Entretien Lea de Cacqueray : Collectif Diamètre 15, Montreuil

Lea de Cacqueray, De Fatum

Face à la précarité et au cynisme de certains promoteurs, les artistes s’organisent. Poursuite de mes visites d’ateliers à Montreuil dans l’annexe de la Tour Orion sur le site Beaumarchais dédié au métal avec Lea de Cacqueray.

Entre rituels cybernétiques et exosquelettes d’une époque antédiluvienne, les créatures hybrides des récits de Lea de Cacqueray jouent de nos croyances en une technologie omnisciente, obscure et para-doxalement rationnelle. Un imaginaire nourri de cinéma, de science-fiction et de récits d’anticipation qui croise l’oracle et le destin, le naturel et l’artificiel, l’aliénation et l’émancipation. Le métal est le véhicule de ses projections futuristes. Lea de Cacqueray, membre du collectif Diamètre 15 et actuellement installée à Montreuil dans un atelier annexe de la Tour Orion revient sur ces nouveaux modèles qui tentent de résister face à une précarisation toujours plus forte des artistes en mutualisant les ressources et les pratiques, organisant des expositions et en invitant des regards extérieurs à travers notamment une résidence curatoriale.
Après une importante exposition dans le sud des Pays-Bas, Lea prépare un projet autour de la
nouvelle Biennale de Nîmes et son écho à Arles avec la galerie Sultana. Elle a répondu à mes questions.

Diplômée en 2020 des Beaux-Arts de Paris, Lea a montré son travail lors de nombreuses expositions collectives et lors de résidences. Elle est l’une des lauréates du prix des amis des Beaux-Arts de Paris en 2020. En 2022, elle fait partie des nominés au prix Dauphine pour l’art Contemporain. Membre de Diamètre 15, elle est aussi travailleuse-associée de la coopérative Octopus.

Comment décrivez-vous votre pratique ?

J’ai une pratique de sculptures et d’installations principalement auxquelles s’ajoutent et selon les projets du son et de la vidéo. En ce qui concerne les matériaux, j’utilise surtout du métal, acier et inox. J’aime particulièrement faire passer des flux à l’intérieur impliquant de l’image, du texte généré par algorithme ou de l’eau mais aussi du mouvement. Tous ces éléments finissent par s’imbriquer pour questionner notre rapport aux nouvelles technologies et aux croyances qui en découlent.

© Nicolas Lafon

Sources d’inspiration

Elles viennent de lectures, de films, de documentaires, de choses très variées. Par exemple le chercheur Raymond Kurzweil qui a mis au point la théorie de la singularité, découvert lors de mes études aux Beaux-Arts. Partant du postulat que la puissance de calcul des ordinateurs et leurs nouvelles créations tracent une courbe exponentielle qui suit la loi de Moore. Son idée est que l’on arriverait un jour à créer une intelligence artificielle supérieure, « une singularité » qui pourrait générer à son tour toutes les futures nouvelles technologies. L’humain se retrouverait en quelque sorte dépassé dans la création technologique. Une théorie qui a déchaîné beaucoup de passions. Ce qui m’a intéressé dans cette théorie c’est tout ce qu’il y a autour. L’idée d’une continuité, un cycle, une boucle, de créateur à création. De façon schématique une force supérieure créait l’humain qui créait à son tour la technologie jusqu’à la singularité qui créait à nouveau. Le centre de mes recherches se retrouve dans ce basculement entre une technologie pragmatique qui en vient à générer de nouvelles formes de religions et de croyances comme un nouveau Dieu, omniscient. J’y vois encore aujourd’hui un écho avec les questions liées à l’écologie, le réchauffement climatique et tout ce qui peut en découler, beaucoup ne jurent que par l’innovation et la technologie pour répondre à ces enjeux cruciaux. Comme si elles devenaient notre seule et unique ressource. Or on sait à quel point l’innovation peut-être énergivore en matière première et polluante. Avec le sujet des technologies on oscille souvent entre paradoxe et croyance.

Dans ce sens, le livre de Manuela de Barros, Magie et technologie évoque dès la première page les recherches de Avital Ronell sur la genèse de la création du téléphone par Graham Bell. Elle y évoque les croyances et tentatives de communication avec les défunts qui ont amené un objet aujourd’hui autant usuel que le téléphone. A chaque fois que je regarde un film ou que je lis un livre ou un essai, c’est cette relation, cette ambiguïté qui m’interpelle et qui va nourrir ma pratique.

Les matériaux sont-ils collectés ?

Je les travaille à l’état brut à l’atelier. Je collecte plus les images de forme, d’objets, d’animaux, d’ossements, d’architectures. L’ensemble constitue une grande bibliothèque dans laquelle je viens puiser pour faire des assemblages en 3D d’objets assez antinomiques. Des formes qui rappellent par exemple un corps, des os, des outils de chirurgie… On reconnaît quelque chose d’assez familier même si l’ensemble forme un aspect futuriste dont on ne peut imaginer la finalité.

© Gregory Copitet

Votre expérience aux Beaux-Arts de Paris : quel regard ?

J’étais dans l’atelier de Guillaume Paris et Tony Brown, un grand atelier multimédia ce qui permettait de déployer des installations volumineuses. En ce qui concerne Clément Cogitore et Bojan Sarcevic j’y allais plus pour échanger et rencontrer d’autres univers, l’intérêt des Beaux-Arts étant de rencontrer, découvrir et échanger sur nos pratiques. Une dynamique qui se poursuit à présent avec l’association Diamètre 15 et qui est essentielle pour moi pour ouvrir les perspectives, les connaissances, mettre en commun des ressources comme des matériaux, des outils, ou des espaces, des expériences qui nourrissent la création.

Diamètre 15 : une nouvelle forme d’utopie partagée ?

Le fait d’avoir un loyer modéré et de grands espaces relève d’une certaine utopie en effet et je n’aurais jamais pu déployer ma pratique actuelle sans ces conditions. C’est un grand coup de pouce alors qu’actuellement tout devient plus cher, et rare que ce soit pour le logement ou les ateliers. On sait à quel point la situation de la grande majorité des artistes peut être précaire. Mon atelier est à Beaumarchais pas loin de la Tour Orion où travaillent la majorité des artistes de Diamètre 15. Un espace qui au départ était réservé aux pratiques inflammables ou pour accueillir une presse trop lourde pour la tour. Au final nous ne sommes plus que 4 artistes de l’association sur 30, Léa Rivera-Hadjes, Tanguy Roussel, Alexis Blanc et moi. L’association a été créée en 2017, elle était établie aux Grandes Serres de Pantin avec l’accompagnement du promoteur immobilier Alios. Depuis 2022 nous sommes installés dans la Tour Orion et à Beaumarchais, et l’association a beaucoup évolué avec l’accueil d’une dizaine de nouveaux artistes et avec une nouvelle structure de fonctionnement. Nous nous sommes organisés en différents pôles qui vont de la compta, aux réseaux sociaux/site web, au fonctionnement général ou au pôle résidence curatoriale. Chacun et chacune participent au fonctionnement de l’association. La tour Orion possède un étage vide consacré à l’organisation d’évènements culturels dont chacun peut s’emparer. Avec la création de la résidence curatoriale on permet une ouverture du collectif sur l’extérieur en accompagnant des projets curatoriaux invitant de nouvelles interventions. Outre le fonctionnement formel de l’association, ce sont surtout 30 individus qui mettent en commun leur savoir et beaucoup d’énergie, afin de continuer à développer leurs pratiques. L’espace de Beaumarchais a accueilli très récemment 25 artistes de l’association Œ anciennement installée au Consulat qui a fermé. C’est la réalité de beaucoup d’espaces d’atelier qui disparaissent avec le développement du grand Paris qui ne prend pas forcément en compte ce secteur culturel. Nous évoluons étroitement avec Alios qui nous ont placé dans leurs futurs projets immobiliers, c’est une relation symbiotique qui apporte à chacun des partis. Pourtant cette relation entre artistes et promoteurs est loin d’être évidente, la plupart des promoteurs peinent à donner leur confiance à de petites structures artistiques porteuses de projet. Malgré tout, le côté temporaire de l’occupation reste le grand bémol de notre modèle. Chacune et chacun s’accorde sur la fatigue, le stress et les coûts que peuvent occasionner des déménagements répétés. Nous espérons toujours avoir le plus de temps possible dans les espaces dans lesquels nous nous installerons afin d’avoir le temps de s’ouvrir sur l’extérieur en espérant que l’aventure continue.

Quels sont vos projets ?

Je vais participer avoir une exposition collective avec la galerie Sultana à Arles fin mars, début avril. Je travaille donc sur une nouvelle sculpture en mouvement encore au stade du prototype. Je suis invitée par le curateur Noam Alon. Cette année j’ai lancé une importante production à l’occasion de l’exposition EARTHEATERS lustwarande pour un centre d’art à Tilburg, Pays-Bas donc je me dirige à présent vers des œuvres plus petites.

Actualités de Lea :

https://leadecacqueray.wixsite.com/

Collectif Diamètre 15 : les artistes

Artistes | Diametre15