Neo Rauch Der Lehrling, 2015 300 x 250 cm
Huile sur toile Sammlung Arthouse Photo : Uwe Walter, Berlin
© Adagp, Paris 2023 Courtesy de l’artiste, Galerie EIGEN + ART Leipzig/Berlin, et David Zwirner
Une programmation très ambitieuse et à l’image des exigences que se fixe le MO.CO entre scène internationale, place des artistes femmes et prisme local. Evènement en France l’exposition de l’artiste allemand Neo Rauch, le Songe de la raison dresse un panorama magistral des enjeux qui traversent l’œuvre de ce peintre considéré comme une légende et qui reste trop peu montré dans notre pays. Numa Hambursin à l’origine de cette invitation hors norme, revient sur ce que représente cette rencontre dans son parcours et ce qui fait le caractère unique et intemporel de sa peinture avec des leitmotivs à valeur de clés d’entrée (l’homme au mégaphone, le centaure, la toupie, les insectes..). Autre temps fort, l’exposition de l’artiste cubano-américaine Ana Mendieta, pionnière éco-féministe souvent enfermée dans son destin tragique alors qu’elle déploie une œuvre polymorphe en un temps très court, qui a rencontré également une large adhésion du public. Rarement exposée en France, cela a été un défi avec la recréation de certaines de ses installations majeures. Enfin Numa Hambursin nous dévoile les contours de la nouvelle édition de Sol ! la biennale du territoire selon un ancrage local, élargi et prospectif.
Quelle est la genèse de l’exposition Neo Rauch ?
Si l’on remonte au contexte dans lequel je l’ai découvert, j’étais âgé de 20 ans et il ne faisait curieusement pas partie des expositions programmées en France, pays plutôt germanophile au niveau artistique. Ma génération l’a considéré comme une sorte de légende, un nom que l’on se transmettait entre initiés alors que nous étions au tout début d’internet. J’ai entrepris un véritable pèlerinage en Allemagne pour aller voir ses œuvres. Paradoxalement son mythe s’est construit sur l’angle mort français face à la peinture. Alors que ses œuvres sont profondément marquées par l’Allemagne de l’est, elles apparaissaient comme peintes pour nous et je me suis tout de suite identifié à ses travaux. J’ai eu l’impression très vite de voir l’œuvre d’un grand maitre en construction. Je l’avoue volontiers il est mon artiste préféré et il était la personne que j’avais le plus envie de rencontrer.
Si la majorité des artistes pensent la confrontation avec l’histoire ou à la postérité en prenant des biais comme l’ironie par exemple, Neo Rauch au contraire s’inscrit d’emblée dans une lignée de la grande peinture. Quand je me suis retrouvé dans son atelier la première fois j’avais l’impression d’être face à Courbet et Goya réunis.
Comment l’artiste a-t-il accueilli votre invitation ?
Au départ il a été surpris et avait une certaine réticence vis-à-vis de la France. Rien n’était gagné et pour le convaincre, j’ai insisté sur ce qu’il représente pour de nombreux artistes.
Si l’on prend la toile Nest (Nid) 2012 qui a été choisie pour l’affiche : comment la décrypter ?
Cela semble être une scène réaliste au départ alors qu’elle fourmille d’incohérences telles que : le chemin qui ne mène nulle part, les questions d’échelle qui sont récurrentes ou des morceaux d’abstraction pure qui surgissent comme une interférence. Plus on se rapproche du vif de la toile, plus on se lance dans une quête, une chasse au trésor pour parvenir à trouver un certain nombre de signes. Cela demande presque un travail d’enquête et cela pour chacune des toiles. On se situe dans le registre de la guerre et du combat, les deux peintres étant habillés de treillis et portent leurs pinceaux comme on le ferait d’un poignard. On note des traces de balles sur le mur ce qui renvoie à l’histoire de l’Allemagne. L’un de ces peintres-soldats est comme conseillé par un maitre de la Renaissance Italienne. Outre les couleurs pastel du ciel, différents jaunes sont traités, une couleur assez délicate en peinture. Il y a le jaune de l’inspiration à travers une flamme qui représente aussi un jeu à affronter. Nous avons aussi le jaune des vêtements qui renvoie au jaune des papillons, les deux ayant la même origine : le ver à soie. On remarque également dans toute son œuvre un mélange entre des objets ou des habits anciens, l’artiste confiant qu’il fait des rêves datés du 19ème siècle et des éléments plus contemporains : la paire de baskets (Converse), le T shirt. Comme deux mondes qui s’affrontent. Les deux scarabées en face à face sont des lucarnes cerfs-volants (lucanus en latin), leurs protubérances étant des bois des cerfs qui eux-mêmes s’affrontent à la période du brame. Ils sont poussés par les deux hommes qui les excitent par derrière. Que faut-il y voir ? Le combat face à la peinture et également le combat entre les artistes encouragé par la société. Une seule toile offre ainsi de multiples entrées.
Peut-on parle d’ostalgie face à l’Allemagne de l’Est ?
Son goût pour les détails anachroniques et désuets pourrait nous le faire croire. Plus qu’un monde de spleen ou d’amertume, c’est le scepticisme et le malaise qui dominent. Au passé sans repères répondent un présent sans équilibre et un avenir sans objectifs. Les personnages ont peu de liens et de connexions les uns avec les autres. Ils sont comme plaqués dans leur environnement et se livrent à des actions veines, absurdes, répétitives, insignifiantes.
Comment avez-vous géré la question des prêts ?
Cela a été difficile d’obtenir des prêts l’artiste réalisant peu d’œuvres et leur valeur exigeant des engagements forts en termes d’assurance. De nombreuses collections, privées et publiques en Allemagne et aux Pays Bas se sont engagées, moins en France.
Quelle est la réception du public ?
Nous avons une grande couverture presse et une attente forte du public. L’exposition s’inscrit aussi dans une sorte de continuité avec la programmation précédente Immortelle. Beaucoup de peintres sont venus voir l’exposition, Neo Rauch étant pour eux, un personnage de légende.
Comment avez-vous construit le parcours ?
Nous voulions insister dans une première partie sur ses dessins, qui ne sont pas des esquisses préparatoires mais existent en tant que tel. Nous voulions créer une vraie distinction entre les corpus sur l’ensemble des niveaux du MO.CO. Cette première partie remonte à des œuvres des années 1990, ce qui permet de suivre son évolution. Nous avions la volonté d’être chronologique en ménageant des moments d’intensité comme dans ces salles avec ces très grandes toiles qui renvoient à cette tradition de la grande peinture, d’histoire ou biblique. Il fallait suggérer une impression plus monumentale et intense.
Le catalogue
Ayant été privé de sa parole en France depuis de nombreuses années, il était temps de réparer cela.
L’artiste a accepté de se livrer, ce qui est rare, lors du grand entretien mené par Hélène Trespeuch, universitaire de Montpellier spécialiste de l’art allemand.
Retour sur l’exposition Ana Mendiera aux commencements tout juste terminée
Nous avons la chance d’être une institution qui peut se permettre dans le même été de proposer conjointement Ana Mendieta et Neo Rauch. C’est rare en France et en Europe. Ce sont deux artistes qui faisaient partie de ma feuille de route pour le MO.CO et cela pour des raisons différentes mais qui se rejoignent : ils sont à la fois célèbres et peu visibles en même temps. Neo Rauch et Ana Mendieta sont pour le public, des noms avant d’être des réalités tangibles. Ils font figure de légendes. Si l’on considère Ana Mendieta mis à part Where is Ana Mendieta ? que sait-on d’elle ? Il faut faire attention à ne pas l’enfermer dans un slogan car elle a une œuvre très variée mais qui reste mal connue. Nous avons tenu à présenter des peintures, mais aussi sculptures, dessins, installations pour montrer toute l’amplitude de sa démarche souvent limitée à des symboles. Neo Rauch est également victime de ce phénomène.
La plupart des œuvres montrées venaient des Etats Unis même si nous avons aussi reconstitué un certain nombre d’installations sur place de manière assez magistrale grâce à la confiance de ses ayant-droits.
L’exposition a été conçue en collaboration avec les musées européens de MUSAC (Espagne) et de la Chaux-de-Fonds (Suisse) où elle est poursuit son itinérance.
Sol ! la biennale du territoire, 2ème édition : quels enjeux ?
Une institution qui se veut d’importance comme la nôtre, doit s’inscrire dans une dialectique entre l’international et le local. On doit apporter à Montpellier ce qu’il y a de mieux dans le monde tout en défendant aussi nos artistes et avec les mêmes ambitions que pour des signatures internationales. Ce 2ème volet a été confié à Anya Harrisson, curatrice du MO.CO qui a fait des choix différents des miens, ce qui est très positif. Il est formidable de continuer à découvrir des artistes même si je connais bien cette scène. On se rend compte qu’elle est inépuisable comme avec la création mondiale. C’est comme une loi physique. L’idée est d’avoir au fil des éditions une sorte de paysage en puzzle.
Quelle est la typologie des artistes ? Sont-ils tous originaires de Montpellier ?
Plusieurs cas de figure se dégagent entre des artistes d’ailleurs qui sont installés, d’autres qui ont vécu ici et sont partis, selon une approche volontairement non figée. De nombreux artistes qui ne sont plus ici restent fiers de leur appartenance. Cela prouve qu’ils ont laissé une empreinte. La sélection promet d’être variée, ce qui fait partie d’une exigence de représentativité des profils et des médiums.
Les artistes de Sol :
Soufiane Ababri, Joy Charpentier, Enna Chaton, Robert Combas, Johan Creten, Sophie Crumb, Robert Crumb, Aline Kominsky-Crumb, Sylvain Fraysse, Vir Andres Hera, Renaud Jerez, Sofia Lautrec, Paul Maheke, Lou Masduraud, Marion Mounic, Jean-Michel Othoniel, Blaise Parmentier, Dominique Renson, Nesrine Salem, Samuel Spone, Chloé Viton.
Catalogues indispensables : disponibles à la librairie du MO.CO
Neo Rauch. Le Songe de la raison. Bernard Chauveau Editions
Contributions : Numa Hambursin ; entretien de Neo Rauch mené par Hélène Trespeuch.
Édition bilingue anglais-français. 152 pages, 30 Euros
Ana Mendieta. Aux commencements
Edition bilingue français-anglais
216 pages
Éditeurs : This Side Up ; MO.CO. Montpellier Contemporain ; MUSAC, Museo de Arte Contemporáneo de Castilla y León ; Musée des beaux-arts La Chaux-de-Fonds
Infos pratiques :
Neo Rauch
Le songe de la raison
Jusqu’au 15 octobre
A venir :
Sol ! la biennale du territoire
Soleil Triste
Du 14 octobre au 28 janvier 2024