Michel Hilaire, une saison Jean Hugo au musée Fabre (Montpellier), prêt à engager le nouveau chapitre de son extension 

Vue de l’exposition Jean Hugo, le regard magique ©Musée Fabre de Montpellier Méditerranée Métropole, photographie: Frédéric Jaulmes. ©Adagp, Paris, 2024.

Après la rétrospective très remarquée du sculpteur Toni Grand, le musée Fabre de Montpellier dans le cadre de la saison hommage à Jean Hugo dans le sud, rend hommage à la créativité foisonnante d’un artiste inclassable à la fois connu et inconnu comme le résume Michel Hilaire, directeur du musée. L’institution montpelliéraine, en lien avec la famille Hugo, se penche sur ses débuts de dessinateur pendant la Guerre, ses nombreuses amitiés avec les artistes des Avant-gardes, (Cocteau, Picasso, Max Jacob, Guillaume Apollinaire, Roger de La Fresnaye…) le rôle de Valentine son épouse, amie des surréalistes, à partir de son riche fonds et de prêts d’institutions majeures, tandis que le musée Paul Valéry à Sète poursuit avec son ancrage dans la région et sa relation au paysage après la Seconde guerre mondiale. Michel Hilaire revient sur la genèse de cet ambitieux projet qui s’inscrit dans la continuité d’une première exposition en 1995 au Pavillon du musée Fabre. L’élégante scénographie vise à évoquer ses multiples sources d’inspirations et affinités dans le Paris des Années Folles tout en donnant de nouvelles clés de lecture de son univers. Enfin, Michel Hilaire nous livre les prochaines étapes du projet d’extension du musée Fabre entre 2025 et 2028, offrant un redéploiement magistral des collections autour d’une vraie place donnée à l’art contemporain, tout en maintenant le musée ouvert au public. Un défi multiple pour un musée hors normes. Michel Hilaire a répondu à mes questions. 

Marie de la Fresnaye. L’exposition Toni Grand a rencontré un vif succès : quels facteurs expliquent-ils ce bilan ?

Michel Hilaire. Ce bilan exceptionnel s’explique tout d’abord par sa place de sculpteur au sein de sa génération, celle de Supports/ Surfaces et son amitié très forte avec Claude Viallat. Toni Grand est quelqu’un de très ancré dans le sud, la Camargue dont il est originaire. Il est toujours resté fidèle à son territoire. 

Toutefois son œuvre a bénéficié d’un rayonnement national dans les années 1980 grâce au Centre Pompidou et également international avec la Biennale de Venise en 1982. Toni Grand est un jalon majeur de la création autour de son questionnement sur la sculpture, son renouvellement, l’exploration de différents matériaux tels que le bois, l’os, le métal, la résine, le polyester. Il s’inscrit véritablement dans la modernité tout en bénéficiant d’un vrai intérêt auprès de la jeune génération d’artistes.

C’est la première fois qu’une rétrospective de Toni Grand était organisée à Montpellier après l’hommage rendu par le mac de Marseille en 2007. L’une de ses œuvres était rentrée dans les collections en 2006. A présent la collection s’est enrichie de 4 nouvelles œuvres grâce à notre collaboration avec Julia Grand, la fille de l’artiste. 

Valentine et Jean Hugo à Guernesey, septembre 1920, tirage photographique, 14 x 9 cm, Fonds Jean Hugo ©Musée Fabre de Montpellier Méditerranée Métropole – Numérisation Steve Gavard

MdF. Quelle est la genèse de cette double exposition Jean Hugo à l l’occasion du centenaire du Surréalisme ?

MH. Jean Hugo est un artiste à la fois connu et inconnu. Il porte un nom illustre et a traversé toute la modernité de son époque à travers ses rencontres avec Picasso, Cocteau, Christian Bérard… mais aussi les liens de son épouse Valentine proche des surréalistes et elle-même artiste talentueuse à qui nous dédions une partie de l’exposition. Nous évoquons aussi toutes ses sources d’inspiration que ce soit son admiration pour le Douanier-Rousseau, pour Félix Valloton, son amitié avec Roger de la Fresnaye, lui-même un intime de Valentine Hugo avant de devenir un ami du couple après la guerre comme en atteste des photos de visites de Jean et Valentine à Grasse où Roger de la Fresnaye se retire ayant été gazé dans les tranchées et souffrant de tuberculose. 

Le moment était donc venu de rendre hommage à cet artiste singulier dont les liens avec le musée Fabre remontent à une première exposition en 1995 dans le Pavillon du musée avant sa rénovation et doté d’un fonds de référence de Jean Hugo en France avec une cinquantaine d’œuvres toutes techniques confondues. Avec le concours de la famille qui souhaitait depuis longtemps rendre hommage à leur père, Jean Hugo ayant 7 enfants toujours présents dans le midi, nous voulions mettre en valeur les collections familiales. Nous tenions à mettre en valeur également les collections publiques. 

Le musée Paul Valéry de Sète avait aussi le désir de lui rendre hommage puisqu’au moment de la création du musée il y avait déjà eu une grande exposition en 1974 du vivant de Jean Hugo, le musée possédant plusieurs tableaux. Nos deux démarches se sont bien conjuguées pour l’été 2024. Nous avons décidé de proposer une exposition en deux volets avec une première partie de la carrière des années 20 et 30 au musée Fabre et une 2ème partie au musée Paul Valéry du lendemain de la guerre jusqu’à sa mort en 1984. 

Jean Hugo, Paravent pour Marie Bell, actrice de la Comédie-Française, vers 1946, pastel et cadre en bois cérusé, 122 x 98 cm, Montpellier, Musée Fabre, inv. 2022.2.1. ©Musée Fabre de Montpellier Méditerranée Métropole, photographie : Frédéric Jaulmes. ©Adagp, Paris, 2024.

MdF. Autodidacte, qu’est ce qui se dégage de l’univers de Jean Hugo ?

MH. Jean Hugo est en effet autodidacte même s’il a tout de suite été en contact avec la modernité de son temps, beaucoup par le biais de Valentine tout d’abord qu’il épouse en 1919 mais aussi à travers ses rencontres au lendemain de la première guerre : Cocteau, Picasso Radiguet, Francis Poulenc, Man Ray, Francis Picabia, Coco Chanel…et beaucoup d’autres. 

Il développe tout d’abord un goût pour le dessin et les décors de théâtre et costumes pour des pièces à succès dans les années 1920 comme les Mariés de la Tour Eiffel ballet de Cocteau. Mais il ressent bientôt le besoin de s’écarter de plus en plus de ce monde du spectacle, de la fête, du divertissement, de l’éphémère éprouvant le besoin de se recentrer sur la peinture. Il a alors la chance d’hériter d’un domaine familial en 1929 à la mort de sa grand-mère à Lunel près de Montpellier où il s’installe pour y rester toute la seconde partie de son existence. Il se sépare de Valentine en 1932 et se consacre véritablement à la peinture. A partir de toute sa culture moderniste il s’ancre dans un art de contemplation, d’équilibre, de classicisme au contact des grands maîtres français du 17ème siècle notamment Poussin mais aussi sa connaissance aboutie des Primitifs italiens tels que Fra Angelico, Sassetta, Botticelli. Jean Hugo se convertit au catholicisme en 1931 et est baptisé. Une nouvelle vie commence alors autour de l’amour de la nature avec un regard émerveillé sur le monde et une attention particulière au paysage, celui du midi où il vit mais aussi à l’occasion de ses voyages en particulier en Bretagne dans les années 1930.

Picabia Francis (1879-1953). Paris, Centre Pompidou – Musée national d’art moderne – Centre de création industrielle. AM4408P.


MdF. En quoi les liens entre Jean Hugo et la région de Montpellier influencent-ils sa pratique ?

MH. C’est une région naturellement classique avec un équilibre des formes, un paysage de cyprès, de vignes, de coteaux, de mazets. Il retrouve ce paysage classique romain et l’héritage de Claude Lorrain, de Poussin qu’il cherche à retranscrire dans ce qu’il admire au quotidien. Il se rend à l’atelier très tôt le matin en faisant une promenade dans les abords du domaine du mas de Fourques. Il était un grand connaisseur du paysage autour de Lunel et de Montpellier. 

MdF. La scénographie tient une place importante. Quels partis pris vous ont-ils guidé avec Florence Hudowicz ?

MH. Le parti pris a été de proposer une scénographie festive, en ce qui concerne le musée Fabre selon l’idée de la scénographe Maud Martinot de mettre en avant l’aspect brillant des Années Folles à partir d’un cercle central, un salon réunissant un certain nombre de citations faisant office de lieu de repos et de lecture pour le visiteur à partir duquel des salles partent en rayons autour des différentes facettes de l’art de Jean Hugo. 

Nous partons de la Première Guerre mondiale avec ses dessins, puis la découverte des grands ainés avec trois figures tutélaires que sont le Douanier Rousseau, Picasso et Roger de la Fresnaye. Nous traversons ensuite les Années 20 et le mariage avec Valentine, les costumes de théâtre, les fêtes mémorables comme celles du Comte Etienne de Beaumont. Toute la haute société, les cercles mondains, les cabarets, le Bœuf sur le Toit avec le magnifique tableau de Picabia L’œil cacodylate, (prêt exceptionnel du Centre Pompidou). Le monde des décorateurs est aussi évoqué avec des commandes de particuliers comme le décor pour la chambre de la princesse Faucigny Lucigne, les intérieurs de Rosita de Castries ou les paravents de Misia Sert. 

Une salle entière est dédiée à sa conversion à la peinture à partir de son installation au mas de Fourques en 1929 et toutes ses réflexions et évolutions en particulier son admiration pour les Primitifs Italiens, Ingres et Poussin. Le parcours se termine autour de ses affinités avec le couturier et peintre Christian Bérard grand créateur de costumes de théâtre et de mode pour Christian Dior. Cet artiste encore méconnu du grand public bénéficie d’une redécouverte récente. Le retour à la scène se fait pour Jean Hugo au moment où il est sollicité par la Comédie Française pour le Centenaire de Ruy Blas en 1938 et son amitié avec la grande tragédienne Marie Bell et les créations de décors et costumes pour les pièces de Racine et Shakespeare. Jean Hugo est au véritablement centre de toute l’intelligentsia du Paris de l’après-guerre.

Au contraire l’exposition de Sète montre tout son enracinement dans le paysage, sa fidélité aux natures mortes, sa quête d’harmonie. Un 2ème volet largement développé autour d’une créativité nouvelle. 

MdF. Vous m’annonciez le chantier de l’extension lors d’un entretien en juin 2023 : quelles sont les prochaines étapes ?

MH. Si l’on reprend la chronologie, le musée Fabre est resté relativement à l’étroit dans ses murs jusqu’en 1999/2000 au moment où le Maire de l’époque Georges Frêche, décide de construire une nouvelle médiathèque et de sortir la bibliothèque du bâtiment. Cette médiathèque Emile Zola a été conçue par le grand architecte Paul Chemetov décédé il y a peu de temps. Cela a représenté une chance historique pour le musée Fabre de décupler ses volumes et presque tripler ses surfaces. J’ai eu la chance d’accompagner cette rénovation qui a fait entrer le musée dans la modernité de son époque, de redéployer les collections, les mettre en valeur et les enrichir de très nombreuses œuvres à la fois anciennes et contemporaines. Cette grande aventure de la rénovation s’est conclue en 2007 avec la réouverture du bâtiment même s’il manquait au musée une place pour l’art contemporain. Ce projet actuel permet ainsi de gagner environ 900 m2 et ainsi de redéployer ses collections contemporaines que j’ai pu enrichir à travers de nombreux achats et de nombreuses donations d’artistes. Ce nouveau chapitre va s’engager à partir de la fin de l’année 2025 jusqu’au 2028 avec cette extension qui permettra à terme d’ouvrir de nouvelles salles d’exposition sous le parvis du musée, permettant ainsi aux salles actuelles d’exposition d’être réaffectées aux collections permanentes. Ce chapitre va se conclure avec le bicentenaire du musée, créé par le peintre néo-classique et collectionneur François Xavier Fabre qui pose les jalons en 1828 de la création à Montpellier d’un musée d’une taille et d’une renommée européennes. Une célébration à la hauteur de cette institution historique qui s’inscrit pleinement dans le 21èmesiècle de par son rayonnement. 

MdF. Le musée sera-t-il maintenu ouvert tout au long des travaux de l’extension ?

MH. C’est l’un des enjeux de l’extension de maintenir l’ouverture du musée à la différence de la première rénovation qui avait nécessité sa fermeture complète de 2003 à 2007. Cette fois et même si nous allons avoir des circulations quelque peu impactées, notre objectif est de laisser le musée Fabre accessible et ouvert jusqu’en 2028. Étant donné sa renommée nationale et internationale, nous ne pouvions pas envisager de le voir disparaitre de l’actualité des grands équipements culturels de la région. 

Infos pratiques :

Jean Hugo, le Regard magique 

Du 28 juin au 13 octobre 2024 

Musée Fabre, 39 Bd Bonne Nouvelle, Montpellier

https://www.museefabre.fr/jean-hugo-le-regard-magique

Second Volet : 

Jean Hugo entre ciel et terre 

Du 29 juin au 13 octobre 2024 

Musée Paul Valéry, 148 rue François Desnoyer, Sète