Marseille, Gallery Night 2024: Interview Mathilde Nicol, Salon du Salon 

Mathilde Nicol, J’ai coupé la salle à manger en deux, dîner n°1 – 20 juillet 2024, Salon du Salon  courtesy de l’artiste

Dans le cadre de mon focus Marseille à l’occasion d’Art -O- rama, rencontre avec l’artiste Mathilde Nicol qui a fait de la forêt son laboratoire d’expérimentation et d’alerte face aux impacts d’une sylviculture intensive sur la biodiversité. Elle part d’une immersion sur le terrain, notamment à la Montagne Noire dans le Massif Central pour nourrir une pratique de sculpture à vocation collaborative comme au Salon du Salon où elle invite l’artiste Delphine Wibaux, rencontrée en Géorgie. J’avais découvert Mathilde au Château de Servières pour « Relève 6  – Energies » à l’initiative de Martine Robin. Elle sera prochainement en résidence au centre d’art de Châteauvert désormais dirigé par Véronique Collard- Bovy, personnalité incontournable du dynamisme marseillais rencontrée à plusieurs reprises. Mathilde revient sur les spécificités de cette scène, favorable à des logiques collaboratives et d’auto-suffisance. Elle a répondu à mes questions.  

Née en 1994, Mathilde Nicol vit et travaille à Marseille, où elle a obtenu son DNSEP à l’école des beaux-arts en 2022. Son parcours s’inscrit en région PACA avec des expositions comme La Relève 6 au Château de Servières, ou aussi lors de résidences, notamment avec le programme Voyons voir art contemporain et territoire, ou avec le centre d’art contemporain Châteauvert. Elle a récemment exposé son travail en Géorgie à la Tbilisi Art Fair (TAF) et a participé à une résidence avec la galerie parisienne Odile Ouizeman, dans la forêt de Fontainebleau, pour Les Nuits des Forêts.

Mathilde Nicol, portrait par © Zoé Ledoux à l’Immeuble atelier à Marseille

Dans le cadre de La Relève 6 à l’initiative de Martine Robin et du Festival Parallèle au Château de Servières où j’ai découvert votre travail, vous avez présenté le projet « Habiter sur un territoire-ressource où poussent des champignons quand il n’y a plus de forêt » (2023) à la suite d’un temps d’immersion en milieu forestier dans la Montagne Noire : pouvez-vous nous en décrire les enjeux ?


L’exposition au Château de Servières a été l’occasion de présenter ensemble les différentes facettes de ce projet : entre sculpture, écriture et photographie. Mes recherches dans la Montagne Noire, ont commencé par de simples marches en forêts. Des forêts particulières pour moi car elles sont synonymes de souvenirs d’enfance. 
Mon intérêt à vif, j’ai eu envie de comprendre quelle était l’histoire de cette région. 

La proximité de ma famille m’a permis de prendre contact facilement avec certaines personnes ayant des connaissances précieuses, comme un forestier et un historien. Avec ces rencontres j’ai compris que si ces forêts sont l’apanage de centaines d’années d’activités humaines, elles sont devenu, pour la plupart, de simples monocultures vouées à l’industrie et à la grande consommation. Une fois cette prise de conscience devenue part de ma réalité, les signes de cette industrie dans le paysage m’ont inspiré une relecture fictive du territoire. 

La réalisation d’un Habitat pour d’Autres Espèces, sculpture composée d’éléments en céramique évoquant une tente de camping, s’est incarnée, via un montage photo, au sein d’une zone forestière destinée à subir une coupe rase. Les arbres concernés étant martelés par les bûcherons. J’ai ensuite réalisé un encadrement avec du bois de la même forêt, pour le montage photo imprimé. Le cadre a fait l’objet d’une collaboration avec un menuisier à Revel, dans la Montagne Noire. Une manière de voir ces arbres transformés pour un autre imaginaire que celui de la grande consommation. 

Par ailleurs, un banc composé d’une grume de conifère ornementé de pièces en céramique invitait les visiteurs à s’assoir pour écouter et observer cette histoire d’une quête cherchant à découvrir « où poussent les champignons quand il n’y a plus de forêts ». Pendant tout le temps de l’exposition ma voix, diffusée par une enceinte, se faisait l’échos de ce paysage sylvestre au travers d’un texte emprunt d’éléments documentaires et fictionnels.

Quels facteurs expliquent ils selon vous l’éclosion de nombreux espaces d’exposition indépendants et le dynamisme de la scène marseillaise ?

 

La question me fait penser au talk auquel j’ai participé à la foire de Tbilisi (TAF) à propos de la scène émergente de l’art contemporain au niveau international : je faisais un témoignage sur la manière dont les artistes / structures marseillaises fonctionnent en réseau et par invitations mutuelles. En fonctionnant comme cela, on arrive à donner corps à nos pratiques sans attendre constamment l’aval des institutions. 

Il y a aussi une question d’offre et de demande : le relais institutionnel et l’intérêt politique étant insuffisants, on créé nos événements, expositions, rencontres, résidences et espaces de travail entre nous. 

De cette façon, nous ne sommes plus dépendants de l’offre. 

Je vois aussi cette manière de fonctionner comme une sorte de chemin de traverse entre le marché de l’art, les subventions publiques et les institutions. Même si cet endroit reste précaire, il permet à notre milieu d’exister dans un présent plus foisonnant. A Marseille nous sommes tout de même bien suivi par la Drac. Cela permet de faire naître des projets dans de bonnes conditions.

Je pense aussi à la performance « Délier l’espace » que Delphine Wibaux a faite dans le cadre du PAC OFF à son atelier : j’ai trouvé très inspirante sa façon d’accorder une vrai importance et présence aux quelques personnes que nous étions cet après-midi là en guise de public. Ça m’a fait penser que nous nous mettons au travail dès lors que l’on partage de l’intérêt pour une question, et que l’on s’accorde mutuellement de l’importance pour y réfléchir. Ici c’était la question de l’espace, et on poursuit ensemble cette question au Salon du Salon. 

Mathilde Nicol, Habitat pour d’autres espèces courtesy de l’artiste

A l’occasion de la foire Art-o-rama vous présentez au Salon du Salon l’exposition « J’ai coupé la salle à manger en deux » avec un dîner et une performance co-écrite avec Delphine Wibaux : une dynamique collaborative qui nourrit votre pratique ?


Je pense l’exposition au Salon du Salon comme un espace à expérimenter, un lieu à la fois habité et visité. Les parois textiles que j’ai réalisées transforment le plan de l’appartement et proposent de nouvelles approches de l’espace domestique. L’envie de collaborer avec d’autres personnes est indissociable de cette démarche, la proposition s’active au travers du regard des autres et de leur déambulations. C’est comme cela que j’ai invité les deux artistes Anissa Zerrouki et Delphine Wibaux à penser, distinctement, des performances au sein de l’exposition.


La question de la porosité devient essentielle car je souhaite que mon travail soit matière à réfléchir au sein d’un milieu dont on se sente faire partie. Lorsqu’une réflexion est saisie par d’autres mains, elle évolue – elle devient une co-écriture.  Je considère que mon travail est le résultat de collaborations, provoquées ou non, à toutes les étapes du travail. Elle est constamment influencée par une myriade de rencontres, de lieux, de situations, ou de paysages. 

Pour le projet au Salon du Salon, la dimension collaborative s’incarne dans l’exposition. Mais cette dernière infuse aussi le travail à l’atelier. Je suis résidente aux ateliers SILI, un projet initié par le collectif Mastic. Nous sommes près de 25 artistes à travailler dans des espaces ouverts. De fait nos pratiques sont perpétuellement à proximité du travail des autres. Elles évoluent au travers de discussions, mais aussi des outils dont nous disposons et de la mise en commun les savoir-faire techniques et artisanaux. 


Quels sont vos prochains projets ?



Récemment j’ai obtenu une Aide à l’Installation d’Atelier, avec le Drac PACA, afin de m’équiper d’un four à céramique. Lorsque ce dernier sera installé je compte reprendre mes recherches sur les émaux et les champignons. Cela fait un moment que je n’ai pas continué mes recherches sur les émaux. A l’issu de mes recherches à l’école des beaux-arts de Marseille j’avais obtenu une cinquantaine d’émaux naturels, dont une dizaine étaient concluants pour leur texture évoquant des champignons ou de la moisissure. 

J’ai aussi envie de continuer à tisser le lien entre mon travail de sculpture et les milieux forestiers, comme avec « Habiter sur un territoire-ressource où poussent les champignons quand il n’y a plus de forêts ». Dans cette mesure je serai accueillie en résidence au centre d’art Châteauvert à la fin du mois d’octobre. Par ailleurs, lors d’une résidence dans la forêt de Fontainebleau en juin dernier, sur l’invitation de la galerie parisienne Odile Ouizeman et de la Qi-Cabane, j’ai commencé une série d’objets servant à accorder une attention singulière à ce qui nous entoure. Les botanistes par exemple utilisent un quadrat pour observer un périmètre donner, et en référencer les espèces. Souvent ces objets sont fabriqués à la main par les scientifiques. Lors de l’exposition collective proposée par Odile Ouizeman, pour Les Nuits des forêts, je proposais au public d’utiliser cas quadrats afin de se concentrer sur les détails de leur choix.

La pensée d’Isabelle Stengers m’accompagne ici avec l’idée de « résister à l’amincissement du monde ».

Mathilde Nicol, Les épaisseurs, Salon du Salon courtesy de l’artiste

A partir de quel moment avez-vous choisi de devenir artiste ? 


Pendant mes études à Marseille je travaillais à la Friche de l’Escalette dans les Calanques, où j’alternais entre la médiation et la restauration d’œuvres d’autres artistes et designers. Entre l’Escalette et les beaux-arts je travaillais avec la matière constamment. Et même si j’avais une pratique de la sculpture, je ne considérais pas le fait d’être artiste comme le résultat d’un choix. Quelques mois après l’obtention de mon DNSEP je suis parti en Afrique du Sud. J’y ai fait une résidence de céramique pendant un mois. Mais comme j’étais loin de mon environnement quotidien, j’ai eu le temps de réfléchir au sens de mes journées. Etant accueillie chez un membre de ma famille, j’ai pu investir une pièce pour coudre ma première paroi textile. Ca a été le début d’une réflexion encore en cours, dont l’exposition au Salon du Salon fait partie. 

Loin de l’idée d’une nation arc-en-ciel, la répartition de la population à Cape Town, et plus globalement dans le pays, est un héritage de l’apartheid. Comprendre cela a mis en lumière pour moi l’instabilité des espaces que nous habitons. Cette instabilité entre en conflit avec notre besoin d’ancrage à un lieu, une terre, une maison, notre besoin de trouver de la stabilité. Certes, les murs de ma maison me protègent. Cependant, selon leur disposition et le nombre de strates qui me séparent de l’extérieur, ces murs peuvent aussi redéfinir mon ouverture au monde. Si les murs s’érigent comme des obstacles, alors s’invite dans l’équation de ce qui définit mon espace intime, la question de l’autorité et de la contrainte. Contraindre le mouvement revient à parler de frontière. 

C’est en revenant d’Afrique du Sud que j’ai décidé de trouver un atelier et de consacrer mon quotidien à ma pratique de la sculpture et à mes recherches.

Écouter la version audio « Habiter sur un territoire-ressource où poussent des champignons quand il n’y a plus de forêts » :

Habiter sur un territoire-ressource où poussent des champignons quand il n’y a plus de forêts, La Relève 6, Énergies, Château de Servières, © Studio Meimaris  

Infos pratiques :

Salon du Salon : Exposition 

SDS #42 J’ai coupé la salle à manger en deux 

Commissariat Philippe Munda 

(Gallery Night)

Performances :

Delphine Wibaux – 29 août 

Anissa Zerrouki – 6 septembre

Plus d’information et réservation des créneaux pour assister à la performance : envoyer un message à @mathilde_nicol (Instagram) 

Vernissage le 31 août de 14 à 22h

30 août au 30 septembre 

21 avenue du Prado, 13006 Marseille 

https://www.salondusalon.com

PAC : agenda Gallery Night 

https://p-a-c.fr/les-membres/salon-du-salon-project/sds-42-mathilde-nicol-j-ai-coupe-la-salle-a-manger-en-deux

A venir : Ateliers SILI (collectif Mastic)

LAST CALL – 1 septembre 2024

Ouvertures d’ateliers et Group show

SILI 7 Boulevard Bel Air 13012

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