Falaises, ressac Yann Bagot, Editions Din Heol Books
Suite de notre série sur les collectifs d’artistes à Montreuil avec Yann Bagot sur le site de l’ancienne usine Chapal qui partage un atelier avec d’anciens compagnons des Arts Décoratifs : le vidéaste Didier Legaré-Gravel, le peintre Jean-Baptiste Née, le dessinateur Nathanaël Mikles avec qui il dessine par ailleurs au sein du collectif Ensaders. Dessiner en prise avec des éléments, des imprévus ou des épiphanies d’un lieu ou d’un moment est ce qui anime Yann Bagot. Il revient sur ses expériences en résidence au contact avec la nature, à bord de la goélette Tara ou dans la solitude d’un sémaphore. L’eau et ses territoires, le sel et ses aléas, le littoral et ses porosités sont ses terrains de jeu. Yann a répondu à mes questions.
Comment décrivez-vous votre pratique ?
Je suis dessinateur-plasticien, je dessine principalement à l’encre de Chine sur papier, au cœur de milieux naturels. Je vais en forêt, sur le littoral, dans des environnements où je peux inscrire une séquence de travail au cours de résidences. Je travaille autant que possible dehors; au gré des lumières et des intempéries, je tente de garder trace du terrain qui m’accueille, de faire corps avec ce qui n’est pas moi-même.
Nous nous trouvons devant le dessin « Air, lumière, matière », qu’est-ce qui se joue ?
Ce dessin a été réalisé lors d’une résidence à l’Abbaye de La Cambre sur une invitation de la fondation sud-africaine pour l’art contemporain, SAFFCA, qui réunit des artistes africains et européens. J’y ai séjourné deux mois, au printemps 2022. Mon but premier fut de rencontrer le lieu, à l’affût de ses singularités, de sa présence. Au début d’une résidence, je m’attelle à dessiner simplement là où je suis, en petit format, sans trop me poser de questions, pour mettre en mouvement ma main et mon regard, activer mon attachement au réel. Au fur et à mesure, des choses inachevées dans d’autres séries réapparaissent en moi, des imprévus autour de moi agissent (intempéries…), des sujets se révèlent, bousculent ma façon de faire et qui m’aiguillent vers un aspect spécifique, propre au lieu, que je n’avais pas anticipé. Dans ce cas, lorsque je suis arrivé début mars, l’abbaye était sous la neige , en quelques jours le printemps est arrivé, j’ai vivement éprouvé les élans de la photosynthèse, le spectacle de la transformation du végétal, les éclats de la lumière. La forêt m’est apparue comme une forme de vitrail vivant traversé par la lumière, animée par la chlorophylle, pierre philosophale du vivant, selon les mots de Jacques Tassin (“Penser comme un arbre”, Odile Jacob, 2018). Cette série aérienne est aussi une forme de prolongement à la série “Le souffle du sol”, réalisée sur un ancien champ de bataille de la Première Guerre mondiale, plongée active adressée à la survivance des racines, à la mémoire des arbres et du sol.
Autre dessin de la série des « Titans »
Cette série réalisée à l’encre de chine sur papier joue avec le sel de l’eau de mer. Réalisés sur le rivage, les dessins sont entièrement plongés dans la mer, le bord d’encre qui se déploie au gré du flot. Ces dessins sont ensuite rincés à l’eau douce et mis à sécher en Bretagne dans une serre. En d’autres séries, en particulier “ Chaos” ou rivages, le sel brille en surface du papier. Le sel est complexe, il a un effet de morsure sur l’encre et le papier, mais c’est également un conservateur. Un effet irréductible est que le sel attire l’eau : si l’atmosphère est humide, des perles d’eau apparaissent en surface du papier, qui se résorbent dès que l’air est plus sec. J’aime cette interface.
Ou travaillez-vous en Bretagne ?
Mon ancrage familial est à Cancale où je dessine sur la grève depuis mon enfance. J’ai initié la série “Chaos” à Trébeurden, parmi les rochers de la côte de granit rose. J’ai eu la chance de travailler en résidence au sémaphore de la Pointe du Grouin, à Cancale, c’est là que les séries “Promontoires” et “Falaises, ressac” ont été conçues, dans l’aller et retour entre les séances de dessin en plein air, puis des prolongements en grand format, au sol de l’atelier.
Etes-vous représenté par une galerie ?
Oui je suis représenté depuis deux ans par la galerie Robet-Dantec qui vient de déménager à Nantes, ma deuxième exposition personnelle en galerie vient de s’y clore, intitulée « La mer, cet autre ». Des extraits de deux résidences d’artistes y étaient rassemblées : au sémaphore de la Pointe du Grouin à Cancale en janvier 2023, à bord de la goélette Tara, en juillet 2023. Deux moments de chance, de vie et de travail, dans des conditions exceptionnelles.
A bord de Tara
Dans le cadre de la mission Tara Europa, j’ai navigué à bord de la goélette Tara pendant deux semaines le long des côtes suédoises, puis j’ai séjourné deux semaines dans la station de biologie marine de Kristineberg, près de Göteborg qui fait partie du réseau des stations marines européennes (EMBRC). Mon projet de candidature était intitulé “Voir, savoir”: dessiner les paysages rencontrés, au gré des mouvements et des contraintes de la navigation, tout en étant guidé par la recherche scientifique et ses explorations. Une partie plus abstraite de mon travail interroge le monde dans ses microcosmes, le désir de découvrir ce qui dépasse notre regard, approcher l’intériorité des choses… La Fondation Tara développe des programmes scientifiques spécifiques à chaque mission, et qui font interagir des scientifiques du monde entier. L’expédition en cours, “Tara Europa” consiste à effectuer des prélèvements en mer, tout au long des côtes européennes, en parallèles des équipes à terre réalisent des prélèvements des sols et en aérosols, pour constituer un extraordinaire inventaire, pour mieux comprendre les échanges entre la terre, l’air et la mer. Une immense logistique qui permet de décrypter ce qui se joue à l’intérieur des lignes du beau paysage. Quand je dessine le littoral, je suis porté par l’idée de ces échanges qui échappent à nos regards, mais fondent notre monde et nos existences.
Quels sont vos projets ?
En avril 2024, j’ai la chance de partir en résidence à la Villa Saint Louis Ndar au Sénégal dans le cadre du salon DDESSIN auquel la galerie participe depuis plusieurs années, en 2021, Eve de Medeiros m’y avait présenté comme son coup de cœur. Mon projet de résidence se développe autour de la position lacustre et maritime de Saint Louis à l’embouchure du fleuve face à l’Atlantique, je souhaite évoquer les problématiques liées à l’érosion à la surpêche tout en me laissant surprendre par la beauté des lieux.
Site de l’artiste :
https://fondationtaraocean.org/
PROCHAINEMENT
● GALERIE OCTAVE COWBELL, Metz
La Tempête des échos, Exposition collective
Vernissage le 24 janvier 2024
● BELGIAN GALLERY, Brussels
L’orée, Exposition collective
Vernissage le 15 mars 2024
● SALON DDESSIN (24), Paris
Galerie Robet Dantec
20 – 25 mars 2024
● VILLA NDAR, St Louis, Sénégal
Résidence de création Avril 2024