Luc Tuymans Eternity 2021 Huile sur toile 314,9 x 275,4 cm Pinault Collection © Courtesy of the artist and David Zwirner Photo : Luc Tuymans Studio
Le Musée d’Art Moderne de Paris nous propose de découvrir l’impact déclenché par la radioactivité issue de l’atome et son appropriation par l’art. A travers l’exposition “L’âge atomique, les artistes à l’épreuve de l’Histoire” le musée cherche à monter le lien complexe entre la science, la politique et l’art. Les quelques 250 œuvres réunies sont issues d’un grand nombre de collections publiques ainsi que de prêts de collections privées. Le parcours se déroule autour de trois grandes sections : la décomposition de la matière, la bombe, et la nucléarisation du monde.
L’art au début du 20ème siècle connait un grand changement dans la représentation entre l’art abstrait et conceptuel ou le Ready-made. Ceci s’explique par un certain nombre de phénomènes dont la découverte scientifique de la radioactivité à la fin du 19ème siècle. La première partie de cette exposition rassemble un ensemble d’oeuvres qui démontrent ce début de basculement de l’art. Notamment avec des œuvres de pionniers de ces mouvements artistiques comme Vasilly Kandinsky, Hilma af Klimt et Marcel Duchamp, fasciné par l’inframince. La section propose également des textes et archives autour des recherches scientifiques de l’atome.
La fabrication et utilisation de la bombe atomique démontre l’ampleur de l’influence politique dans la science, ce qui est illustré à travers différents médiums. Le début de cette partie de l’exposition rassemble des photos documentaires des premiers essais du « projet Manhattan », ainsi que des lettres de physiciens comme Albert Einstein au Président des États-Unis Roosevelt. La salle suivante est investie par les cris de Yoko Ono avec son œuvre manifeste « Le ciel de Hiroshima est toujours bleu » de 1995. Cette œuvre évoque la souffrance subie par la population japonaise lors de l’utilisation de la bombe atomique sur Hiroshima et Nagasaki par les États-Unis. Sont exposés en parallèle une série de dessins faits par des personnes qui ont survécus. Leurs dessins dépeignent des scènes tragiques de blessures et de pertes humaines inimaginables.
La photographie est très présente dans cette partie pour témoigner les dégâts sur les villes et dans les vies des survivants qui sont changées à jamais. Un mur est occupé par les photos de l’artiste Kikuji Kawada qui se concentre sur la texture d’une image très rapprochée. De sorte que le spectateur hésite entre une peau brûlée ou la peinture qui se décolle d’un immeuble effondré. Son œuvre la plus marquante est l’image du Dôme de Genbaku, l’un des seuls immeubles à être resté debout. Ces photos documentaires sont d’autant plus marquantes quand on considère la censure qu’a imposé les Etats-Unis sur le Japon qui n’a été levée qu’en 1952.
L’image du champignon atomique devient une analogie emblématique propagée par le capitalisme des années 50-60. L’oeuvre BOMBHEAD de Bruce Conner de 2002 s’impose comme une icône pour illustrer le rôle de l’Homme et sa politique dans cette destruction massive, à travers l’uniforme impersonnel et le champignon atomique en guise de tête. L’artiste Herbert Matter est placé à côté avec le cliché d’un profil humain dans la fumée de l’explosion fixant un globe terrestre. Cette analogie de champignon illustre aussi la notion de spectacle nucléaire qui est répandue selon une visée politique et touristique. Un mur de l’exposition est occupé par des photos de spectateurs alignés pour voir le fameux champignon, ce qui montre que la bombe en elle-même devient un objet esthétique pour le public plutôt que destructeur. Les photos des concours de beauté Miss Bombe Atomique qui prennent la pause avec des soldats américains servent à promouvoir une image conquérante sur fond de guerre froide.
La bombe atomique devient une source de véritable angoisse pour les artistes qui remettent en question la moralité et la place de l’Homme dans ce nouveau monde incertain. Les œuvres des artistes Asger Jorn, Raoul Hausmann et Francis Bacon sont rassemblées avec leur style de peinture frénétique dans les mouvements de pinceaux, qui exprime leur anxiété. On retrouve cette notion d’esthétique atomique comme avec Salvador Dali et sa peinture a l’huile “Idylle atomique et uranique mélancolique” de 1945 qui explore un nouveau monde dans ce début de l’âge atomique. Le fascinant tableau de Barnett Newman «Pagan Void» reste l’une des énigmes du parcours.
Le développement de la nucléarisation du monde mène à la création de mouvements politiques qui dénoncent les conséquences néfastes sur l’environnement et les populations indigènes. Les accidents tel Tchernobyl en 1986 sont la source d’inspiration de beaucoup d’artistes pour témoigner cela comme Vladimir Shevchenko qui quelques jours seulement après le désastre a filmé les restes de la centrale et les villages autour en hélicoptère. L’exposition présente son film avec la voix de l’artiste qui explique au spectateur que la radioactivité se propage même jusqu’à sa pellicule qui est marquée par des petits points blancs sur le film. Et elle peut s’entendre avec des crépitements sur le son. L’installation immersive vidéo de Diana Thater Chernobyl de 2011 sur la ville dortoir de Prypiat désormais désertée par l’homme, oscille entre la catastrophe et la résilience de la nature avec la faune qui prend ampleur dans les ruines.
Les collectifs féministes des années 70-80 déconstruisent l’utilisation de la femme dite “bombe sexuelle”, des corps objectivés. L’art est un moyen pour se libérer et de reprendre le pouvoir à travers différentes stratégies collectives. Les organisations se mobilisent autour des peuples indigènes dont les terres sont confisquées par les essais nucléaires. Les photographies de ces essais par des personnes indigènes qui l’ont vécu dénoncent le colonialisme moderne et ses nombreuses conséquences.
Jim Shaw I’ll Build a Stairway to Paradise 2022
Médiums divers (mousse, résine, fibre de verre, bois, plastique et acrylique sur mousseline)
101,6 x 152,4 x 41,9 cm Gagosian © Jim Shaw. Courtesy Gagosian
L’échelle et l’ambition de cette exposition montre les différentes prises de position des artistes et ce changement de paradigme. Ce sujet continue d’être une problématique importante pour les artistes de nos jours. Ils se concentrent notamment sur le stockage de déchets toxiques et leurs traces sur notre environnement. Ceci est exploré avec l’intégration de matériaux toxiques des lieux affectés dans des œuvres photo ou vidéo. D’autres artistes comme Pierre Huyghe ou Sigmar Polka intègrent des produits toxiques, des sels, (minerai d’uranium), dans leurs processus de création, faisant apparaître la radioactivité à travers des formes et des mouvements.
Inscrite dans notre imaginaire collectif, le spectre de la Bombe croise l’histoire de la modernité. Ce panorama quelque peu anxiogène reste une première. Pédagogique, scientifique, elle ouvre à de multiples ramifications. La menace n’est jamais écartée et le tableau de Miriam Cahn « Atomic Bomb » continue de nous hanter longtemps après, comme elle l’avait fait sur les cimaises de l’institution voisine au Palais de Tokyo avec d’autres désastres de la guerre. De l’ordre de la déflagration.
Pour reprendre son souffle et à ne pas manquer également la superbe rétrospective du sculpteur suisse Hans Josephsohn (1920-2012) très présent sur la foire Basel Paris.
Marie de la Fresnaye – Phoebe Wilson
Commissaires :
Julia Garimorth, conservatrice en chef, Musée d’Art Moderne de Paris
Maria Stavrinaki, professeure en histoire de l’art contemporain, Université de Lausanne
Cycle de rencontres « | L’âge atomique est notre présent | L’histoire de la représentation de l’atome jusqu’à nos jours »
Catalogue édition Paris Musées, 42 euros (disponible à la librairie)
Infos pratiques :
L’Âge atomique – Les artistes à l’épreuve de l’histoire
Jusqu’au 9 février 2025
Musée d’Art Moderne de Paris
https://www.mam.paris.fr/sites/default/files/documents/cp_lage_atomique_