Marine Wallon, Point rouge ligne jaune XV, 2022, gouache et pastel sur papier, 45 x 65 cm, courtesy de l’artiste et de la galerie Catherine Issert
Avec 73 galeries internationales dont 30% de nouveaux exposants et 300 artistes, la 16ème édition de Drawing Now au Carreau du Temple affiche des ambitions nouvelles à travers le parcours Parallaxe (changement de perspective) qui met en avant des initiatives audacieuses au sein de la foire, un effort institutionnel et une visibilité donnée au genre et démarche féministe avec l’exposition Le Prisme du féminin : Machines, Ovocytes, Fils, Potions (en partenariat avec le Frac Picardie). Joana P.R Neves, directrice artistique revient sur la nécessaire ouverture du dessin face à un monde qui a changé. Hybridation et fluidité sont de mise ainsi que plus de 30 femmes au sein des solo ou duo shows. En ce qui concerne le 12ème Prix Drawing Now le comité de sélection a retenu les 6 artistes suivants : Suzanne Husky, Mircea Cantor, Keita Mori, Stella Sujin, João Vilhena et Marine Wallon. Le nom du lauréat sera prononcé le 22 mars à 18h30.
Joana P. R. Neves est auteure et commissaire indépendante née à Lisbonne, au Portugal, et basée à Londres. Elle a travaillé dans des galeries à Paris (Galerie Chantal Crousel et schleicher+lange) et à Londres (Marlborough Contemporary). Elle est la directrice artistique de Drawing Now Art Fair depuis 2017. En tant que commissaire d’exposition, elle a organisé des expositions à l’international, comme The Lynx Knows no Boundaries, Fondation Ricard, Paris, en 2017. Elle est la co-commissaire de l’exposition itinérante BLANK sur l’œuvre de toute une vie de l’artiste Irma Blank : Culturgest Lisbonne & MaMCO Genève 2019 ; CAPC Bordeaux, CCA Tel Aviv 2020 ; Museo Villa dei Cedri Bellinzona, ICA Milano & Centre d’art Bombas gens Valencia 2021. Elle a régulièrement contribué à la revue française de dessin contemporain Roven, ainsi qu’à d’autres publications et catalogues. En 2020, elle a obtenu son doctorat en histoire de l’art à l’université de Kingston, Following the Indexical Line, Etienne-Jules Marey, Douglas Huebler, Sol LeWitt. Ses publications récentes incluent As One takes one’s pulse, The Technology of Asemantic Writing, Exh. Cat., Centre d’art de Genève ; Unskilled Beauty or Ugly Truth? pour le magazine Drawing, Research, Theory Practice, publié par Intellect Books, entre autres. Son prochain projet de recherche explore le dessin, l’abstraction et la technologie dans une perspective féministe.
Avec quel état d’esprit envisagez-vous cette 16ème édition ?
C’est la première fois que nous revenons à nos dates habituelles au Carreau du Temple (l’année dernière nous avons décalé la date en raison d’Omicron) donc nous avons une sensation paradoxale de familiarité et de nouveauté. Cette dernière sensation est dûe au fait que le monde a changé, que les préoccupations qui nous animent sont plus pressantes. De ce fait, cette édition de Drawing Now reflète cet état de choses, avec des œuvres aussi esthétiques que profondes. Par ailleurs je suis fière d’avoir, avec l’exposition Prismes du féminin, apporté un regard genré au dessin contemporain. Car le dessin a longtemps souffert l’invisibilité dans le monde de l’art et de son marché tout en y jouant un rôle essentiel, comme les femmes, ou d’autres communautés comme les personnes queer, par exemple, qui pourtant apportent un regard unique, décentré, déconstruit qui est essentiel pour ouvrir des mondes nouveaux. Heureusement cela change et il est temps de célébrer la nouvelle visibilité de ces groupes tout en reconnaissant qu’il y a encore du travail à faire, autant au niveau du dessin contemporain que de la parité !
Dans cette veine, nous en sommes à la 16e édition, donc nous pouvons affirmer que nous contribuons à l’histoire du dessin qui est en train de se faire. Nous accueillons tous les cabinets d’arts graphiques suisses, allemands, les arthotèques et les centres d’art ou fondations consacrées au dessin comme le Drawing Room à Londres ou la Mes il Foundation à Houston, ainsi que les musées généralistes.
Avoir franchi les 15 ans m’a donc fait penser à ce réseau que nous avons constitué, et qu’un nouveau circuit devait le marquer, intitulé Parallaxe (qui signifie changement de perspective, se mettre à la place de l’autre) et qui pointe le parcours des visiteurs et potentiels acheteurs en attirant l’attention sur certaines propositions innovatrices. Ceci montre bien à ceux qui achètent qu’ils.elles contribuent à l’histoire qui se fait dans une plus grande conscience de l’univers de l’artiste, pendant une période où plus rien n’est anodin, et tout prend une ampleur existentielle, politique. Cela soutient aussi les efforts des galeries. Mais l’art a toujours été comme ça, c’est notre conscience qui a changé et le dessin est un médium idéal pour s’en rendre compte car il est fluide et transdisciplinaire. Vous y verrez du volume, de l’animation, de la calligraphie, de la photo. Le dessin correspond à notre période d’ouverture et d’hybridation.
Quel profil de galeries : taux de renouvellement, provenance géographique
Je rappelle que nous avons une démarche presque curatoriale dans notre comité car les galeries sont choisies soit en fonction des secteurs Insight ou Process, soit sur un.e artiste focus d’abord et ensuite les paramètres habituels du projet, de la galerie etc. par un comité qui n’est pas constitué de galeries. Les constitutions des comités est importante car il s’agit d’un lieu de pouvoir décisionnel et ainsi il est important qu’il soit divers. Nous avons donc des curateurs.trices, des critiques et des collectionneurs.euses et une parité de genre masculin / féminin. Il faudra peut-être que nous réfléchissions à apporter encore plus de diversité dans le futur certainement. Mais c’est un processus. Quant aux galeries nous avons la galerie Templon cette année pour la première fois, ainsi que la très bonne galerie suisse Lullin+Ferrari avec l’artiste Franziska Fürter. Cette année est un peu différente, avec de nouvelles entrées, notamment avec une très jeune galerie, la Galerie S, qui vient d’ouvrir et n’a pas d’espace fixe. Nous sommes plus souples dans l’acceptation de galeries hors format car nous savons que le marché est difficile. Néanmoins, nous avons 30% de nouveaux exposants ou des exposants n’étant pas venu depuis longtemps. Nous demeurons européens, nous accueillons comme d’habitude, une galerie russe excellente, Iragui, une nouvelle entrée de pays de l’Est avec la galerie Hestia qui est de Belgrade, une très bonne galerie de Corée du Sud, Wooson galerie et la galerie Kitai qui est Japonaise et qui est revenue après avoir attiré l’attention institutionnelle française.
Quel nombre de primo exposants ?
73 galeries internationales ont été sélectionnées par le comité de sélection. Parmi ces galeries, 30 % sont de nouveaux exposants (galeries n’ayant jamais participé ou pas récemment) :
110 Galerie, Paris, France – Galerie AFIKARIS, Paris, France – Galerie Aline Vidal, Paris, France – Galerie Ariane Chauffert-Yvart, Paris, France – Galerie Berthet-Aittouarès, Paris, France — Galerie Bessières, Chatou, France – Ciaccia Levi, Paris, France — Creative Growth, Oakland, États-Unis – Galerie Dix9 Hélène Lacharmoise, Paris, France – Galerie Antoine Dupin, Cancale, France — Galerie Eric Dupont, Paris, France – Hestia, Belgrade, Serbie – By Lara Sedbon, Paris, France – Lullin + Ferrari, Zurich, Suisse – Galerie Polaris, Paris, France — Galerie Provost Hacker, Lille, France – Galerie Patrice Trigano, Paris, France – Galerie Vazieux, Paris, France – Wooson Gallery, Taegu, Corée du Sud
Quelles nouveautés 2023 ?
En 2023, hormis le parcours Parallaxe, nous avons un programme de talks assez international avec 3 discussions en anglais, et un focus femme intentionnel. Nous avons aussi invité Kate MacFarlane, co-directrice du Drawing Room à Londres à se joindre au comité du prix Drawing Now, et nous avons invité Loïc LeGall, directeur du CAC Passerelle, et Hélène Guenin, directrice du MAMAC à Nice pour faire le choix du secteur Parallaxe avec moi. Un effort institutionnel plus fort est fait, petit à petit, afin que nous soyons reconnus comme le rendez-vous professionnel que nous sommes un peu dans les coulisses, sans que les gens s’en aperçoivent vraiment. Nous sommes l’une des seules foires où les visiteurs reviennent presque tous les jours, s’y donnent rendez-vous.
Le concept du parcours Parallaxe
Le concept est très simple. Je me suis aperçue que les galeries parfois ne se sentaient pas célébrées dans leurs efforts d’apporter de la nouveauté, de prendre des risques. Ainsi, Parallaxe a surgi d’abord dans l’esprit de soutien aux galeries afin de les stimuler à continuer à présenter des artistes inattendus, tandis que nous, de notre côté, nous pouvons attirer l’attention du.e/la visiteur.euse, potentiel acheteur.euse, sur le contexte de certaines œuvres. Comment deviner que l’artiste BD présentée chez Anne Barrault, Julie Doucet, est une pionnière canadienne du fanzine et de la BD féministe punk ? Ou que la galerie Martin Kudlek présente un artiste historique, Oskar Holweck, dans l’utilisation du papier comme matériau du dessin même, si nous n’en informons pas le spectateur avec une signalétique et un petit texte? Mais le but plus radical de Parallaxe, c’est de rappeler aux nouveaux acheteurs ou collectionneurs plus établis que leur rôle est essentiel en tant qu’acteurs de l’histoire du dessin contemporain. Acheter c’est valider, porter, rendre possible une pratique dans la durée. C’est ça investir dans l’art.
La place des femmes et l’exposition Le prisme du féminin : machines, ovocytes, fils, potions
Le but de l’exposition est féministe, à savoir, corriger le regard porté sur le dessin et l’art contemporain en général comme un espace essentiellement mené par les hommes. Et, curieusement, les espaces féminins, auto-désignés comme tels ou bien culturellement affiliés aux femmes ont une résonance toute particulière avec le dessin: le dessin d’observation avec la femme désirée ou mère comme sujet ; les soins et remèdes ; l’ornement comme préoccupation féminine, la décoration et les textiles qui vont avec. Et puis finalement, les femmes jouent un rôle prépondérant dans la technologie, et là je prends Vera Molnar comme exemple majeur. Lorsqu’elle a commencé à utiliser l’ordinateur on l’a accusé de déshumaniser l’art. Il y a un rapport très intime entre la femme et la machine car elle y apporte son corps. Il y a une très belle phrase d’un personnage de la série Foundation (adaptation de la série éponyme d.Asimov), où la femme cyborg rétorque à une humaine que l’amour est une mécanique. Il y a donc des hommes dans l’exposition, soit par le biais du queer et de son incontournable affinité avec le féminisme inclusif et un moderniste comme Nicolas Chardon qui, lui, poursuit un travail plus souple de la grille l’associant au textile Vichy. Le but est vraiment dans l’exposition de reconnaître un certain rôle pionnier de femmes dans le dessin telles que Pierrette Bloch, Vera Molnar, Tania Mouraud (plutôt la graphie et le diagramme dans dans son cas), Hélène Delprat, et une génération plus jeune, queer, ou issue d’une cinquième vague féministe comme Sarah Tritz pour qui le dessin est essentiel dans son rapport à l’image construite par la main.
Infos pratiques :
Drawing Now Art Fair
Carreau du Temple
Du jeudi 23 au dimanche 26 mars 2023
De 11h à 20h (19h le dimanche)
Tarifs
16/9 €
Billet couplé avec le Salon du dessin : 26 €