Interview Aurélie Voltz, MAMC+ : Marc Camille Chaimowicz, Marcelle Cahn, The House of Dust – Collections au féminin

Marcelle Cahn, Triptyque, Peinture-relief,1953, détrempe sur isorel, 74,5 × 114,5 cm,Collection FNAC, dépôt au musée des Beaux-Arts de Lyon, achat en 1972. Photo : Martial Couderette-Lyon MB

« Etant moi-même la première femme directrice de ce musée depuis sa création en 1860, la question de la représentativité des artistes femmes est au cœur de mes préoccupations, ce que traduit la programmation avec les expositions Marcelle Cahn et The House of Dust » AV

Le Musée d’art moderne et contemporain de Saint-Etienne –MAMC+- propose une riche programmation automnale autour de l’artiste français établi en Angleterre, Marc Camille Chaimowicz, de Marcelle Cahn (1895-1981) en lien avec une réflexion que mène le MAMC+ sur la place des femmes dans les collections à travers notamment l’exposition The House of Dust dont le titre est emprunté à l’artiste et poétesse américaine Alison Knowles. Si Marcelle Cahn participe de la démarche de redécouverte des artistes femmes, ses liens avec le Musée de Saint Etienne sont peu connus. Elle devient en effet une véritable ambassadrice du musée favorisant un nombre important de dons d’artistes. Au-delà de ses « tableaux-reliefs » relevant d’une abstraction géométrique, d’autres facettes de ses créations en lien avec la musique et la poésie sont révélées. Marc Camille Chaimowicz s’inscrit également dans un rapport avec l’histoire industrielle de Saint-Etienne à travers le savoir-faire de l’entreprise de rubanerie Neyret. Le titre de l’exposition Zig Zag and Many Ribbons… rend aussi un hommage à sa mère, Marie Tailhardat, apprentie couturière de la maison Paquin à Paris, à la machine à coudre fabriquée par Manufrance et incite le visiteur à aborder le parcours de façon non linéaire, le domestique devenant chez lui un territoire de revendications identitaires et politiques comme nous l’explique Aurélie Voltz. Enfin l’accrochage The House of Dust part du constat que seulement 4% des collections sont des œuvres d’artistes femmes, chiffre que partage le MAMC+ avec le Metropolitan Museum de New York, même si d’autres artistes invisibilisé.e.s restent encore à redécouvrir comme le souligne Aurélie Voltz. Il ne s’agit pas selon elle d’essentialiser mais d’inclure d‘autres récits, d’autres histoires. Elle a répondu à mes questions.

Marc Camille Chaimowicz : genèse d’une exposition

Aurélie Voltz. L’invitation a été lancée dès ma prise de fonction en 2018, Marc Camille Chaimowicz n’ayant pas bénéficié en France d’une exposition couvrant l’ensemble de son travail. De plus le musée de Saint-Etienne s’y prêtait particulièrement bien de par ses collections de design (plus de 1600 objets dont beaucoup liés à l’histoire du territoire) et disposant d’espaces suffisamment importants pour pouvoir lui faire une proposition sur 1000m², sous la forme d’une carte blanche pour venir occuper, imaginer, transformer les lieux.

Marc Camille Chaimowicz,Dual, 2006 -2007
Vue de l’exposition Marc Camille Chaimowicz à Secession Vienne (Autriche) en 2009-
2010

Les partis pris scénographiques et les liens tissés autour des collections du musée

AV. Pour l’artiste il ne s’agissait pas uniquement d’intervenir dans les espaces mais aussi de relire la collection du musée. On pourrait même dire qu’il en est le commissaire.

Nous lui avons mis à disposition la collection via notre base de donnée, ce qui évitait de trop nombreux déplacements. La plateforme Navigart a pour particularité de proposer une navigation dans les collections de manière aléatoire, ce qui l’a conduit à adopter les mêmes réflexes que face à des achats en ligne, en piochant ici et là des œuvres qui ne se ressemblaient pas mais entraient en résonnance avec son travail ou sa sensibilité. Il s’est ainsi livré dans un premier temps à une sélection un peu impulsive qu’il a au fur et à mesure affinée, « jusqu’à ce jour » où des œuvres initialement prévues ne sont finalement pas présentées car jugées en décalage avec l’installation imaginée au préalable sur plan.

Marc Camille entretient de plus un rapport immédiat à l’industrie de Saint-Etienne. Dès le début il a pu rencontrer des entrepreneurs, des artisans qui défendent des savoir-faire locaux comme la rubanerie séculaire Neyret qui se hisse à la 2ème place aujourd’hui sur le marché européen. Il a très vite manifesté une volonté d’entamer une collaboration pour produire plusieurs œuvres. Un rapport à l’histoire industrielle qu’il avait déjà noué à Lyon avec les soieries. Une donnée essentielle à chacun de ses projets.

Marc Camille Chaimowicz , Desk…on Decline, 1981 , MDF, laque de cellulose, vue de l’exposition
Summer’s Song…, Centre d’art contemporain La Synagogue de Delme, 2007

Le titre Zig Zag and Many Ribbons..renvoie à la fois à ces rubans et au parcours imaginé sous forme de rebonds

AV. En effet il s’agit de rebondir, de passer d’une travée à l’autre, de découvrir des associations d’idées, d’objets, qui n’ont pas vocation à se rencontrer, dans une perspective non linéaire. Le zig zag est une sorte d’état d’esprit pour Marc Camille qui réfute ce qu’il appelle « la tyrannie de l’angle droit ». Ce motif lui permet d’être impermanent et surtout ambivalent. Très tôt il a conçu des fenêtres pour son propre appartement qui faisait la part belle à la diagonale. Une manière pour lui de ne pas choisir. Il est toujours entre les deux, à tel point que les installations ne se finalisent qu’avec beaucoup de temps et une certaine dose d’improvisation en fonction d’une humeur, du comportement des autres, des souvenirs, du passé… son rapport intime aux objets et à l’espace.

Pour Marc Camille Chaimowicz, le domestique et le politique sont étroitement liés, comment cela se traduit-il ?

AV. Effectivement cela s’inscrit dans son histoire personnelle et son rapport à l’œuvre puisqu’assez vite après sa période de peinture, de performance, l’artiste entrevoit que le milieu de l’art ne lui convient plus et il décide alors d’inventer son propre monde dans une forme de repli autour de son appartement devenu son atelier. Le rapport entre travail et vie personnelle commencent à se fondre autour d’aspirations intimes et d’une sensibilité qui n’arrivent pas à s’exprimer dans l’espace public ou institutionnel du monde de l’art. Il se construit alors dans un intérieur domestique dont il imagine les rituels et tous les contours, du papier peint au service à thé, en passant par le mobilier, les paravents, vêtements… Un parti pris décidé très tôt en faveur d’une œuvre d’art totale pour pouvoir résister et construire un champ social et politique.

Jan Groover, Sans titre (n°629), série « Body Parts», 1981, photographie noir et blanc. Dépôt Institut
d’Art Contemporain, Villeurbanne / Rhône-Alpes.

Autre proposition, The House of Dust qui interroge la place des femmes artistes dans les collections : quels enjeux poursuivez-vous ?

AV. Sans vouloir brandir l’étendard féministe à tout prix, il y a bien entendu une attention particulière autour de cette question étant la première directrice de ce musée depuis sa création, ce qui n’est pas neutre.

Mes choix en matière de programmation visent déjà à rétablir une forme d’équilibre entre des expositions d’artistes femmes et des monographies d’artistes hommes. L’exposition inaugurale Vingt-quatre heures de la vie d’une femme repensait une narration autour d’une femme indépendante à partir d’un certain nombre d’images qui répondaient à des enjeux que je trouve importants aujourd’hui. Ce manifeste passé, l’étape suivante est de rétablir l’équilibre en matière d’acquisitions que ce soit en ce qui concerne les artistes femmes mais aussi les artistes membres d’autres communautés ou d’autres minorités comme les personnes afro-descendantes qui doivent trouver leur place avec des chiffres qui ne représentent que 1% des collections. Il y a encore un énorme travail à faire de ce point de vue. Par contre, et contrairement à d’autres prises de position plus radicales de collègues américaines, je n’ai pas souhaité m’en tenir à des expositions ou acquisitions exclusivement féminines. Je considère cela comme un excès inverse qui ne me ressemble pas.

Vue de l’exposition The House of Dust, MAMC Saint-Etienne

The House of Dust, collections au féminin, est curaté par un homme Alexandre Quoi, responsable du département scientifique du musée, n’y a-t-il pas contradiction ?

AV. Nous nous rejoignons parfaitement avec Alexandre Quoi sur la mise en valeur des artistes femmes, et l’interrogation du récit officiel. L’idée est de confier cette exposition à quelqu’un qui m’accompagne au quotidien dans les prises de décision, la direction scientifique du musée, la programmation. C’est évidemment son regard, le mien aurait été vraisemblablement différent, et c’est tout l’intérêt d’avoir une équipe et des points de vue complémentaires, ce dont je me réjouis.

Une place importante est donnée à la photographie dans The House of Dust et votre programmation

AV. En effet la photographie est une donnée importante de la collection et des acquisitions. Nous avons souhaité remettre à l’honneur ce medium avec Alexandre Quoi, alors qu’il représente 1/3 de la collection. La précédente exposition dédiée à Thomas Ruff en était la parfaite illustration.

Marcelle Cahn, Les toits, 1927, huile sur toile, 46 × 55 cm. Collections MAMC+, dépôt du CNAP, achat en 1959. Crédit photo : C. Cauvet/MAMC+ © droits réservés

L’exposition Marcelle Cahn est coproduite avec le Musée d’Art moderne et contemporain de Strasbourg et le Musée des beaux-arts de Rennes : quelles spécificités sont mises en avant à Saint-Etienne ?

AV. L’idée de départ était de pouvoir déployer ici l’ensemble des périodes de création de l’artiste à travers des choix scénographiques sous formes de fenêtres entre les salles qui tissent des liens entre les différentes phases pour essayer de mieux comprendre un parcours aux multiples changements. Nous offrons aussi un focus particulier sur les liens entre Marcelle Cahn et le musée de Saint-Etienne à travers tous ces artistes qu’elle fait entrer dans les collections sous forme de dons, l’art moderne n’étant pas à l’époque la priorité du comité d’acquisition. Son amitié avec Maurice Allemand, son engagement, leur complicité sont ainsi révélés. Elle n’a pas hésité à aller convaincre chaque artiste d’atelier en atelier (Amélie Nemours, Léon Tutundjian, André Bloc, Marta Pan, Alicia Penalba..). Une magnifique histoire que nous avons voulu mettre en avant.

Cette exposition est coproduite avec le Musée d’Art moderne et contemporain de Strasbourg MAMCS (du 29 avril au 31 juillet 2022) et sera présentée au Musée des Beaux-Arts de Rennes à l’été 2023. Elle verra son format varier à chaque étape en fonction du site.

Infos pratiques :

MARCELLE CAHN En quête d’espace

jusqu’au 5 mars 2023

Catalogue Coédition par les éditions des Musées de Strasbourg, le Musée d’art moderne et contemporain de Saint-Étienne Métropole et le musée des Beaux-Arts de Rennes. 336 pages, 360 illustrations. Prix : 44 euros.

MARC CAMILLE CHAIMOWICZ Zig Zag and Many Ribbons

Catalogue Rêverie dans la pratique et dans ses formes Coédité avec Les presses du réel, conçu par le graphiste Zak Kyes sous la direction artistique de Marc Camille Chaimowicz et Anna Clifford, et produit avec le so. tien de la Fondation Pernod Ricard, il comporte un essai de Marie Canet sur l’ensemble de l’œuvre de cet artiste. 248 pages, 177 illustrations couleurs, 26 × 21 cm, un ruban dessiné par l’artiste est inséré en marque-page. Prix : 37 euros.

THE HOUSE OF DUST Collections au féminin (1960- 2020)

jusqu’au 10 avril 2023

Le Musée d’art moderne et contemporain de Saint-Étienne Métropole est ouvert les lundis, mercredi, jeudi et vendredi de 10h à 18h, et les samedis et dimanches de 10h à 18h30.

Tarifs : 6,50 euros : plein tarif / 5 euros : tarif réduit / Gratuit : pour les moins de 26 ans

| MAMC, Musée d’art moderne et contemporain, Saint-Étienne Métropole (saint-etienne.fr)