Des « mondes souterrains » réels et fantasmés entre stupeur et effroi au musée du Louvre Lens

Eva Jospin, Extrait de l’œuvre Nymphées, 2022 collection de l’artiste photo Benoit Fougeirol

« Mondes souterrains : 20 000 lieux sous la terre » réunit au musée du Louvre Lens plus de 200 œuvres de l’Antiquité à nos jours dans un parcours foisonnant où le cheminement du visiteur oscille entre les profondeurs de la terre et les mystères insondables de l’inconscient. Une quête initiatique des entrailles de l’enfer au renouveau de la lumière selon une dramaturgie allant crescendo entre l’abime et l’effroi, le précipice ou le ravissement. Tel Enée nous partons pour une traversée dont l’issue reste incertaine avec pour guide la Sibylle, prophétesse de l’au-delà. Une traversée périlleuse du Styx sur la barque de Charon peuplée de créatures monstrueuses dans un paysage de gouffres et de failles (Mucha, John Martin), volcans (Christo), selon les récits de Dante inspirés de Virgile et abondement repris dans les arts (Courbet, Gustave Doré, Delacroix, Rodin). Des abîmes et précipices, cauchemars, prisons de l’esprit autant que du corps (Piranèse), nécropoles, catacombes, allant jusqu’à la folie (Sade) et l’enterrement vivant (Maurizio Cattelan). Comme le résume à grands traits Annabelle Ténèze, directrice du musée : « Des enfers de Virgile et de Dante jusqu’au métro et catacombes ! ». Le mineur qui renvoie à l’ADN même du Louvre Lens et son ancrage est un héros moderne, victime expiatoire de ce monde de noirceurs et de dangers, de même que les hommes broyés par la machine de Fritz Lang, Metropolis.

Vue de la caverne des géants près de Saillon Gustave COURBET 1873 © Musée de Pïcardie _photo Michel Bourguet

Le point de bascule du parcours s’opère autour du Mythe de la caverne de Platon magistralement retranscris avec l’installation de l’artiste Huang Yong Ping. C’est par l’accès à la connaissance que la remontée à la surface s’engage dans le sillage de déesses de la fertilité (Artémis d’Ephèse), fontaines de jouvence (Burne-Jones) et mondes merveilleux des cabinets de curiosité. L’arche dessinée par l’œuvre d’Eva Jospin inspirée des grottes artificielles des villas romaines rejoue ce décor enchanteur. L’un des temps forts du parcours où l’on peut reprendre son souffle. La vague du grotesque devient un répertoire décoratif comme avec le céramiste Bernard de Palissy et ses hybridations multiples (coquillages, textiles).

Jean Francis Auburtin (1866-1930). « Chants sur l’eau ». Musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris, Petit Palais.

La question des abris, des refuges, de la ville sous-terraine et des utopies post-modernes se cristallise autour du métro, un chantier titanesque lancé à l’occasion de l’Exposition universelle et Jeux Olympiques de 1900. Espace transitoire, il est un lieu de brassage ou de promiscuité, symbole de contre cultures. Son caractère ambigu est soulevé par le tableau de l’artiste Balil Hamad, artiste que j’avais interviewé à son atelier de Push. L’Attente est cet homme sur le seuil de quelque chose. De même avec l’artiste et boxeur Rakajoo qui souligne la diversité des rencontres et personnages (cf mon interview à la galerie Danysz).

Vue de l’exposition « Mondes souterrains : 20 000 lieux sous la terre », Louvre Lens photo Laurent Lamacz

Le prologue se joue autour de 3 œuvres : les cosmogonies souterraines de Fantin Leroux à partir de ses cartographies clandestines dans le métro, Le Fil d’or du peintre préraphaélite John Melhuish Strudwick autour du cycle de la vie et la pelle bricolée de Laure Prouvost, « Reading shovel ». L’artiste originaire du nord à la renommée internationale (Turner Prize) tisse toute une narration autour de son grand-père creusant un tunnel depuis son salon jusqu’en Afrique avec la dite pelle qui se transforme en un support de lecture (loupe, images d’art…). D’un objet industriel, présent dans la mine, elle propose une dérive poétique invitant chacun à creuser dans les méandres de sa psyché et devenir archéologue de sa mémoire. Une lecture psychanalytique qui referme cette belle et haletante traversée dont on ne ressort pas indemne.

A suivre Interview avec Annabelle Tenèze, directrice du musée du Louvre Lens.

Catalogue Coédition Lienart éditions musée du Louvre Lens, 392 pages, 39 €

(disponible à la librairie boutique du musée)

Infos pratiques :

Mondes souterrains : 20 000 lieux sous la terre

Jusqu’au 22 juillet 2024

Exposition Mondes souterrains – Louvre-Lens (louvrelens.fr)