Une saison photographique à la BnF : Interview Héloïse Conesa, conservatrice et cheffe du service de la photographie

Payram, Deux ou trois choses que je sais d’elle, 1995-2021 Tirages argentiques couleur d’après négatif Polaroï d 55 noir & blanc (non lavé , non fi xé ), 35 x 25 cm BnF, Estampes et photographie © Payram, Courtesy Galerie Maubert

Cet automne la BnF met en valeur la photographie à travers deux expositions majeures : « Epreuves de la matière la photographie contemporaine et ses métamorphoses », « Noir et blanc. Une esthétique de la photographie » ainsi qu’un focus sur les prix annuels photographiques partenaires de la BnF. Au printemps, la BnF exposera les 200 lauréats de la grande commande photojournalistique « Radioscopie de la France» qu’elle a pilotée pour le Ministère de la Culture. Héloïse Conésa, cheffe du service de la photographie, chargée de la photographie contemporaine, revient sur les enjeux et questionnements liés à ces deux expositions à partir du riche fonds d’une collection unique au monde et la capacité des artistes à expérimenter, transformer l’image, analyser ses composantes jusqu’à la soumettre à différents processus d’effacement entre techniques anciennes et artisanales et laboratoire numérique. Le parcours, très dense, s’organise autour de 4 différentes séquences : l’image tangible, l’image labile, l’image hybride et l’image précaire correspondant aux 4 états de la matière-image et selon une vision non antagoniste entre photographie numérique et analogique. Héloïse Conésa a répondu à mes questions.

Docteure en histoire de l’art, Héloïse Conésa est conservatrice en chef du patrimoine chargée de la photographie contemporaine à la Bibliothèque nationale de France depuis 2014. Précédemment, au MAMC de Strasbourg, elle a été commissaire des expositions Robert Cahen, Entrevoir et Patrick Bailly Maître Grand, colles et chimères. A la BnF, elle a été commissaire principale ou associée de plusieurs expositions parmi lesquelles : Paysages français, une aventure photographique  (BnF, 2017),  Denis Brihat, de la nature des choses (BnF, 2019), Ruines – Josef Koudelka (BnF, 2020), Ce monde qui nous regarde : les 15 ans de l’agence NOOR (BnF, 2022), Noir et blanc, une esthétique de la photographie (BnF, 2023), Epreuves de la matière, la photographie contemporaine et ses métamorphoses (BnF, 2023). Elle a contribué au pilotage de la grande commande photographique confiée à la BnF par le Ministère de la culture : « Radioscopie de la France des années 2020 ».

Héloîse Conésa, BnF Estampes et photographie photo D Desrue

Quel est le point de départ de l’exposition ?

HC. Pour réaliser cette exposition je suis d’abord partie de la collection de la BNF puisque 70% des œuvres sur les 250 présentées sont issues de notre fonds, sachant que mon illustre prédécesseur Jean-Claude Lemagny en 1994 avait proposé « La matière, l’ombre, la fiction », exposition à valeur de manifeste de ce qu’il considérait entre autres comme une approche de la vérité matérielle de la photographie. Forte de ce constat d’une présence importante dans les collections d’œuvres photographiques autour de la question de la matérialité, j’ai cherché à enrichir cette composante à partir de la nouvelle génération de photographes à travers des acquisitions et des dons. Mon souhait n’était pas de renvoyer dos à dos la supposée immatérialité numérique et la matérialité analogique, argentique ou anténumérique mais plutôt de montrer comment l’une et l’autre étaient à même de porter une réflexion sur l’incarnation de l’image dans la matière d’un tirage ou dans un objet photographique.

L’on remarque chez les jeunes photographes un retour à de nombreuses techniques dites archaïques : comment s’explique selon vous ce phénomène ?

HC. Différentes raisons sont à l’origine de cette volonté de raviver les techniques expérimentales des pionniers de la photographie du 19ème. Chez certains photographes, dans les années 1970-80 cela rejoint parfois une volonté de légitimer la photographie dans le domaine institutionnel – notamment les musées des beaux-arts – et d’évoquer l’histoire du medium photographique. Chez les plus jeunes il n’y a pas de résistance à la technologie, la plupart d’entre eux sont nés avec le numérique mais ils veulent s’inscrire dans une photographie plus éco-responsable, revaloriser une certaine forme de lenteur, de savoir-faire quasi artisanal, voire de prédilection pour l’œuvre unique à rebours de la reproductibilité communément associée à la photographie. Tout cela participe à une façon de se positionner en tant qu’artistes par rapport aux défis de la société contemporaine et permet aussi de réaffirmer la place du photographe-auteur dans un monde où tout un chacun est susceptible de produire des images avec son téléphone portable.

Le catalogue qui accompagne Epreuves de la matière : genèse

HC. La BnF l’a co-édité avec The (M) éditions, dirigées par Marie Sepchat dont on connait l’exigence en tant que lauréate du Prix Nadar (2019) et l’attrait pour la matérialité de l’image telle qu’elle se traduit dans l’objet livre. Créer cette forme de livre-objet qui reflète l’importance d’une vraie expérience du regard célébrée au travers de l’exposition était une première pour nous et nous sommes ravies du résultat.

Quels auteurs souhaitiez-vous inviter ?

HC. Des auteurs avec des travaux de recherche leur donnant une vraie expertise dans cette approche matiériste de la photographie :  Marc Lenot par exemple, critique d’art et chercheur qui avait abordé la notion de matérialité dans sa thèse et son livre Jouer contre les appareils. Egalement Marie Auger, jeune chercheuse et Boursière du Prix Louis Roederer à la BnF cette année qui s’est concentrée sur la matérialité de l’image photographique à travers le prisme des archives de Jean-Claude Lemagny. J’ai aussi sollicité Anne Cartier-Bresson, ancienne directrice de l’Atelier de Restauration et de Conservation des Photographies de la Ville de Paris, qui avait proposé une exposition sur l’objet photographique à la MEP en 2011 et enfin Michelle Debat, professeure des universités à Paris 8 qui a beaucoup traité le sujet à travers ses recherches autour de la dimension performative de l’image, du geste de l’auteur, notamment dans son livre  La photographie : essai pour un art indisciplinable.

Emile Zola. Denise et Jacques, les enfants d’Emile Zola, 1898 ou 1899 BnF, Estampes et photographie

Noir & Blanc : le contexte

HC. A l’origine, avec mes co-commissaires, Sylvie Aubenas, Flora Triebel et Dominique Versavel, nous avions monté cette exposition pour le Grand Palais à partir de nos collections mais elle n’avait pas pu être ouverte au  public pour cause de pandémie. Elle est donc de nouveau présentée à la BnF. Elle s’articule en effet assez bien avec Epreuves de la matière, notamment dans la partie intitulée Nuancier des matières qui montre la façon dont les photographes vont explorer les matières, et les traduire avec les ressources propres du medium. Ce nuancier part des images les plus noires pour aller jusqu’aux images les plus blanches et éclatantes en passant par toute une gamme de gris. Des ponts se dessinent ainsi entre les deux expositions. Un catalogue est co-édité avec la RMN.

En termes de scénographie, y a-t-il des changements par rapport à la version d’origine ?

HC. Si le parcours de visite a été quelque peu revu par la scénographe pour s’adapter à l’espace de la BnF, le cœur de l’exposition reste le même : une exploration de la photographie noir et blanc en fonction de ses grandes lignes de forces – les contrastes, l’ombre et la lumière, les matières –  et de quelques focus – la neige, le graphisme, la nuit, les expérimentations – et ce, à travers les œuvres que nous conservons de près de 200 photographes, de 36 nationalités distinctes.

Quels enjeux actuels pour Noir & Blanc ?

HC. L’exposition se positionne d’un point de vue thématique et esthétique et non chronologique. L’idée est donc de montrer que si pendant longtemps les photographes n’ont pas eu d’autres choix que de produire en noir et blanc pour des raisons économiques, le maintien de la photographie monochrome s’explique aussi pour la puissance visuelle qu’elle induit.  Elle reste pour beaucoup l’incarnation de la « belle image ». Pour de nombreux auteurs elle permet de mettre à distance le monde, de l’abstraire mais aussi de créer un nouveau rapport au temps, aux formes, à la subjectivité…

A noter qu’une programmation culturelle spécifique avec des tables rondes, conférences…accompagne ces deux expositions.

La Fondation Louis Roederer célèbre 20 ans de mécénat en faveur de la Bibliothèque nationale de France en accompagnant l’exposition Noir & Blanc. Une esthétique de la photographie.

Infos pratiques :

« Epreuves de la matière, la photographie contemporaine et ses métamorphoses »

Du 10 octobre au 4 février 2024

« Noir & Blanc, une esthétique de la photographie »

Du 17 octobre au 21 janvier 2024

BnF

Site François Mitterrand

Tarif plein 10 €, réduit 8 €

https://www.bnf.fr/