A Londres lors de la dernière Frieze Masters Camille Morineau, la fondatrice d’AWARE Women Artists s’est vu confier le commissariat général, preuve de la reconnaissance des femmes, même si en termes de valeur il y a encore un gap à franchir selon les mécanismes trompeurs du marché. Retour sur quelques incontournables figures, toutes générations confondues, dont la chilienne Cecilia Vicuña pour l’emblématique Turbine Hall (Tate commission), l’icône Carolee Schneemann et le corps politique au Barbican Center, la sculptrice slovaque Mària Bartuszovà ou Cornelia Parker (Tate), l’afro-américaine Amy Sherald (Hauser & Wirth), la pionnière soudanaise Kamala Ibrahim Ishaq (Serpentine Gallery) ou la Canado-coréenne Zadie Xa (Whitechapel gallery), tandis qu’à Paris : Mickalene Tomas relit le Déjeuner sur l’herbe de Monet et Yayoi Kusama fait le show sur le toit de Louis Vuitton.
Carolee Schneemann, « Body politics » Barbican Center
La pionnière du Body art, radicale et exaltante à la fois dans sa féminité assumée déploie en all rover l’ensemble des causes qui l’animent : le patriarcat, la guerre du Vietnam, le terrorisme, le spectre du Sida… via la peinture d’abord puis de plus en plus la performance. Dans la scène new yorkaise bouillonnante des années 1960 du Judson Dance Theater, elle fait la connaissance de nombreux artistes, Claes Oldenburg, Joseph Cornell avec qui elle expérimente les « Boîtes-constructions » au moment d’un incendie dans son atelier, ce qui la conduira à rechercher le feu comme matière première. Un avortement clandestin à Cuba la conduit à explorer une veine plus viscérale du corps comme lorsqu’elle déroule de son vagin un long poème maculé de sang, Interior Scroll, ou lors de la célèbre performance orgiaque Meat Joy avec les corps des chorégraphes bousculés par des cadavres de volatils morts, jusqu’à filmer l’acte sexuel dans une traversée hallucinatoire et psychédélique, Fuses. Ses luttes et son influence seront immenses sur de nombreux artistes et chorégraphes et l’on songe notamment à Marina Abramovitch et des générations de féministes.
Mària Bartuszovà
Née à Prague en 1936, elle doit faire face à des années totalitaires suite à l’invasion de la Tchécoslovaquie même si son œuvre révèle une intense capacité de réinvention dans le silence et la réclusion de son atelier de Košice face à la nature. Une retraite spirituelle autour du processus de la germination. Elle met au point ses propres techniques à partir du plâtre auquel sont ajoutés des éléments collectés : pierres, sable, reliefs…Une blancheur Son œuvre n’a pas bénéficié de son vivant de reconnaissance internationale étant donné le contexte politique du rideau de fer et le public l’a découverte à l’occasion de la documenta 12 de Cassel.
Kamala Ibrahim Ishaq (Serpentine Gallery)
L’artiste soudanaise, l’une des premières à être diplômée de l’Ecole des Beaux-arts de Khartoum en 1963, complète sa formation à Londres au Royal College of Art pour retourner dans son pays et fonder le Crystalist Group en opposition à l’Ecole de Khartoum. Le manifeste Crystaliste revendique une nouvelle philosophie et esthétique loin des discours masculins dominants : « Le Cosmos est un projet d’un cristal transparent sans voile et d’une profondeur éternelle … » La nature et son cycle, la mythologie, la vie des esprits ou le folklore de la Nubie irriguent ses peintures et dessins.
https://www.serpentinegalleries.org/
Cecilia Vicuña, Turbine Hall
Née au Chili en 1948 et basée à New York, la poétesse et performeuse puise dans le répertoire andin inspirations pour ses grandes installations de laines et de coton, des « quipus » en écho à ces créations païennes qui effrayaient les colons espagnols et qui se voient réactivées à Londres dans une approche artisanale collaborative. Au nom des désastres de la déforestation, les visiteurs de la Turbine Hall pénètrent dans un paysage premier de forêts et de rivières. L’environnement sonore a été conçu avec le compositeur colombien Ricardo Gallo. Son engagement pour les causes éco-féministes, les thèmes de la mémoire, de l’exil et de la perte en font une personnalité à part.
Cecilia Vicuña: Brain Forest Quipu | Tate Modern
Amy Sherarld (Hauser & Wirth Londres)
« There is so much that dictates the role of how wre’re supposed to be –wether as black person or woman »
Son portrait officiel de Michele Obamaen 2018 l’a propulsée sur le devant de la scène. A partir de l’utilisation du medium photographique, Amy Sherald se concentre sur la peinture dans un usage du gris exclusif qui isole le portait de toute forme de spéculation. « J’ai réalisé qu’il n’y avait pas dans le récit historique et contemporain de figures noires juste saisies dans leur immédiateté et neutralité » déclare-t-elle. Des sujets dont le regard nous échappe pris dans une vie intérieure dont la complexité se joue hors du cadre. Première exposition en Europe de l’activiste américaine qui déjoue un certain nombre d’archétypes.
Amy Sherald – Hauser & Wirth (hauserwirth.com)
Zadie Xa (Whitechapel gallery)
Née à Vancouver en 1983, diplômée du Royal College of Art and design de Londres, son approche pluridisciplinaire explore les histoires de migration, de communautés diasporiques, société matriarcales, systèmes de pouvoir sous le prisme du folklore coréen traditionnel. Des récits alternatifs peuplés de légendes, d’apparitions et de spectres liés au Bouddhisme et Chamanisme. A partir de la reconstitution d’une habok (maison coréenne) et nombreux patchworks, gages de bonne fortune, l’installation « House Gods, Animal Guides and Five Ways 2 Forgiveness » rassemble un grand nombre de sculptures, œuvres textiles, masques, marionnettes représentant des animaux, avatars incarnant selon l’artiste de nombreux enjeux écologiques et culturels selon les croyances asiatiques.
Mickalene Tomas (Musée de l’Orangerie)
Le Déjeuner sur l’herbe : les trois femmes noires avec Monet ou la relecture de l’histoire de l’art occidental par la réalisatrice, commissaire et artiste américaine Mickalene Thomas en contrepoint contemporain. Défiantes et sensuelleselles vous regardent loin de tout male gaze exotisant dans des poses lascives. Rehaussés de strass ou de papier découpés, ces collages réalisés lors d’une résidence à Giverny en 2011 partent de nombreuses photographies qu’elle manipule ensuite.
https://www.musee-orangerie.fr/
Yayoi Kusama, la papesse des petits pois (Tate, Louis Vuitton)
“Ma vie est un pois perdu parmi des milliers d’autres pois”
Comme dans le conte d’Andersen la Princesse au petit pois, les apparences sont parfois trompeuses et l’artiste japonaise Yayoi Kusama qui vit dans un hôpital psychiatrique, aime jouer de la lumière comme actuellement où son effigie caracole au sommet du navire amiral Louis Vuitton sur les Champs Elysées. Spectaculaire ! Ce n’est pas la première fois que la marque française collabore avec la recluse dont le public a traversé les Infinity Mirror Rooms récemment à la Tate et partout dans le monde, tandis que sa grande citrouille Pop trônait place de la Concorde lors de la Fiac de 2019. Si elle connait des années de disette à New York, le succès arrive enfin dans les années 1990. Aujourd’hui âgée de 93 ans elle multiplie les expositions parsemant le monde de ses hallucinations teintées de préceptes philosophiques. Son musée ouvre à Tokyo en 2017, fait rarissime pour une femme artiste. Elle est l’une des mieux vendues. Une belle revanche avec comme questions en suspens : la folie fait-elle vendre ? art ou spectacle ?