Rencontre avec Clément Nouet, Mrac Occitanie : Vidya Gastaldon et Arnaud Dezoteux 

Vidya Gastaldon, vue de l’exposition « Demeure sans murs » Mrac Occitane, Sérignan 2024 photo Jean-Christophe Lett

L’artiste Vidya Gastaldon avec l’exposition monographique que lui consacre le Mrac Occitanie « Demeure sans murs » donne libre cours au principe de grand écart dans un univers hybride où se côtoient Josef Albers, Bob L’Eponge, Robert Crumb, l’art psychédélique, le New Age ou le jeu vidéo Minecraft à partir d’une pluralité de mediums entre abstraction et figuration, culture savante et populaire, macrocosme et microcosme. 

De son côté, Arnaud Dezoteux, avec « Apprends et rêve » détourne les mécanismes des injonctions du capitalisme tardif et l’avènement des thérapies alternatives et du soin dans des animations filmiques « pauvres » et bricolées qui dynamitent les mythologies des cultures du divertissement par le grotesque de l’épuisement et du désarroi. Les deux expositions ont bénéficié de productions importantes à cette occasion comme le souligne Clément Nouet, directeur du Mrac et commissaire des deux opus. Il revient sur sa découverte de ces univers et la genèse de ces ambitieux projets. De plus, en ce qui concerne la vie de la collection il nous dévoile les contours du prochain accrochage et les principes d’acquisition. Il a répondu à mes questions. 

Marie de la Fresnaye. L’invitation à Vidya Gastaldon : qu’est-ce qui vous séduit dans son univers ?

Clément Nouet. J’ai découvert son travail il y a une quinzaine d’années en Suisse et j’ai suivi son travail exposé dans sa galerie parisienne Art : Concept, dans sa galerie suisse Wilde et également lors d’expositions collectives comme au MAMCO à Genève. Après l’exposition assez abstraite et minimale Fortuna présentée cet été, je souhaitais aller vers d’autres images, un art plus figuratif qui ouvre sur des questions plus ésotériques ou écologiques.

Vidya Gastaldon, vue de l’exposition « Demeure sans murs » Mrac Occitane, Sérignan 2024 photo Jean-Christophe Lett

MdF. Pouvez-vous nous décrire le principe du Grand Ecart, fil rouge de l’exposition et de l’œuvre de Vidya Gastaldon 

CN. Vidya Gastaldon a évolué ces dernières années aux confins de plusieurs influences et son art s’inscrit à la croisée des cultures populaires et savantes, alliant autant le surréalisme que le personnage de Bob L’Eponge, l’esthétique hippie ou le minimalisme abstrait, à travers dessins, peintures, sculptures et film. Elle nourrit une esthétique protéiforme, humble et psychédélique qui revendique une forme de simplicité et d’économie de moyens. Elle s’inscrit entre une pensée écologique et ésotérique pour plonger du côté d’une pluralité de références aussi bien spirituelles qu’artistiques pour nous livrer une sorte de panorama d’êtres cosmiques. Elle associe aussi bien des divinités hindoues que le personnage du Muppet Show ou des allusions au jeu vidéo. Nous oscillons entre le rêve, l’hallucination et des formes du quotidien avec ces meubles peints. C’est ce qui rend intéressant ce Grand Ecart : un mélange de sacré, de sensualité, d’humour voir de provocation jusqu’à ce rapport entre l’être et le sensé être. 

MdF. Quels enjeux en matière de parcours vous ont-ils guidés tous les deux ?

CN. Dès sa première visite au musée Vidya a eu l’intuition volonté de diviser l’espace. Ce sentiment a été confirmé ensuite lors de nos échanges et lors d des visites à son studio pour aboutir à l’idée d’une exposition avec un parcours autour de trois espaces symboliques. Le premier prend la forme d’une maison éclatée, ce qui explique le titre de l’exposition où l’on retrouve des objets peints, de la vaisselle, des cubes peints, un grand wall drawing, des dessins et peintures. Nous évoluons dans un espace qui pourrait s’apparenter à un intérieur, à un espace domestique qui serait fantasmé, ou vivant comme une référence à Alice au Pays des Merveilles ou au monde de Fantasia, une dérive à travers le rêve qui bascule dans un autre univers.

Vidya Gastaldon, vue de l’exposition « Demeure sans murs » Mrac Occitane, Sérignan 2024 photo Jean-Christophe Lett

La seconde salle se joue autour du principe de la méditation avec un arc en ciel de peintures reprenant l’alphabet romain. Suivant une logique libre d’associations autour du souffle et du chant selon certaines traditions en Inde. L’accrochage de la série crée comme une vague colorée et vibratoire. Au centre, deux instruments de musiques réalisés en collaboration avec l’artiste Alexandre Joly, à l’occasion de l’exposition offrent la possibilité aux visiteurs de prendre part à cette expérience de la vibration. Ils ont été réalisés à partir d’éléments collectés, dans une vieille étable selon une même logique de récupération, et de prendre soin des objets et du vivant. L’ensemble de la salle infuse une ambiance de mosquée, d’église, de synagogue ou d’ashram, des cultures qui sont importantes pour l’artiste. 

La dernière salle bascule dans l’univers du jardin, qu’il soit marqué par la géométrie des jardins Renaissance ou du jeu selon la fascination de l’artiste pendant sa visite au château-jardin de Villandry. Elle pense à une métamorphose, une hybridation avec la végétation dans la série des dessins et portraits de créatures qui naissent et retournent à la nature dans un même cycle. Selon l’artiste, nous sommes tous des êtres jardins. 

MdF. Les nouvelles productions à l’occasion de l’exposition 

CN. Les nouvelles productions sont particulièrement importantes et représentent environ 75% de l’ensemble des œuvres, que ce soit le mobilier peint de la première salle, les cubes peints, le wall drawing produit in situ, la série de l’alphabet et l’ensemble de la salle du jardin jamais encore dévoilée au public. 

MdF. Arnaud Dezoteux : comment avez-vous découvert son travail ?

CN. J’ai découvert son travail en 2021 à l’occasion de l’acquisition, par le musée, de la vidéo intitulée Niche, produite pendant le confinement. L’artiste avait filmé la Philharmonie de Paris, qui se situait à moins d’un kilomètre de son logement. Il a alors commencé par jeu à incruster des animaux, tels des chauves-souris, des ours et des pangolins, ayant pris potentiellement possession du lieu, entre dramaturgie et beaucoup d’humour. Ce va et vient entre film et dessin animé est l’un des fils rouges de l’exposition.

A partir de ce premier contact nous avons nourri de nombreux échanges, au fil des années, pour arriver aujourd’hui à la conception de l’exposition Apprends et rêves.

L’artiste s’inscrit dans toutes formes de médias audiovisuels. Il emprunte autant au documentaire, à la télé réalité, la fiction dans un mélange des genres qui perturbe et interroge nos habitudes visuelles et culturelles. 

Arnaud Dezoteux, « Sweet routine » (autorun) 2024, Adagp Paris 2024

MdF. Revenons sur le film tourné à Montmartre, révélateur de la consommation culturelle et récupération d’une certaine imagerie de la flânerie parisienne 

CN. Le film s’intitule Tertre et fait partie des nouvelles productions de l’artiste pour l’exposition. Il est en quelque sorte le prolongement de Niche. L’artiste s’est imprégné de cette célèbre place devenue un reflet du tourisme mondialisé dans une forme de fantasmagorie contrecarrée par les incrustations d’animaux, tous considérés comme des nuisibles (pigeons, rats, mouettes…) et régulièrement chassés par l’homme. Par l’intermédiaire du dessin animé, le grotesque de la scène prend le dessus comme ces rongeurs qui s’imposent dans notre champ de vision. Un travail très précis sur le son (voix des touristes, bruits des animaux) ajoute à la dynamique de l’ensemble. 

MdF. Vie de la collection : prochain accrochage, acquisitions…

CN. Chaque année, le musée propose une nouvelle exposition des collections autour des nouvelles œuvres selon un principe d’achat ou de don et je tiens à remercier à cette occasion tous les artistes qui soutiennent l’établissement par ce biais (plus de 50% de la collection résulte de dons). Nous cherchons à mettre en avant des rapprochements qu’ils soient théoriques, formels ou poétiques entre les œuvres plutôt que des logiques historiques ou chronologiques. L’enjeu est aussi de tisser un dialogue avec la collection du Cnap qui est en dépôt au Mrac. 

Parmi ces nouvelles œuvres présentées, je citerai par exemple une œuvre de John M Armleder, de Clément Cogitore, Laurent le Deunff avec un focus autour de l’artiste Côme Mosta Heirt qui vient de faire une importante donation au musée. En même temps que la nouvelle exposition des collections fin janvier, nous inaugurerons une exposition consacrée à l’artiste Toma Dutter au Cabinets d’arts graphiques du musée. 

MdF. Quelle politique d’acquisition ?

CN. Notre politique d’acquisition s’oriente autour de deux axes. Le premier est le prolongement d’une partie des expositions temporaires dans une volonté de continuité et d’engagement auprès des artistes comme dernièrement avec Anne Marie Schneider ou John M Armleder.  

Le second se décide avec un comité artistique et, selon leurs propositions, des œuvres rejoignent chaque année la collection du musée. Cette pluralité de visions permet de dynamiser notre collection et d’amener une nécessaire diversité. 

Infos pratiques :

Arnaud Dezoteux « Apprends et rêves » 

Vidya Gastaldon « Demeure sans murs » 

Jusqu’au 9 mars

Janvier 2025 :

Nouvelle exposition des collections 

https://mrac.laregion.fr/Expos-en-cours

La collection en ligne :

https://www.navigart.fr/mrac-occitanie/artworks/year_acq/