Circulation (s) 2023 : les murmures tourmentés du monde !

The wrong side of the tracks, Marcello Coslovi

Fragmentation du monde et des identités, traumatismes personnels et collectifs,  montée des extrêmes, exils, désastres écologiques, l’édition 2023 du festival Circulation (s) dresse un état de la planète au bord de la catastrophe. Un total de 27 artistes sont réuni.e.s au Centquatre par le collectif Fetart de 14 nationalités alors que le focus cette année est dédié à la Bulgarie. Entre constat d’impuissance et possible résilience, les artistes nous invitent à un sursaut et à une prise de conscience.

Dès le départ, Cynthia Mai Ammann (diplômée de l’École de photographie de Vevey) décrit les mutations sans précédent de Saigon, devenue une « megacity » et l’impact capitaliste sur la jeunesse vietnamienne en perte de repères. Floating View est une ode à la mélancolie subtile.

Floating View, Cynthia Mai Ammann

De leur côté le couple formé par les deux photographes Noah Ambiehl et Mathis Benestebe traduit toutes les ambivalences du genre et de la fluidité. Un récit intime et quotidien où l’amour et la révélation de soi sont au cœur du processus.

Le photographe Simon Bouillière (Ecole nationale supérieure de photographie d’Arles) nous fait partager son amour du drift, culture populaire liée au sport mécanique où il s’agit de faire rouler le véhicule et glisser d’un côté à l’autre de la piste. Un monde de bruit et de vitesse qui dépasse la notion de sport et où il est question d’appartenance.

L’artiste Jojo Gronostay (diplômé de l’Académie des beaux-arts de Vienne et des Beaux-Arts de Paris) fait un parallèle entre l’architecture brutaliste en Afrique qui a peuplé son imaginaire et la forme de talons récupérés à Accra au Ghana, l’une des plus grandes décharges de vêtements usagés provenant d’Occident. Une réflexion sur les cycles d’échanges commerciaux et phénomènes de colonisation.

Seascapes Christoforou Aliki

Ce préambule traversé, plusieurs propositions sont liées à la méditerranée en tant que cimetière à ciel ouvert de migrants. Un aspect mortifère suggéré par  Aliki Christoforou qui utilise le procédé de la gomme bichromatée en remplaçant les pigments par du sang humain suggérant un effet de marées rouges, produites souvent par les polluants dévastateurs de l’industrie de la fast fashion. Une réflexion environnementale sous-jacente qui traverse nombre de ses travaux.

The Last Breath, Katel Delia

Katel Delia dans l’installation immersive et sonore The Last Breath plonge le visiteur dans une nuit de traversée en Méditerranée. L’artiste est partie des données du projet « Migrants disparus » de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) pour ses photographies proportionnelles au nombre de personnes mortes ou disparues pour les années 2014, 2015, 2016.

Marcello Coslovi (diplômé de l’école de photographie Spazio Labo de Bologne) traite d’un sujet proche : le déplacement forcé de populations et le racisme que cela peut générer, comme à Modène dans un quartier périphérique de la ville où se trouve la deuxième plus grande communauté ghanéenne d’Italie. Une ségrégation et précarité invisibles de prime abord mais opérantes.

Les traumatismes personnels et familiaux sont également très présents à travers la série La Grande Maison de Nathalie Malisse formée à l’ESA LE 75 (Bruxelles) et à la KASK (Gand) autour de ses cauchemars liés à la violence de la demeure paternelle. Des cicatrices qui ressurgissent de la mémoire des mots. Avec Peter Pflügler (Académie royale des arts de La Haye) il s’agit de secrets et de non-dits autour du suicide de son père. Du poids de certains silences.

L’un des projets marquants est également celui de l’artiste Mitchell Moreno ayant souffert de dysmorphie corporelle et de troubles de l’alimentation. Il aborde le projet BODY COPY comme un processus thérapeutique et d’affirmation de soi autour des performances des masculinités dans la culture numérique. Il se met en scène dans son domicile londonien avec les moyens du bord créant des réponses formatées à des annonces récupérées sur des sites de rencontres gay et queer.

Le désastre écologique est au cœur de la très belle série du photographe Pascual Ross La sal se come la piedra (« le sel mange la terre ») qui témoigne des bouleversements des écosystèmes maritimes privant les populations locales de leurs revenus, chaque pêcheur posant avec un poisson ou fruit de mer en guise de résistance. Une poésie toute en sourdine. Iván Puñal Garcia (diplômé en architecture technique-Université polytechnique de Madrid) avec We Love Plastic à partir d’une intelligence artificielle de machine learning pointe les incohérences entre innovations technologiques et pollution. Penelope Thomaidi enquête sur l’histoire du pétrole et du gaz en Albanie et en Grèce et l’avenir de ces régions face aux défis de la transition énergétique. Kinga Wrona (Institut de Creative Photography d’Opava -République tchèque), retrace la catastrophe liée à l’éruption du volcan Cumbre Vieja, situé au sud de l’île La Palma (archipel des Canaries) entrainant la destruction de milliers d’habitations et l’évacuation en urgence de leurs habitants qui souffrent actuellement de dépression et de stress post traumatique. Les coulées de cendres dominent dans ces images très sombres.

Anna Szkoda part d’un fait divers en Allemagne « l’affaire Sirius » autour d’un meurtre collectif suscité par l’Ordre du Temple Solaire dans les années 1980, ses adeptes voulant rejoindre l’étoile Sirius. Entre documentaire et réalité parallèle, il est question de manipulation de l’image et de crédulité humaine.

Une utopie que partage en 1929 un groupe de Finlandais·es qui se rend au Brésil pour y construire une communauté en harmonie avec la nature, dont les arrières-grands-parents de Jenni Toivonen. Photos d’archives se confrontent aux fuites de lumière sur la pellicule, pour ce voyage performatif où les rituels de baignade renvoient aux mythes originels.

Parmi le focus sur la Bulgarie, la proposition de Tihomir Stoyanov se démarque. Diplômé de photographie de l’université technique de Sofia, Il est parti de la tradition pratiquée par des jeunes Bulgares jusqu’au début des années 1990, qui consistait à s’offrir des photographies d’identité accompagnées de messages griffonnés au verso. Les 23 portraits récupérés dans des marchés aux puces. Des traditions désuètes qui prennent une valeur nostalgique à l’ère du tout numérique et témoignent du passé socio-culturel du pays.

Evènements : Studios Photo, Little Circulation(s), Hors les murs…

Infos pratiques :

13è édition

Du 25 mars au 21 mai 2023

Tarifs

Plein · 6 euros // Réduit · 3 euros

Du mercredi au dimanche · De 14h à 19h

CENTQUATRE-PARIS · 5 rue Curial, 75019 PARI

https://www.104.fr/fiche-evenement/circulations-2023