Delphine Dumont , Hangar, Bruxelles : « Interroger l’essence même du médium photographique et son caractère unique » 

© Laure Winants, Time Capsule (2023-2024)

Le coton et la soie, le charbon, le stylo bille, la gélatine mais aussi les méduses, les plantes médicinales, les algues, la calotte glaciaire …les expérimentations des 21 artistes réunis au Hangar Photo Center à Bruxelles poussent loin les limites photo sensibles. Se mesurer à la disparition de l’image, ressusciter ses fantômes, convoquer le geste à l’ère de la « reproductibilité technique », pour paraphraser Walter Benjamin, de la surexposition de l’ego et pulsion scopique, ces artistes font le grand écart entre les techniques archaïques (cyanotypes, chimigrammes..) et les avancées de l’IA comme le souligne Delphine Dumont, directrice de Hangar. Une exposition manifeste sur le hasard et la trace, la mutation et le hors-champ, ayant de nombreuses répercussions contemporaines : menaces climatiques, quêtes identitaires, assignations en tous genres…Plusieurs œuvres ont été réalisées in situ comme une spectaculaire « mue » de Sylvie Bonnot toujours très impactante. Delphine Dumont revient sur le bilan de la dernière exposition sur l’Ukraine et nous dévoile le prochain projet : l’ouverture de Hangar Gallery, un prolongement naturel de la vocation de tremplin de Hangar, souligne-t-elle. Elle a répondu à mes questions.

Marie de la Fresnaye. Quelles sont les origines de l’exposition ?

Delphine Dumont. Le projet s’est concrétisé il y a un an lors de la présentation au Hangar par Michel Poivert de son dernier ouvrage Contre-culture dans la photographie contemporaine qui rejoignait notre idée de départ d’une exposition sur l’œuvre unique. Une tendance actuelle de la photographie qui fait le grand écart entre un retour à des procédés anciens et des interventions manuelles sur le tirage jusqu’à la percée de l’intelligence artificielle. Une ambivalence et un moment particulièrement riche de la photographie qui s’inscrit dans les missions que nous défendons au Hangar. Des expérimentations qui repoussent les limites mêmes du medium jusqu’à se demander où est le tirage. Certains visiteurs s’interrogent là-dessus pouvant se croire dans une exposition d’art conceptuel. 

© Sylvie Bonnot, Corps de brume (2024)

MdF Comment s’est opéré la sélection des artistes ?

DD. Nous connaissions la plupart des artistes présentés beaucoup étant installés à Bruxelles. Nous pouvons ainsi suivre leur travail. Nous avons près de 300 œuvres réunies et il était important de trouver un fil directeur et de séquencer le parcours. Au-delà de la prouesse ou la dextérité manuelle nous cherchions un propos et un questionnement, tels que l’écologie, la mémoire, l’identité. Beaucoup d’artistes altèrent le tirage pour interroger sa trace, son essence, sa finalité. 

Certains travaux étaient déjà existants et d’autres ont souhaité créer une œuvre spécifique pour l’occasion comme Sylvie Bonnot qui est intervenue sur place réalisant pour la première fois une mue de 9m2 à partir de la gélatine qu’elle décolle et repositionne sur différentes surfaces. Dana Cojbuc qui prolonge la photographie en noir et blanc par le dessin a également conçu une installation in situ. Après l’Ukraine ou nous avions travaillé à distance à partir de fichiers numériques, ce contact avec les artistes était une expérience formidable. Nous retrouvions cet esprit de communauté, cette famille qui nous anime au Hangar !

© Morvarid K, « Temps 3.8 », This Too Shall Pass(2022)

MdF. Qu’est-ce qui se dégage de ce panorama ?

DD. Je précise qu’en termes de processus de sélection nous sommes plusieurs à prendre les décisions et proposons chacun des artistes qui doivent emporter un consensus général. 

Différentes thématiques sont apparues assez vite comme la sauvegarde des forêts (Douglas Mandry, Morvarid K) et les problématiques liées à la disparition des écosystèmes (Nicolas Andry, Pepe Atocha). Également le travail sur la mémoire et les souvenirs (maison de sa grand-mère par Vincent Zanni, convocation d’œuvres découvertes dans les musées par Luc Praet), la place de la femme (Audrey Guttman) ou l’identité féminine (Marina Font, Anys Reimann). Il se dégage un ensemble d’œuvres très contemplatives. 

MdF. Est-ce un portait générationnel ?

DD. On pourrait croire qu’il s’agit d’une jeune génération même si nous avons aussi des artistes quarantenaires et cinquantenaires. Nous retrouvons aussi des artistes suivis depuis leur sortie de la Cambre comme Alice Pallot. 

Catalogue UNIQUE édition Hangar

MdF. Quels partis pris pour le catalogue ?

DD. Sa forme rappelle un carnet de croquis assez brut avec 2 partis pris ; d’une part une photographie de chaque artiste dans son lieu de création et d’autre part la réponse à la question suivante : « Pourquoi avez-vous choisi d’outrepasser le tirage photographique ? ». Leurs réponses forment une sorte de manifeste en soi. Ce qui ressort des témoignages est un besoin de se mettre sur pause, comme cela avait été le cas lors de nos expositions du confinement ; un besoin de solitude, d’isolement et de temps. Le temps qui s’étire comme dans le travail de Lior Gal qui entoure d’un fil les œuvres au fil de longues randonnées pédestres. Cette invitation à décélérer implique également le visiteur. 

MdF. L’on constate un retour en force des techniques archaïques

DD. Nous avions pensé à un moment lister toutes ces techniques même si c’était le projet artistique qui nous intéressait avant tout. Le cyanotypie est la technique qui ressort le plus actuellement. Il ressort aussi la photographie sans l’appareil. La problématique est comment laisser une trace éphémère ou non. L’autre point commun est le geste.

Citons le projet d’Antoine De Winter, médecin de jour et artiste de nuit pourrait-on résumer, qui utilise l’intelligence artificielle pour interroger l’ego dans la sphère numérique en recourant au cyanotype. 

MdF. Quel bilan de l’exposition sur l’Ukraine Generation of Resilience ?

DD. L’exposition a été très bien reçue et a suscité beaucoup d’émotion comme lorsque nous avons accueilli Alexander Chekmenev, un photographe de Kiev, le seul artiste homme autorisé à se déplacer, étant grand reporter. J’ai été frappée par sa réaction quand il m’a confié à quel point le calme de sa chambre d’hôtel bruxelloise contrastait avec les bombes et les nuits sans sommeil. Je tenais à montrer les artistes historiques de cette scène comme Boris Mikhaïlov et nous y avons consacré tout le rez-de-chaussée dont des images vintages montrées à la Pinault Collection. Une découverte pour le public belge. 

Le public était moins nombreux que d’habitude mais très connaisseur de l’histoire de la photographie. Nous ne voulions pas nous cantonner à du photojournalisme. Ce qui était bouleversant était cette jeune génération qui se retrouve piégée comme lors du confinement. La curatrice Kateryna Radchenko est à l’origine du festival Odessa Photo Days. Comme elle proposait une publication dans ce cadre, nous avons décidé de soutenir ce projet plutôt que d’envisager un catalogue. Nous l’avons rencontré une première fois à Vienne puis à Arles. Nous avons dû ensuite travailler dans l’urgence. 

MdF. En ce qui concerne les prochains projets : pouvez-vous nous en dire plus sur Hangar Gallery et son positionnement ?

DD. En janvier 2025 nous allons proposer une exposition sur l’intelligence artificielle avec une sélection sur appel à projets. En septembre nous exposerons Stéphan Vanfleteren et lançons Hangar Gallery. 

Cela fait longtemps que des artistes me demandent de les représenter. A présent que je dispose d’une équipe suffisante on peut l’envisager. Nous allons représenter 9 artistes avant tout belges. Des artistes qui bousculent les codes, à l’image de ce que nous revendiquons ici. Nous avons déjà amorcé des collaborations ponctuelles autour des expositions. Nous allons poursuivre notre travail de centre d’art tout en ouvrant ce nouvel espace dédié qui sera clairement identifié. Plus que jamais, la visite du Hangar sera une expérience à vivre, dont la vente d’œuvres, le bookshop et.. le café ! 

Liste des artistes 

NICOLAS ANDRY; PEPE ATOCHA; SYLVIE BONNOT; ALIKI CHRISTOFOROU; DANA COJBUC ; ANTOINE DE WINTER; GUNDI FALK; MARINA FONT; LIOR GAL; AUDREY GUTTMAN; ROMANE ISKARIA; MORVARID K; KÍRA KRÁSZ; DOUGLAS MANDRY; ALICE PALLOT; RAPHAËLLE PERIA; LUC PRAET; ANYS REIMANN; STEPHAN VANFLETEREN; LAURE WINANTS; VINCENT ZANNI.

Catalogue UNIQUE édition trilingue 45 

Infos pratiques :

Unique, beyond photography 

Jusqu’au 8 juin 

https://www.hangar.art/unique

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