Véronique Collard-Bovy, « Un changement de paradigme important dans ma vie professionnelle »

Centre d’Art Contemporain Châteauvert Credit photo Faustine Reibaud Nicoli

Ambitieux projet pour Véronique Collard-Bovy pour FRÆME (Friche la Belle de Mai) à l’image de son engagement pour l’art ; « Des grains de poussière sur la mer » est une exposition conçueavec l’universitaire et chercheuse américaine  Arden Sherman (Hunter College à New York)ayant connu plusieurs occurrences aux Etats Unis et en France, la plus récente à la Ferme du Buisson. Donner à voir cette scène des Caraïbes française encore mal connue et sortir des biais surplombants et simplificateurs, pour repenser le centre et la périphérie tels sont les objectifs poursuivis. Véronique Collard Bovy a souhaité compléter la perspective avec des œuvres du CNAP. Le parcours s’ouvre sur l’œuvre de Yoan Sorin entre sculpture et performance, sorte de bricolage empirique issu de son ancrage caraïbéen. A ne pas manquer également l’installation de Jean-François Boclé (prêt du Mrac Occitanie) au titre évocateur Consommons racial ! Une étagère de produits de consommation courante qui renvoie au racisme ordinaire, du tout blanc au tout noir. On retient aussi les silhouettes suspendues et flottantes d’Ernest Breleur de la série Féminin conçues à partir de matériaux récupérés ou encore l’ex voto de Nathalie Leroy Fiévée en hommage à sa grand-mère et à ses racines Guyanaises, les céramiques métissées de Kira Tippenhauer…Autant de métaphores en creux pour dépasser le traumatisme originel, les zones grises de l’histoire.

Nouvelle aventure à présent pour Véronique Collard-Bovy qui depuis avril 2024, a pris la direction du Centre d’art contemporain à Châteauvert, succédant à Lydie Marchi.

Niché dans un écrin de verdure (Valon de Sourn, Provence Verte), le centre d’art et parc de sculptures, outre des résidences d’artistes organise des expositions temporaires. Pierre Ardouvin et Thomas Mailaender (qui bénéficie par ailleurs d’exposition à la MEP) sont à l’honneur pour cette nouvelle saison. Véronique nous dévoile son projet et ses ambitions pour ce lieu. 

Véronique Collard-Bovy fut précédemment directrice générale de FRÆME basé à la Friche la Belle de Mai, Marseille, en charge de la production du salon international d’art contemporain Art-O-Rama aux côtés de son directeur Jérôme Pantalacci. Elle a été accompagnée d’une équipe aux compétences complémentaires, développant un large éventail d’actions pour les artistes contemporain.e.s en direction de tous les publics, travaillant autant avec des organisations publiques que des fondations privées telles que la Fondation GIMS, la fondation LUMA-Arles ou encore la Fondation Carmignac.  Elle a par ailleurs été commissaire de nombreuses expositions monographiques d’envergure internationale telles que Graham Eatough & Graham Fagen : « In Camera » (2016) ; Atelier Van Lieshout : « The Butcher » (2013) ; Norma Jeane « Sleeping Beauty Goes Wild » (2009) ; Michel Auder : « Viewer and Participant » (2005), ou encore des expositions collectives telles que « Les Possédés » (2016), en collaboration avec Jérôme Pantalacci et les 18 collectionneurs prêteurs, ou encore « FOMO » (2016) en co-commissariat avec Caroline Hancock, Nathalie Kovacs et Léo Guy Denarcy. 

photo Marcel Lowres

Comment s’est organisé votre rencontre et travail avec la chercheuse et universitaire américaine Arden Sherman pour Des grains de poussière sur la mer ?

Arden Sherman s’est rapprochée de Fraeme il y a un peu plus de deux ans, sur les conseils notamment d’Olivier Le Falher, en charge des arts visuels, du design et de l’architecture pour la Villa Albertine, avec qui Arden avait collaboré pour les itérations de l’exposition aux Etats-Unis depuis 2018. Elle a pu organiser un trajet en France et rencontrer les différents centres d’art qui avaient répondu positivement à l’accueil de l’exposition, à savoir, la Ferme du Buisson (Noisiel, Seine-et-Marne), la Villa du Parc (Annemasse, Haute-Savoie) et la Passerelle, centre d’art contemporain d’intérêt national à Brest. Le principe général porté par la commissaire permettait à chaque structure d’enrichir la proposition initiale par de nouvelles productions et d’en offrir aux publics une version différente et augmentée. Pour notre part, nous avions pu visiter l’exposition présentée à la Ferme du Buisson et ainsi, véritablement, prendre en compte les œuvres et la cohérence de l’accrochage en cette occasion. C’est ainsi tout naturellement, dans un aller-retour fluide et généreux pour les artistes il me semble, que nous avons proposé d’enrichir la version originale, d’une part, de prêts effectués auprès du CNAP. Ce faisant, au-delà de la présence inédite d’œuvres majeures issues de la collection comme celles de Jean-François Boclé, Gaëlle Choisne, Kenny Duncan ou Louisa Marajo, ce partenariat avec le CNAP nous a permis d’inviter un grand absent de l’exposition initiale, Ernest Breleur, artiste de la première importance. Parallèlement, au regard de la pratique contextuelle de Yoan Sorin et de son ancrage dans notre territoire, il nous semblait important de l’inviter à penser une nouvelle production pour l’exposition, c’est ainsi que l’œuvre « Pièces détachées », 2024 s’est installée à l’entrée de l’exposition. Enfin pour compléter cette inscription territoriale, nous avons dialogué avec l’artiste basée à Marseille, Françoise Sémiramoth, et souhaité ensemble présenter l’œuvre vidéo « Caravage Créole », pour laquelle l’artiste a collaboré avec son amie l’écrivaine guadeloupéenne Maryse Condé, rendant sa présence fondatrice pour l’exposition.

Vue de l’exposition « Des grains de poussière sur la mer », La Ferme du Buisson, 2022-23, avec les œuvres de Vladimir Cybil Charlier, Julie Bessard, Kenny Dunkan, Adler Guerrier et Raphaël Barontini, © photo Émile Ouroumov

L’exposition est itinérante et a ouvert à New-York offrant une perspective inédite à cette scène des Caraïbes française et d’Haïti : pourquoi un tel manque de visibilité jusqu’alors ?

Il est intéressant de penser, avec cette proposition inédite américaine, que la métropole n’est pas le référent géographique le plus puissant pour les Caraïbes françaises. Cela rebat un peu les cartes de certitudes installées et questionne ce manque de visibilité. Le grand temps fort « un champ d’îles » au sein duquel l’exposition était présentée aura permis de mieux le comprendre par la puissance des échanges inauguraux lors du symposium de février, puis récemment clôturés par le Festival porté par France Télévision avec la conférence de Patrick Chamoiseau, qui inscrit dans la continuité d’Edouard Glissant les Antilles Françaises dans ce vortex relationnel. Pour notre part, il nous semblait important d’accueillir ce regard émanant du continent américain porté sur les territoires d’Outre-mer, Chamoiseau questionnant ce terme puissamment sans pour autant vouloir le rayer tant que les relations resteraient inchangées, et ainsi l’amplifier. Si Arden Sherman y introduit des artistes d’Haïti et ses diasporas, dont le statut d’ancienne colonie française vient percuter une géographie installée, c’est également pour éclairer nos relations, les élargir et peut-être modifier les récits historiques.

Qu’est-ce qui ressort de ce panorama ?

Je crois qu’il s’agit moins d’un panorama que d’un espace relationnel pensé par Arden Sherman avec les artistes sollicités, elle dit d’ailleurs dans son texte : « Les Caraïbes françaises et Haïti ne sauraient ainsi se laisser définir ni par leur beauté « exotique », ni par leur histoire traumatique. Les artistes jouent au contraire sur tous les tableaux, en exprimant leurs relations personnelles avec le patrimoine, en naviguant dans un monde de l’art contemporain globalisé et en regardant par-delà leurs origines culturelles pour trouver idées et inspirations. L’exposition met en scène plusieurs approches matérielles et conceptuelles qui témoignent des pratiques des vingt-huit artistes de cette région du monde tout en posant la question de savoir qui est au « centre » et qui est à la « périphérie ». Les œuvres, placées à proximité et en conversation directe les unes avec les autres, forment un réseau d’idées autour du patrimoine, de l’histoire, de l’identité, du corps social et de la politique. »

Décoloniser les imaginaires : cela passe par quoi selon vous ?

Lorsque N’Gone Fall accepta la mission de porter Africa 2020 pour l’Elysée, elle imposa un mode relationnel s’appuyant sur la carte blanche à un.e artiste ou à un.e commissaire, s’agissant des arts visuels, réitérant ce processus programmatique à l’ensemble des disciplines artistiques. Ce faisant, elle affirmait la puissance des points de vue issus du continent africain et de ses diasporas dans un rapport directement décolonial il me semble, courcircuitant ainsi les schémas programmatiques usuels et installant d’autres modalités relationnelles. Ces approches, ces projets artistiques et culturels participent à ce mouvement. Si l’on se réfère à la pensée de Glissant explicité brillamment par Patrick Chamoiseau, il s’agit d’incorporer en soi l’ensemble des luttes des minorités, des marges, des périphéries prises sous la toile du global afin de faire surgir des cœurs de narrations.

Centre d’Art Contemporain Châteauvert Credit photo Faustine Reibaud Nicoli

Vous ouvrez un nouveau chapitre au Centre d’art contemporain de Chateauvert : qu’est-ce que ce lieu vous inspire ?

Le Centre d’art contemporain à Châteauvert de l’Agglomération Provence Verte, est un espace comportant plusieurs dynamiques et dimensions qui s’entrecroisent. Le bâtiment recevant le public est entouré d’un parc de sculpture classé Natura 2000 où les œuvres, dans leur diversité d’approches esthétiques et de recherches, pourvue que l’on s’y attarde quelque peu, décrivent en creux l’histoire de leur relation à l’espace et au vivant et de leur prise en compte. Ce lieu me permet un changement de paradigme important dans ma vie professionnelle. Il est possible de conjuguer au présent et dans une perspective dont le référentiel principal est le vivant, les questions sociétales qui nous bousculent et ce, dans une échelle territoriale où l’expérimentation est possible.

Centre d’Art Contemporain Châteauvert Credit photo Faustine Reibaud Nicoli

Quel projet y défendez-vous ?

Les grandes lignes du projet artistique et culturel du Le Centre d’art contemporain à Châteauvert de l’Agglomération Provence Verte seront dévoilées cet automne, ceci étant dit, il est à considérer la consolidation et le renforcement d’un ancrage territorial tout en ouvrant les expositions à une géographie plus large dans une approche transdisciplinaire. Le contexte évoqué plus haut, l’espace naturel protégé, étant l’écrin au sein duquel les projets, expositions et résidences sont pensés. Enfin et ce travail est essentiel ici, le Centre d’Art à Châteauvert de l’Agglomération Provence verte déploie de nombreuses actions hors les murs, auprès de publics spécifiques, les crèches, les scolaires mais également les organisations et associations relevant du champ social, du secteur médical et hospitalier, pour un maillage territorial dense et d’une grande richesse, permettant ainsi à de nombreux artistes d’y intervenir.

Photo Florian Kleinefenn © Pierre Ardouvin ADAGP

Le titre de l’exposition de Pierre Ardouvin Parade renvoie à une œuvre produite pour l’occasion : pouvez-vous nous en décrire les enjeux ?

Il me semble qu’avec Parade, à la fois titre de l’exposition et œuvre produite spécifiquement pour celle-ci, il s’agit pour Pierre Ardouvin de poser à minima un double contexte. S’il fait, bien sûr, référence ici au film éponyme de Jacques Tati, où le réalisateur s’incarne en monsieur Loyal créant une situation où les spectateurs deviennent les acteurs, l’artiste nous invite dans son « chapiteau » qu’est l’espace d’exposition à tourner autour ou entrer dans l’espace scénique, de pénétrer en quelque sorte les assemblages disparates d’objets du quotidien formant des « manèges domestiques ». Dans un même mouvement, Parade est aussi la reconstitution fantasmatique d’un petit monde chaotique où ce nom s’épaissit d’autres possibilités de scénarios pour suggérer également l’évitement, la riposte, la diversion face à un imprévu ou une attaque, de l’espoir donc !

Infos pratiques :

« Des grains de poussière sur la mer »

Saison  « Un champ d’îles »

Une proposition de Fraeme

Friche la Belle de Mai, Marseille

Jusqu’au 28 juillet

https://www.lafriche.org/

« PARADE »
Pierre Ardouvin

Exposition du 28 JUIN au 1er DÉCEMBRE 2024

Parc de sculptures

Thomas Mailaender

« Commande de la maison dite du Pont », œuvre pérenne 

Centre d’art contemporain 460 Chemin de la Réparade 83670 Châteauvert

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Centre d’Art Contemporain : Artistes / Galeries à Châteauvert (la-provence-verte.net)