Lucile Hitier, Centre d’art l’ar[T]senal : « L’art est un vecteur de lien social et de réinsertion merveilleux qu’il faut encourager et protéger »

Vues de l’exposition Inspiré.e.s – Acte 4 – Dessin Contemporain au Centre d’art contemporain l’ar[T]senal, Dreux, 2024

Après un parcours en galeries, institutions publiques et privées, monde associatif, Lucile Hitier décide de se tourner vers l’intérêt général et le service public. Le centre d’art contemporain l’ar[T]senal à Dreux, équipement municipal soutenu par la Drac et le Conseil Régional Centre Val-de-Loire où tout était à construire lui semble le vecteur idéal pour poursuivre ses projets de diffusion culturelle, d’accompagnement du public et de soutien à la création qu’elle soit territoriale, nationale ou internationale. À travers deux expositions annuelles collectives in situ et deux expositions hors-les-murs, l’ar[T]senal doté d’un bâtiment post industriel lumineux, s’inscrit en plein cœur de ville dans une nouvelle dynamique. Lucile Hitier directrice du centre, nous décrypte le projet artistique et culturel de l’équipement et les enjeux de l’actuelle exposition tournée vers le dessin au sens large dans le cadre du cycle « art et techniques ». Elle envisage de nombreux partenariats au sein d’une région riche en structures d’art et initiatives avec notamment la perspective « Bourges 2028 Nouvelles Renaissances ». Un contexte qu’elle juge très porteur.

Lucile Hitier

Qu’est-ce qui vous motivait avec l’ar[T]senal?

J’ai une formation en management culturel, spécialité art contemporain avec une approche assez large et je cherchais un poste qui me permette de remplir toutes les missions transversales inhérentes à mon métier qui au-delà du commissariat d’exposition couvre les composantes de la politique culturelle, du financement de la culture, de l’accompagnement des publics de la culture, du soutien à la création et à la professionnalisation des artistes. De plus, il était intéressant pour moi d’arriver dans un centre d’art où il y avait tout à construire.

Parcours

J’ai eu des expériences autant en galeries qu’auprès de collections privées (Rosenblum Collection & Friends), d’opérateurs publics (CNAP) ou d’institutions (Galeries des Galeries). Jeune diplômée à 23 ans je me sentais un profil de couteau-suisse avec l’envie de me lancer dans le montage de projets. J’ai monté une structure et aie commencé à accompagner des galeries dans leurs projets extérieurs comme Bernard Utudjian (galerie Polaris), Anne Barrault, Benoit Porcher (Semiose), Bernard Jordan autour d’outils de communication, de médiation, logistique avec notamment le Sunday’s Screening, programme évènementiel de projection vidéo autour d’un parcours réunissant plusieurs galeries. Puis j’ai participé au 3 Days in Paris autour du dessin contemporain en préfiguration de Drawing Now à l’initiative de Bernard Jordan qui cherchait à déployer le projet de Suisse en France. Puis les weekend de collectionneurs en Région « Une partie de Campagne » où je pouvais mettre à profit toutes mes connaissances en ingénierie culturelle. J’ai pour synthétiser, orienté le début de ma vie professionnelle autour de la conduite de projets : parcours, logistique et programme. J’ai ensuite été chargée de communication pour une association intitulée « Connaissance de l’art contemporain » qui fonctionne sous forme de cycles de conférence à destination de plusieurs Conseils départementaux majoritairement dans le Grand  Paris suite à la volonté de décentralisation et démocratisation de la culture et de l’art contemporain. J’ai eu envie de m’investir dans l’intérêt général et le service public à la suite de ces différentes expériences.

Je souhaitais travailler en région car même si Paris est passionnant, c’est aussi beaucoup de « bruit culturel » avec l’idée d’aller toujours plus vite, alors que j’avais envie de m’ancrer dans un territoire pour valoriser les artistes appartenant à ce territoire et travailler pour et avec les publics.

Le fonctionnement, budget, masse salariale

Nous sommes passés de 2 personnes en 2016 à 7 en 2024. Une équipe ultra motivée et investie dans le projet pour communiquer, accueillir et accompagner les publics et les artistes. Il y a depuis le dernier mandat, une vraie volonté de la Ville en matière de Culture qui est vue comme un axe fort d’attractivité et de vivre ensemble. Si l’on reprend l’historique en 2012 un bail emphytéotique avait été conclu avec le Conseil départemental d’Eure et Loire pour la réhabilitation et la programmation artistique partagée du lieu. Depuis 2019, c’est la ville qui porte à 100% la programmation du centre d’art. D’ailleurs, le Centre d’art contemporain est financé à majorité par la Ville de Dreux avec le soutien de la DRAC et de la Région Centre-Val de Loire pour la programmation artistique et l’éducation artistique et culturelle.

La programmation

Le centre d’art engage deux expositions in situ par an et deux expositions hors-les-murs, chaque programmation est entièrement tournée vers les publics par le biais de programmes didactiques. En ce qui concerne les expositions in situ l’une est orientée « art et techniques », l’autre « art et société ».

En rassemblant plusieurs artistes autour d’un même support de création le public peut ainsi appréhender l’œuvre non pas par le prisme du goût ou de l’esthétique, mais plutôt par le prisme de la reconnaissance de la technique employée par l’artiste et du contexte de création. Ces projets visent à faire tomber les réactions habituelles du « c’est moche », du « bien-fait, mal-fait », ou encore du « mon enfant de cinq ans en fait autant ».

De plus l’ar[T]senal met en place chaque année depuis 2022 deux dispositifs dédiés à la création émergente dans son annexe : la Chapelle de l’Hôtel-Dieu. Les dispositifs « Un artiste à la chapelle » et « Apparitions » encouragent la professionnalisation des artistes-auteurs indépendants du territoire.

En 2025, l’ar[T]senal ouvrira dans sa programmation une nouvelle série d’expositions, cette fois monographique pour offrir à un artiste vivant et travaillant en Région Centre-Val de Loire un espace de diffusion personnel en partenariat avec le réseau Document d’artiste Centre-Val de Loire.

Le public

L’idée a été de prendre par la main une première typologie de public avec en 2018 l’exposition HERI[T]AGES autour de la création contemporaine en lien avec des savoir-faire avec des artistes comme Wim Delvoye, Mathias Kiss, Maud Maris, Ghislain Bertholon ou encore Livia Marin qui trouvent leurs enjeux de production dans la technicité des Beaux-Arts ou Arts décoratif. Pour l’accentuer, avions noué un partenariat avec le musée d’art et d’histoire de Dreux pour une mise en dialogue de leur collection avec des œuvres résolument contemporaines.

Puis dans la continuité, l’exposition Nous sommes contemporains, forte de son vocabulaire urbain, s’adressait aux publics éloignés des institutions culturelles, mais passionnés par les phénomènes sociaux, identitaires incluant ainsi avec ce « Nous » tous les publics du territoire évoluant dans le même monde contemporain que les artistes invités : Denis Darzacq, Daniel Firman, Suzanne Husky, Martin Parr, Jeanne Susplugas ou encore Pascale Martine Tayou.

Je suis convaincue que l’art permet à tous les publics de prendre le temps de mieux lire et appréhender les composants de notre monde en dehors de toute passion médiatique. Les artistes nous donnent à voir un angle, un point de vue de ce qui les fascine, ou en tous les cas les interroge sur notre société. Construire une exposition, visiter une exposition, c’est aussi vivre un moment d’introspection pour contempler, se questionner et tenter de trouver sa place dans le contexte actuel, qu’importe nos origines géographiques, sociales ou notre identité.

L’exposition actuelle Inspiré.e.s – Acte 4 – Dessin contemporain

Cette exposition s’inscrit dans la volonté d’accompagner autant des artistes de la région et des artistes de la scène nationale ou internationale comme avec Fabien Mérelle et Massinissa Selmani, actifs sur la scène nationale et internationale et ancrés dans la Région-Centre Val de Loire. L’idée est de donner l’opportunité à des artistes du territoire de rencontrer des artistes d’autres scènes et ainsi développer les réseaux en faisant cohabiter des artistes émergents et des artistes plus confirmés. À l’occasion de l’exposition art textile nous avions présenté le travail de Lux Miranda, Aurore Halpert ou encore Bojana Nikcevic, artiste vivant dans la région et travaillant dans les ateliers de La Morinerie à Saint-Pierre-des-corps aux côtés de Claude Como, ou Olga Boldyreff artiste de la scène française, au côtés de Joana Vasconcelos ou Sheila Hicks artistes mondialement connues.

Dans toutes les expositions « art et techniques » que nous portons, nous cherchons à dépasser les limites de chaque médium et à faire dialoguer les œuvres comme par exemple Élise Beaucousin et Mathieu Dufois qui travaillent l’architecture, Fabien Mérelle, Morgane Baltzer et Émilie Breux qui développent un vocabulaire autour des vivants, humain ou du végétal, Mélissande Herdier et Julie Ode-Vérin qui partagent le minéral, que l’on retrouve aussi chez Fabien Mérelle. L’idée étant de donner à voir différents matériaux du dessin comme Nicolas Daubanes avec la limaille de fer, Fabien Mérelle l’encre et le crayon gris, Jérôme Zonder le fusain, Emilie Breux le crayon de couleur, et présenter les formes de présentations du dessin (vidéo, sculpture, au mur, au sol..) et différentes tonalités envisagées à travers le lui : la représentation du réel mais aussi l’émotion, la mémoire, la sensation, le vécu. Il n’y a pas de cheminement de visite imposé pour les expositions art et techniques. Nous proposons au public se laisser happé par une œuvre qui le fascine et de le laisser libre de se retourner pour s’engager dans la rencontre d’un autre univers. Le volume offert par nos espaces : le hall, les ailes latérales et les étages permet de créer une scénographie en perspectives où les œuvres peuvent s’épanouir et se répondre.

La prochaine exposition appartiendra à la série d’exposition « Art et société ». Après Manifestations artistiques, nous ouvrirons l’exposition Rien sans vous et accueillerons une sélection d’artistes issus du territoire régional et national. Cette exposition s’inscrira dans le cadre du festival de région arTchipel et nous donnera à nouveau l’occasion de présenter également des œuvres de la collection du Centre Pompidou. Elle aura lieu de juin à janvier autour d’une relecture de l’esthétique relationnelle, avec majoritairement une sélection d’œuvres participatives, inclusives. Sans le public il n’y a pas œuvre.

Artistes en résidence

Depuis 2019, le Centre d’art accueille des artistes en résidence de transmission et de création à l’occasion de ses expositions, mais également en parallèle de celles-ci avec des structures partenaires du champ social ou médico-social.

Les partenariats

Depuis 2022, le dispositif intitulé « Apparitions » chaque année en partenariat avec une nouvelle Ecole Nationale des Beaux-Arts de la région Centre ou des Régions limitrophes, vise à proposer et accompagner les jeunes artistes récemment diplômés. C’est un projet à valeur de tremplin. Les artistes sont confrontés à une première exposition avec l’équipe d’un Centre d’art. Ils font une expérience globale, de la réponse à un premier appel à projet à la transmission d’éléments en vue de l’accrochage, au transport, à l’assurance de leurs œuvres, mais doivent aussi pouvoir mener des entretiens auprès de la presse, répondre aux exigences de la résidence sur le territoire et adapter leur langage face à tous les publics.

À l’horizon 2025, l’écriture d’une convention pluriannuelle d’objectif avec la Drac Centre-Val de Loire, la Région Centre-Val de Loire, le Département d’Eure-et-Loir, l’Agglomération du pays de Dreux et la Ville de Dreux pour stabiliser l’équipement à long terme en vue d’une labellisation Centre d’art d’intérêt national future, mais aussi l’écriture commune d’une série d’expositions monographiques avec le réseau Régional Document d’artiste Centre-Val de Loire ou encore la mise en place d’un protocole de production et de diffusion responsable avec le CCCOD de Tours et le Centre d’art « Le Garage » à Amboise, en plus du partage de publics et d’événements culturels territoriaux avec l’Atelier à spectacle, scène conventionnée d’intérêt national de spectacle vivant de l’Agglo du pays de Dreux.

Infos pratiques :

Inspiré.e.s – Acte 4 – Dessin contemporain

Jusqu’au 26 mai 2024

Centre d’art contemporain, l’ar[T]senal

13, Place Mésirard 28100 Dreux 

L’ar[T]senal – Dreux