Anna Boghiguian, Nemausus, 2016, voile de felouque cousue, jean. Don de l’artiste en 2017. Photo David Huguenin. © Anna Boghiguian Carré d’Art les 30 ans
Inauguré le 9 mai 1993 par l’emblématique architecte anglais Norman Foster, le Carré d’Art-Musée d’art contemporain fête ses 30 ans en 2023 autour d’une programmation élargie à toute la ville.
Célébrer la richesse et l’importance de la collection mais aussi le rayonnement du musée et son influence sur de nombreux artistes et acteurs du monde de l’art, tels sont les objectifs que s’est fixé Jean-Marc Prévost qui a œuvré, depuis son arrivée pour l’ouverture de la collection en écho aux nouvelles réalités et géographies du monde (Moyen Orient, Asie…). Au-delà de l’accrochage spécialement conçu au sein du Carré d’Art et de la carte blanche donnée à plusieurs artistes, Jean-Marc Prévost a tenu à associer l’ensemble des musées. Pour l’heure le Carré d’Art accueille la première exposition en Europe du duo d’artistes américains Gerard & Kelly dont les recherches chorégraphiques et artistiques rejoignent l’un des axes de la programmation et la cinéaste et peintre d’origine palestinienne et nord-irlandaise Rosalind Nashashibi. Jean-Marc Prévost a répondu à mes questions.
Gerard & Kelly : quels enjeux ?
Gerard & Kelly nous entraînent vers une relecture, tant par le geste chorégraphique que cinématographique, des icônes architecturales qui nous entourent et de contextes historiques et socio-politiques sous-jacents. Ils construisent une archéologique, d’où le titre Ruines de tous les concepts cachés qui déjouent l’usage bourgeois et patriarcal traditionnel.
Leur projet « Modern Living » travaille sur les nouvelles relations dans l’histoire du XXème que l’architecture moderne a défini par rapport aux usages. Ils sont partis de la Schindler House à Los Angeles, première architecture moderniste dévolue au mode de vie de 2 couples. Une nouvelle modalité de vivre ensemble même si l’expérience n’a pas été très concluante. Ils ont réalisé une performance à l’intérieur de la Schlinder House et un film qui fait partie de la collection du Carré d’Art. où les performeur.euse.s s’approchent et s’éloignent, se synchronisent et se désynchronisent, apprennent à vivre ensemble.
Autre maison expérimentale dans sa conception d’intimités modernes : la Glass House de Philip Johnson dans le Connecticut. Une maison tout en transparence dans la nature même si à côté est bâtie une maison de briques permettant d’abriter Johnson et son partenaire David Whitney ce qui s’explique dans les années 1950 où un couple gay ne pouvait s’offrir une telle visibilité. Cette solution de repli traduit une façon de repenser les notions de genre, de couple et d’espace intime à partager. Outre Le Corbusier et la Cité radieuse, les artistes se penchent à présent sur le cabanon d’Eileen Grey que l’artiste ne pouvait à l’époque signer elle-même en tant que femme architecte. La Bourse de Commerce ou la Maison Carrée, monument romain du Ier siècle av. JC faisant face au musée, deviennent aussi le sujet d’exploration des artistes.
Leur approche rejoint la programmation du Carré d’Art autour d’artistes qui interrogent la porosité entre la danse et les arts visuels tels que : Anne Imhof, Emmanuelle Huynh et Jocelyn Cotencin ouTarik Kiswanson.
Rosalind Nashashibi, Monogram
Rosalind Nashashibi est une cinéaste et peintre d’origine palestinienne et nord-irlandaise, vivant à Londres. Ses films sont régulièrement projetés dans des grandes manifestations internationales. Elle a commencé par la peinture dans une approche classique avant de basculer dans le champ du film. Ce qui m’intéressait est son retour à la peinture en lien avec l’histoire de l’art comme en témoigne l’invitation carte blanche que lui a proposée la National Gallery de Londres. Des peintures qui illustrent sa curiosité pour les signes, en particulier le monogramme qui concentre l’idée d’appartenance et de pouvoir. Les interactions sociales et familiales sont au cœur du long métrage «Denim Sky» tourné sur l’isthme de Courlande, au bord de la mer Baltique, ainsi qu’à Édimbourg, à Londres et dans les îles Orcades, de 2018 à 2022, où l’artiste apparait aux côtés de ses enfants et amis. Le concept de temps non linéaire est également à l’œuvre en ce qu’il traduit des formes de distanciations volontaires ou non entre les personnes.
Quel regard portez-vous sur la collection 30 ans après ?
C’est l’une des grandes collections publiques françaises, ce qui est largement perçu de l’extérieur mais pas nécessairement par les nîmois eux-mêmes.
Pour les 20 ans de Carré d’Art, Norman Foster avait été invité à être le commissaire de l’exposition anniversaire inaugurée le 2 mai 2013. Amateur d’art et collectionneur avec sa femme il a été pour la première fois commissaire à cette occasion.
Pour les 30 ans je souhaitais y associer la ville qui peut se sentir fière de cette collection qui comporte plusieurs œuvres d’artistes allemands majeurs comme Gerard Richter ou Sigmar Polke et de nombreux artistes contemporains incontournables, américains notamment, tout en se distinguant d’autres collections publiques.
Elle n’a pas non plus une visée universaliste comme peut l’être celle du Centre Pompidou même si plusieurs axes s’en dégagent. Ce qui est intéressant dans cet exercice de récit d’une histoire de collection, c’est de réaliser que de nouvelles choses émergent sur trois décennies. Si les premiers achats mettent en évidence une histoire centrée sur les Etats-Unis, l’Allemagne et la France, à présent de nouvelles géographies du monde s’imposent : l’Asie, Proche et Moyen Orient avec une multiplicité de mediums accompagnent cette fabrique de l’image. L’on note aussi que la place des femmes a également beaucoup changé. Si l’on compare l’accrochage des deux étages entre les années 1960 et 1980 autour du Nouveau Réalisme de Supports-Surfaces jusqu’à la peinture, ces années étaient entièrement dominées par les hommes. Les femmes artistes n’étaient pas visibles alors.
Je voulais montrer à quel point la collection était importante en relation aussi avec les collections privées, les pouvoirs publics ayant donné les moyens à certains moments qui permettent d’en arriver à de tels ensembles. Ce sont des collections partagées par tous alors que les collections d’une fondation rentrent de facto dans le système du marché de l’art. Autre différence essentielle à souligner. Une œuvre qui rentre au Carré d’art comme dans tout musée en France est inaliénable, non cessible par définition. Les artistes en sont bien conscients et sensibles et ont souhaité procéder à de nombreuses donations afin de se protéger d’un système spéculatif. Un phénomène relativement récent et important.
Quels axes de la collection ?
Un premier axe est tourné vers la peinture avec les différents mouvements des années 1960 à 1980, De plus, un axe international avec l’Italie et l’arte povera ou la peinture allemande.
Depuis mon arrivée j’ai voulu ouvrir sur d’autres scènes, le monde ayant beaucoup changé. J’ai dû faire des choix et partant de la situation du musée, je me suis intéressé au bassin méditerranéen au sens large. Connaissant bien le Moyen Orient j’ai acquis un certain nombre d’artistes de cette partie du globe. J’ai tenu aussi à compléter des ensembles déjà constitués, tout en étant aussi soucieux de donner une visibilité aux femmes et aux questions de genre.
Le cycle d’expositions pour l’anniversaire des 30 ans
-Au Carré d’art
L’idée est de montrer toute la richesse de la collection même si c’est toujours une gageure étant donné les espaces dévolus. De plus c’est toujours un choix, une histoire que l’on raconte. J’ai tenu à m’associer à des artistes qui sont liés à l’histoire du Carré d’Art par le biais d’une exposition ou étant présents dans la collection. Tout d’abord Suzanne Lafont qui va partager son regard sur la collection de photographies. Les artistes Walid Raad et Tarik Kiswanson vont aussi donner leur vision sur les acquisitions plus récentes. Les femmes seront bien présentes à travers de ombreuses acquittions avec certaines qui ont été exposées ici comme : Anna Boghiguian, Babette Mangolte, Nairy Baghramian, LaToya Ruby Frazier…même si je ne veux pas tomber dans des quotas. On remarque à quel point d’un étage à l’autre le monde a évolué.
-Dans toute la ville de Nîmes, des expositions de mars à décembre 2023
Il y a eu un dialogue entre tous les directeurs des musées de la ville autour d’un lien plus ou moins ténu entre l’artiste retenu et l’histoire du musée en question.
Si l’on prend par exemple le Musée du vieux Nîmes réputé pour ses tissus rarement exposés dont la fameuse toile de Nîmes à l’origine du jeans, nous avons choisi des artistes de la collection qui engagent une réflexion sur le support textile de Viala à des artistes plus contemporains comme : Latoya Ruby Frazier, Yves Reynier, Patrick Saytour, Mounira Al Solh ou Anna Boghiguian. Cette dernière avait lors de son exposition en 2016 brodée une grande voile d’un palmier en toile de jean, la ville de Nîmes étant liée à l’Egypte par la bataille d’Actium qui renvoie aussi à notre emblème, le crocodile.
Le musée des Beaux-arts propose une monographie de Martial Raysse le Carré d’Art ayant acquis un nombre important de ses œuvres au début de son histoire.
Le museum d’histoire naturelle se concentre plutôt sur des œuvres liées au savoir-faire, à la main, la matière avec : Jean-Luc Moulène, Jean-Michel Othoniel, Ugo Rondinone, Philippe Favier.
La Chapelle des Jésuites accueille Noé Soulier avec qui je suis en discussion depuis un moment. Son dernier projet est une chorégraphie réalisée pour un film autour de l’idée de pouvoir faire entrer le corps dans un écran. Une recherche à la fois chorégraphique et conceptuelle que nous allons présenter en tant qu’installation. Il s’inscrit comme beaucoup de chorégraphes actuels, aux confins des arts plastiques, ce qui rejoint l’un des axes de la programmation comme je l’évoquais précédemment. Il enseigne aux Etats-Unis, même s’il est nîmois d’origine.
Le musée des cultures taurines se concentre sur des originaux des affiches de la féria.
Le musée de la Romanité va présenter un artiste contemporain pour la première fois, Olivier Laric en regard sur les collections d’archéologie.
Ce parcours dans la ville incitera nous l’espérons, les visiteurs qui ne viennent qu’au Carré d’Art à aller découvrir les autres facettes de la ville comme je l’ai amorcé à travers la programmation à la Chapelle des Jésuites chaque été.
Infos pratiques :
Gerard & Kelly, Ruines
Rosalind Nashashibi, Monogram
Jusqu’au 26 mars
Les 30 ans au Carré d’art
- La mélodie des choses, Regard sur la collection. Dès le 17 janvier 2023. Carré d’Art – 2e étage.
- Regards sur une collection par Walid Raad et Tarik Kiswanson, Carré d’Art – 3e étage – 9 mai-17 septembre 2023
- Regard sur la collection photographique du musée par Suzanne Lafont. Carré d’Art – galerie Foster, 9 mai-17 septembre 2023
- Martin Syms, Ugly Plymouths. Carré d’Art – Galerie de l’atrium (niveau – 1). 9 mai- 17 septembre 2023
Hors les murs : dans toute la ville de Nîmes
- Musée des Beaux-Arts: Martial Raysse, 25 mars-3 décembre
- Chapelle des Jésuites : Noé Soulier, Fragments, 9 mai-3 septembre
- Musée du vieux Nîmes: De Nîmes au Nil avec Anna Boghiguian, Latoya Ruby Frazier, Yves Reynier, Mounira Al Solh, Patrick Saytour. Sélection d’œuvres textiles. 9 juin au 19 novembre
- Musée des cultures taurines –
A l’Affiche ! La Feria sous le trait des artistes contemporains 13 mai au 31 octobre 2023 - Muséum d’histoire naturelle: Collections Premières avec Jean-Luc Moulène, Jean-Michel Othoniel, Ugo Rondinone, Philippe Favier. 15 juin-19 novembre.
- Musée de la romanité, Oliver Laric, Mémoire vive 21 avril- 31 décembre
- ESBAN : parcours d’œuvres proposé par l’Ecole des beaux-arts