espace à chacun des protagonistes. 

Vue de l’exposition « Arte Povera », Bourse de Commerce – Pinault Collection, Paris, 2024 © Photo : Florent Michel / Pinault Collection

La galerie dédiée à Kounellis/Mario Merz/ Marisa Merz est d’une grande puissance même si on aurait préféré que Marisa soit présentée indépendamment de son mari ! Elle est la seule femme du mouvement. La peinture d’icône en écho de ses « têtes », visages, est saisissant.

La galerie Pier Paolo Calzolari/ Giovanni Anselmo est également très aboutie autour de « la Casa ideale » du bolonais, maison blanche et givrée, immaculée. 

Giulio Paolini avec « Disegno geometrico » rejoue la perspective de la Renaissance dans un quadrillage subtile et une mise en abyme de l’histoire de l’art autour d’une réflexion sur l’acte de vision et le miroir selon Borges qu’il admire.

Dans le Foyer, les visiteurs peuvent interagir avec « Les Microfoni » de Gilberto Zorio dans une possible cacophonie alors que le studio est dédié à Emilio Prini, l’un des artistes les plus énigmatiques du mouvement se livre à une intense recherche sur la valeur, la consommation ou la standardisation à travers l’accumulation d’appareils électroniques. 

Vue de l’exposition « Arte Povera », Bourse de Commerce – Pinault Collection, Paris, 2024 © Photo : Florent Michel / Pinault Collection

Alighiero Boetti et ses grands planisphères tissés, « les Mappa », avec des brodeuses afghanes dans le cadre de ses voyages fréquents à Kaboul et la création du One Hotel, ont quelque chose de très émouvant quand on voit la situation actuelle du pays et le sort des femmes.

Michelangelo Pistoletto est connu à Paris grâce au travail de la galeria Continua. Ses « tableaux miroirs » comme Pace appartenant à la Collection Pinault lui valent une reconnaissance internationale. Il créé avec le groupe Zero des projets de collaboration collective avant de lancer le programme « Progretto Arte » qui place l’art au cœur d’une transformation sociale et de fonder la Cittadellarte – Fondazione Pistoletto. 

Poursuite de la déambulation dans les vitrines investies d’éléments historiques : photographies, archives, livres, affiches, sur les différents lieux du mouvement, galeristes, critiques associés. Des artistes contemporains en héritiers de l’Arte Povera sont convoqués en résonance de David Hammons à Anna Boghiguian, Theaster Gates, Pierre Huyghe… L’histoire continue de s’écrire et s’incarner. Si le Jeu de Paume et le BAL à Paris avaient proposé le volet photographique du mouvement, cet opus dépasse leur démarche et les attentes du spectateur. Un cadeau que nous fait la Collection pour celles et ceux qui n’ont pas eu l’occasion de connaitre toute cette scène liée à Turin et d’autres villes comme Gênes, Milan, Bologne.

Catalogue Editions Dllecta, 352 pages, 49 euros.

Infos pratiques :

Arte Povera

Bourse de Commerce 

Jusqu’au 20 janvier 2025

Plein tarif 15 euros, réduit 10

« Super Cercle » la carte gratuite des 18-26 ans

Au programme :

Conférences un lundi par mois cycle de cours du soir, Masterclass Institut français de la mode le réemploi et l’Arte Povera ..Ateliers enfants

Réserver :

https://www.pinaultcollection.com/fr/boursedecommerce