Vues d’exposition « SOL ! La biennale du territoire #2 Soleil Triste », avec l’œuvre de Chloé Viton production MO.CO. Montpellier Contemporain. Photo Pauline Rosen-Cros
Chloé Viton participe à la 2ème édition de SOL ! Biennale du territoire #2 « Soleil Triste » à MO.CO Montpellier– La Panacée, placée sous le prisme du Marquis de Sade qui lors de son séjour à Montpellier en 1776, rencontre celle qui deviendra l’héroïne de son récit Justine, ou Les Malheurs de la vertu. Chloé y propose l’une des œuvres les plus marquantes de ce panorama conçue dans le prolongement d’une résidence au Japon. Intitulée Hématie,The Birth of Oni Baba, elle a été activée lors d’une performance comme nous l’explique l’artiste. Diplômée des Beaux-arts de Montpellier elle y rencontre l’artiste Geoffrey Badel avec qui ils fondent le Collectif In Extremis aux côtés d’autres artistes afin de se familiariser avec les enjeux de la création. Pasionné.e.s par les personnages et les mythes, leur projet est retenu pour une résidence d’un an à l’initiative du centre culturel de l’université Paul Valéry de Montpellier en partenariat avec le FRAC de Montpellier. L’exposition The Manila Room, a Creepypasta by Ziti & Orzo visible au Frac a donné lieu à un premier chapitre sous forme d’un spectacle au théâtre de La Vignette, à l’université. A partir des Creepypastas, ces légendes effrayantes qui pullulent sur les réseaux sociaux, ils reconstituent l’esthétique bien particulière d’une backroom la Manila Room à partir de l’errance de leurs deux alter ego : Ziti et Orzo. Le Frac se voit ainsi totalement métamorphosé. Chloé et Geoffrey ont répondu à mes questions au côtés d’Eric Mangion, nouveau directeur du Frac.
Chloé Viton, vous faites partie de Sol Biennale du territoire 2 : quelle œuvre proposez-vous et pouvez-vous nous la décrire ?
CV Pour SOL! La Biennale du territoire #2, Soleil Triste, je présente Hématie,The Birth of Oni Baba. C’est une nouvelle installation activée par une performance. Ce projet est l’aboutissement de recherches entamées dans le cadre de la résidence ARCUS à Moriya, dans la province d’Ibaraki au Japon, durant laquelle je suis partie sur les traces d’Oni Baba, un yōkai du folklore japonais. Oni Baba m’est apparue pour la première fois dans un rêve, alors que je ne la connaissais pas, dans lequel elle m’a mis en garde «Ne te perds pas dans les méandres de ton esprit». Depuis, j’ai développé une relation avec ce personnage et son histoire. Elle me semble familière malgré son inquiétante étrangeté.
Cette pièce est une sculpture rouge de deux mètres, représentant ma version d’Oni Baba, assise en tailleur. Son visage est inspiré par les higanbana: lycoris rouge, des fleurs de deuil utilisées au Japon pour honorer les morts et se souvenir de leur passage.
L’installation à été activée durant une performance, durant laquelle Oni Baba accouche d’un nouvel être, qui progressivement s’extirpe de la sculpture en déroulant un grand boyau, cordon ombilical, jusqu’à découvrir un foie. Ces éléments viennent alors compléter l’installation.
Un thérémine est aussi incorporé à cette installation, un des premier instruments de musique électronique, qui produit des sons très particuliers, comme venu d’un autre monde.
Cet instrument se déclenche lorsqu’un corps se rapproche, c’est en quelque sorte la voix d’Oni Baba, qui communique avec les visiteurs.
Chloé et Geoffrey ou plutôt Ziti & Orzo : vous bénéficiez d’une exposition au Frac : quelle est la genèse de ce projet ?
CV : Nous avons postulé en 2022 à un appel à candidature pour une résidence d’un an proposée par le centre culturel de l’université Paul Valéry de Montpellier en partenariat avec le FRAC de Montpellier.
C’est la première année où ce format a été mis en place et nous avons été sélectionnés.
Durant ce temps de résidence, nous avons décidé de porter nos recherches sur les Creepypastas, des légendes urbaines effrayantes diffusées sur Internet, pouvant se décliner sous plusieurs formats (image, vidéo, fichier son, texte accompagné d’images, de vidéos, de sons, etc.).
Geoffrey et moi avons tous les deux un attrait pour la création de récit, de personnages et de mythes, et ce terrain de recherches nous semblait idéal afin de développer notre propre Creepypasta, mettant en scène nos deux alter ego : Ziti et Orzo.
Notre projet est composé de deux chapitres : Into the Rabbit Hole, a Creepypasta by Ziti & Orzo un spectacle d’une heure et demie, présenté le 24 octobre au studio du théâtre de La Vignette, à l’université Paul Valéry de Montpellier, et l’exposition The Manila Room, a Creepypasta by Ziti & Orzo, actuellement visible au Frac de Montpellier.
A quoi le titre fait-il référence ?
CV : The Manila Room est un type particulier de Backroom, reconnaissable à son papier peint de couleur manile.
Les Backrooms, (litt. « les arrière-salles »), sont une creepypasta décrivant une dimension parallèle, vide, à plusieurs niveaux connectés entre eux, utilisant pratiquement tous l’esthétique « liminale », c’est-à-dire des espaces possédant des caractéristiques telles que des grandes pièces vides, rappelant des open space désertés. Elles serait accessibles en se no clippant de la réalité.
Les notions d’errance et de spectre habitent l’univers recréé en quoi sont-elles importantes ?
GB : L’univers proposé dans l’exposition est construit par un dispositif scénographique immersif et total s’inspirant des backrooms, ce qui explique le choix du titre expliqué ci-dessus. L’espace du FRAC Occitanie de Montpellier, habituellement montré comme un grand espace vide de 250 m², se retrouve surnaturalisé grâce à la présence de différentes cloisons formant des espaces étriqués et labyrinthiques. Nous ne sommes plus dans un espace d’exposition. Les repères sont délocalisés. Le sol est recouvert d’une moquette beige et les murs d’un papier peint texturé. Ici et là, des interrupteurs, des grilles d’aération et une trappe d’évacuation souterraine laissent suggérer un espace ambigu et obsolète. La déambulation amène à se perdre dans chaque recoin. Les notions d’errance et de spectres sont très importantes dans l’expérience du visiteur car, avant de faire référence aux backrooms, elles reprennent notre aptitude à errer sur les réseaux sociaux, aspiré·e·s dans des rabbit holes infinis, de clic en clic, de profil en profil, de fenêtre en fenêtre. Notre démarche s’inspire du monde qui se déploie dans les réseaux sociaux et leur débordement. C’est également une manière de donner à voir autrement l’utilisation que nous en faisons. Raymond Depardon, dans son livre Errance, écrit : « L’errance n’est ni le voyage ni la promenade mais cette expérience du monde qui renvoie à une question essentielle : qu’est-ce que je fais là ? ».
Comment est née votre collaboration artistique ?
GB : Nous nous sommes rencontré·e·s et lié·e·s d’amitié à l’école des beaux-arts de Montpellier il y a maintenant dix ans. Nous avons toujours eu une proximité et des points communs dans nos pratiques artistiques respectives comme des intérêts pour la performance, le costume, la création de personnages et de mythes créés à partir de récits et d’expériences personnels. Durant nos études, nous avons formé, avec neuf autres ami·e·s, le Collectif In Extremis qui nous a permis de nous familiariser au travail de l’autre et de comprendre les mécanismes de la création collective. Nous avions décidé d’effacer nos individualités en signant nos expositions et nos pièces sous le nom du collectif.
Aujourd’hui, nous collaborons régulièrement : Chloé me sollicite pour incarner ses personnages dans ses performances et ses films, et de mon côté, je fais appel à son savoir-faire en couture pour réaliser les costumes de mes performances. Avec Ziti et Orzo, nous avons voulu aller plus loin et ailleurs. Nous avons véritablement créé une sorte de troisième entité à deux cerveaux ayant sa propre planète. Nous avons saisi cette opportunité pour se risquer ensemble, de s’aventurer dans des chemins inhabituels et de sortir de notre confort en travaillant sur le récit horrifique en y intégrant des séances d’hypnothérapie par exemple. Cela a et aura inévitablement des répercussions sur notre travail personnel. La pratique collective permet d’enrichir et d’élever chaque personne qui participe à l’aventure.
Diplômés des Beaux arts de Montpellier, quel regard portez-vous sur cette formation et période de votre vie ?
GB : Étudier et traverser une école d’art est à la fois un grand privilège et un bouleversement troublant. Venant d’une famille d’ouvriers, éloignés de la culture au sens large, cette formation a littéralement changé ma perception. Avoir accès au savoir et à des ateliers techniques (bois, métal, plâtre, gravure, PAO, etc.), discuter avec des artistes-enseignant·e·s, rencontrer des chercheur·se·s, partager et confronter son regard avec les autres étudiant·e·s et surtout, apprendre la pratique de l’atelier et de la mise en espace de ses pièces, sont des expériences inouïes. Aujourd’hui, il est rarissime qu’on vous accorde autant de temps et d’espace pour la création artistique et le développement d’un point de vue critique. Cette formation est également difficile car dans chaque école, l’exigence attendue par la pédagogie amène des retours extérieurs parfois maladroits et menant à un certain formatage de ce que peut être l’art contemporain. Avec Chloé, nous avons eu la chance de participer au fondement du Collectif In Extremis, cité plus haut. Nous étions alors perçu·e·s comme force collective au sein même de l’école. Cette énergie nous a doublement stimulé et poussé dans des dynamiques de travail ambitieuses qui sont encore actives six ans après avoir fini nos études.
Geoffrey, vous êtes sélectionné pour l’exposition-vente d’Artais en janvier, que proposez-vous ?
Mon travail est animé par deux para-mondes : la culture sourde et la prestidigitation. Très tôt, ces cohabitations m’ont sensibilisé à l’Autre et à une manière différente de faire sens, tout en préservant une certaine forme de pensée magique. J’explore les mondes invisibles et les phénomènes occultes. J’étudie ainsi les modes de présence ordinairement perçus comme étranges et hostiles afin de leur dédier des espaces de réparation.
Dans la continuité de ces réflexions, je propose une eau forte sur papier, intitulée Symbiosis, ornée d’un filet de cuivre très fin. Cette gravure s’inscrit dans la série Protest Sign, se traduisant par « signe de protestation ». Cet ensemble représente des gestes de la main agencés de manière symétrique faisant allusion à des formes symboliques et ésotériques. Chaque geste se réfère à un signe dont sa signification et son usage varient selon les cultures ou les contextes, nous amenant à une interprétation subjective, à la fois ouverte et ambigüe.
Le titre Symbiosis évoque l’idée d’une relation intime et harmonieuse entre deux ou plusieurs corps. Il symbolise un élan d’espoir et d’alerte sur l’importance de notre interdépendance avec ce qui nous entoure: le vivant.
Infos pratiques :
SOL ! Biennale du territoire #2
Jusqu’au 28 janvier
MO.CO Panacée
14 rue de l’École de Pharmacie, Montpellier
The Manila Room, a Creepypasta by Ziti & Orzo
Frac Occitanie – Montpellier
Jusqu’au 22 décembre
4-6 rue Rambaud, Montpellier
Artaïs : Exposition – vente d’Editions limitées
du 11 au 13 janvier
Galerie Dix9
19 rue des Filles du Calvaire, 75003 Paris