Marc-Olivier Wahler et Wim Delvoye au MAH Genève
L’inauguration de la 4ème carte-blanche du MAH à l’artiste Wim Delvoye au MAH a offert un brillant contre point en cette semaine d’Art Genève. Une invitation à la dissidence avec au centre une réflexion sur la valeur de l’œuvre et la démarche de collectionner. Qu’est-ce qu’accumuler dit de nos obsessions ? Qu’est-ce qui se cache derrière la hiérarchie du goût d’un musée occidental ? L’artiste belge étant un grand collectionneur lui-même, de numismatique, tableaux anciens mais aussi d’étiquettes Vache qui Rit, de cochons tatoués ou de machines à déféquer (les fameuses Cloaca), on imagine qu’il s’est plongé avec délectation dans l’exercice entretenant une conversation ininterrompue avec son complice de longue date Marc-Olivier Wahler et d’autres artistes tel que Panamarenko, équilibriste de l’apesanteur, Gordon Matta Clark le spécialiste du trou ou Fischli & Weiss, les ordonnanceurs du hasard. Entre pulsion scopique et peur du vide, le titre choisi « l’ordre des choses » nous met sur une fausse piste alors que l’on frise plus le chaos mais un chaos organisé, presque rationnel comme le revendique Wim Delvoye. S’il va jusqu’ à perforer des chefs d’œuvres de l’histoire de l’art (ou leur fac-similé) imaginer un circuit à billes dans une Venus, déshabiller des horloges chez les helvètes… son vandalisme reste civilisé. Twister le regard et Canova, s’intéresser autant au contenu qu’au contenant (fascinante collection d’étuis de toutes sortes), revendiquer le fait main (pneux et carrosseries customisés voisinant avec armures).. tout est histoire de transfert et de digestion chez le démiurge flamand. Digestion du regard et du corps dans une étourdissante mise en abyme alors que l’exposition se prolonge sous la forme d’une collection d’opercules pour petits pots de crème avec Les Laiteries Réunies Genève. Un « hors les murs » selon l’appellation en vigueur de l’art contemporain tout à fait inattendu mais parfaitement en phase avec l’époque. S’il qualifie l’ensemble de très suisse, il nous dit pourquoi, comparant cette expérience avec celle du Louvre ou du musée Pouchkine de Moscou.
Comment avez-vous accueilli l’invitation de Marc-Olivier Wahler d’une curation-carte blanche après 3 autres invitations ?
J’ai été immédiatement enthousiasmé par la proposition de Marc-Olivier. J’ai fait des expositions dans de grandes institutions des beaux-arts, comme le Louvre et Pouchkine a Moscou, mais je ne pouvais pas complètement faire ce que je voulais. Le MAH était beaucoup plus simple. Je profite également de mes prédécesseurs. Chacun d’entre eux a ouvert un peu plus le musée. Je suis tellement heureux d’être quatrième. Cela m’a obligé à regarder des objets plus « humbles » car la plupart des bons tableaux étaient déjà exposés par mes prédécesseurs. Cela m’a obligé à aller de plus en plus profondément dans les grottes et les dépôts du musée.
Vue de l’exposition L’ordre des choses, MAH Genève, Studio Wim Delvoye
Quelle a été votre méthode de travail face à la somme des œuvres et artefacts de la collection du MAH ?
Nous avons d’abord commencé avec 30 idées, puis nous les avons affinées. Nous avons réalisé des installations dans chaque pièce avant de relier les pièces en une histoire. Et comme les gens racontent des histoires, nous ne sommes pas complètement linéaires, il y a des sous-histoires, des anecdotes et la grande histoire qui les traverse. J’ai laissé les salles et la collection dicter à quoi ressemblerait l’exposition. En fin de compte, c’est devenu une grande narration. Contrairement à mes prédécesseurs, j’ai également expédié des œuvres d’autres musées, comme le MACBA Barcelone, le MUHKA Anvers, …. et nous avons obtenu Dadamaino d’une galerie en Italie. J’ai donc ouvert la possibilité au prochain artiste de faire une « Carte Blanche ». Il y a beaucoup de vidéos dans l’émission, ce qui est plutôt nouveau pour le MAH.
L’une des pièces centrales du dispositif est « Le juste retour des choses » : comment cette jubilation à faire des trous dans l’histoire de l’art a-t-elle été imaginée et rendue possible ?
J’avais cette idée depuis un moment et c’était le bon moment et le bon endroit pour la développer. Lorsque le réalisateur a lancé la série Carte Blanche, il y avait beaucoup de presse négative venant des milieux conservateurs genevois. Cela m’a inspiré aussi. Ils seront offensés, pensais-je. Mais tout le monde comprend que j’ai utilisé mes propres pièces et non celles du musée. Pour les Piranesi, le musée a réalisé les fac-similés. Non seulement il y avait des pièces et des objets à découvrir dans la vaste collection du musée mais je trouvais aussi dans les bureaux des gens de toutes sortes, souvent des experts qui se méfiaient de l’art contemporain. Collaborer avec eux était l’une des premières idées du spectacle.
A quand remonte votre intérêt pour les étuis et les contenants ? et que disent-ils de nos classifications ?
J’ai vu un grand nombre de ces étuis dans la collection et ils m’ont rappelé mes œuvres d’étui, j’ai donc décidé que le moment était venu de faire une mini-rétrospective de mes œuvres d’étui (du début des années 90 à 2019). J’ai ensuite voulu ajouter un Magritte mais je n’ai pas pu le faire expédier au musée de Gand (2024 est l’année du surréalisme, donc le musée le voulait pour lui-même). Cela m’a donné une meilleure idée et j’ai commencé à collectionner TOUS les livres avec ce tableau reproduit mais qui ne sont pas des livres sur l’art. Ce sont généralement des romans ou des ouvrages sur la psychologie, la philosophie, des trucs paranormaux, etc.
Vous décrivez cette exposition comme très suisse, sous quels aspects ?
Il y a beaucoup de références à des artistes suisses et à des icônes suisses, comme Tinguely, les armoiries de Genève, le Matterhorn, la vidéo Fischli/Weiss, etc. La collection MAH est également très suisse. Je n’ai jamais vu autant d’horloges ensemble que dans le MAH. Je n’ai pris que les horloges « nues », où l’on peut voir l’anatomie des horloges.
Quelle sorte d’accumulateur êtes-vous : compulsif, pathologique ou au contraire rationnel ?
De toutes sortes, selon la collection. Certaines collections ne valent rien et n’ont pour seul but que la passion (la chasse et le plaisir de trier). D’autres collections pourraient avoir une raison plus rationnelle. Si j’achète un grand tableau de maître ancien, je convertis principalement des euros bientôt sans valeur en quelque chose qui, à mon avis, a une réelle valeur. C’est un régime de pension rationnel.
Catalogue à paraitre aux éditions Hatje-Cantz
Infos pratiques :
L’ordre des choses
Carte-blanche à Wim Delvoye
Musée d’art et d’histoire de Genève
Jusqu’au 16 juin 2014
Rue Charles-Galland 2
1206 Genève