Vues d’exposition Barbe à Papa, Capc Musée d’art contemporain, Bordeaux
(03.11.2022 – 14.05.2023). Commissaire Cédric Fauq. photo Arthur Pequin
A l’occasion des 50 ans du Capc (2023), Sandra Patron, directrice invite Cédric Fau, commissaire général à dérouler l’ambitieux projet et axe de recherche qu’il porte depuis son arrivée autour d’une histoire culturelle de la fête foraine, ses liens avec les Expositions Universelles et les mécanismes d’attraction et d’illusion qui entourent une œuvre d’art et régissent ses lieux de monstration. Une hypothèse qu’il confronte directement avec le passé des anciens Entrepôts Lainé lié aux denrées coloniales dont le sucre et son environnement proche : la Foire aux plaisirs qui tous les ans aux mois de mars, s’installe place des Quinconces. La fête foraine en tant que phénomène social et ses résurgences, un rituel populaire désavoué ou encore plébiscité ? un spectacle réservé à une certaine élite ? autant de questionnements qui irriguent « Barbe à Papa » dans le sillage de Marcel Duchamp dont le Grand Verre serait inspiré d’un jeu de chamboule tout. Si les codes traditionnels d’une fête foraine sont bien présents : carrousels, stands de tir, machines à pinces, distributeurs de pop corn, montagnes russes.. très vite ils sont déjoués dans une atmosphère gravitationnelle où l’air, l’électricité, la lumière sont des composantes fortes, de même que l’huile, le sucre ou le plastique. Plus de 50 artistes internationaux sont soumis au radar de cette entreprise de déconstruction à partir de fils rouges signalés non pas par des cartels mais des émoijis : Festin, Gravity, Lanternes, Carrousel et 1893, cette date correspondant à l’Exposition universelle de Chicago célébrant les 400 ans de l’arrivée de Christophe Colomb aux Amériques avec comme attractions outre la première grande roue, des zoos humains où sont mis en pâture des freaks comme les sœurs siamoises Radica et Doodica Neik. Attractions du cirque américain Barnum installé à Paris en 1901, elles sont opérées d’urgence par le chirurgien Eugène Doyen, cette séparation filmée, faisant le Une de tous les journeaux et témoignant de la fascination des foules pour le difforme, le monstrueux, le bizarre. Une dissonance qui en annonce d’autres. Le revers du spectacle comme cette barbe à papa, séduisante et gourmande de prime abord mais qui colle très vite aux doigts et en devient écœurante, comme le souligne Cédric Fauq qui invite à lire entre les lignes de cette grande histoire du divertissement et fabrique de la récompense.
Après avoir franchi la porte de Julien Ceccaldi, Door to Cockaigne (= pays de cocagne), mi attirante mi menaçante, traversé différents seuils, l’on se retrouve happés par la grande Nef qui offre un spectacle à la fois familier et totalement déroutant par le biais de multiples stimuli, sonores ou gustatifs, d’œuvres a priori ascensionnelles qui se retrouvent à contre-emploi et clouées au sol. Ainsi de la grande montagne russe de l’artiste Jesse Darling, composée de rails sans wagon dont le titre « Gravity Road » renvoie à l’une des premières lignes de chemin de fer en Pennsylvanie dédiée au charbon qui aurait inspiré les concepteurs forains. De même avec le Carrousel de Bertille Bak « Le Berceau du chaos » qui détourne la vision édulcorée et candide de l’enfance dans un véritable traquenard où l’enfant se verrait propulsé contre le sommet du carrousel. Subterfuge également à l’œuvre avec l’artiste américaine Lutz Bacher avec cette grande vue de montagne inversée « the Alps » qui va à l’encontre des clichés publicitaires ventant la démesure d’un loisir de l’extrême. Tandis que l’orgue de Barbarie de Matthis Collins déclenche sa mélodie douce-amère, selon sa propre horloge interne comme la plupart des œuvres, les métabolisations en puissance du duo Julie Villard et Simon Brossard se contortionnent, tandis que la grand Tour de Babel aux écrans LED de l’artiste Arash Nassiri, projette des images au ralenti et muettes. Une lanterne magique persane qui renvoie aux origines croisées du cinéma et de la fête foraine et ses nombreuses machines de projection d’images. Citons également la maison des horreurs d’un des premiers tueurs en série américain, le Dr HH Homes évoqué par l’affiche de Cécile di Giovanni ou ce portrait de Mickey déformé d’Eliza Douglas. Des images rémanentes qui flottent dans notre inconscient collectif, recyclées à l’infini par la fête foraine dont se saisit Christophe de Rohan Chabot avec le visage lisse et resserré de Kim Kardashian, icone devenue presque générique. Une foire aux célébrités que souligne l’installation de Thomas Liu Le Lann constituée d’une scène aux codes couleurs des plateaux TV et une sucette disproportionnée en verre soufflé (motif de l’affiche de l’exposition). « Casting » écrit en lettre gothiques qualifie cet ensemble qui renvoie à une véritable industrie des jeunes pousses de la téléréalité, victimes promises d’une obsolescence programmée. On peut encore s’échapper par la coursive du haut qui réserve d’autres surprises… Tournez manège et bas les masques tandis que continue de clignoter dans le ciel bordelais la façade du Capc aux couleurs fluo du camion de glaces de l’artiste Chila Burman. Défi remporté par Sandra Patron et Cédric Fauq qui élargissent les possibles au risque de nous perdre.
Relire mon interview avec Cédric Fauq en février 2022 qui annonçait les contours d’un projet à valeur de manifeste et ses différentes sources d’inspiration (lien vers).
Liste des artistes : Bogdan Ablozhnyy, Alfredo Aceto, Lutz Bacher, Bertille Bak, Ericka Beckman, Meriem Bennani, Kasper Bosmans, AA Bronson, Chila Burman, Julien Ceccaldi, René Clair, Mathis Collins, Matt Copson, Jesse Darling, Kevin Desbouis, Eliza Douglas, Dr. Eugène Doyen, Marcel Duchamp, Cécile di Giovanni, Anders Dickson, Natacha Donzé, Stano Filko, Nicholas Grafia, Ram Han, EJ Hill, Carsten Höller, Agata Ingarden, Silas Inoue, Ken Jacobs, Gregory Kalliche, Matthew Langan Peck, Miriam Laura Leonardi, Ghislaine Leung, Thomas Liu Le Lann, Johann Lurf, Fabrizio Milani & Andrea Dal Molin, Arash Nassiri, Gyan Panchal, Russell Perkins, Harilay Rabenjamina, Pierre-Lin Renié, Christophe de Rohan Chabot, Diane Severin Nguyen, Israel Urmeer, Julie Villard & Simon Brossard, Kristin Walsh, Bri Williams, Mara Wohnhaas, Cici Wu, Dena Yago, Vivien Zhang, Jenkin van Zyl.
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Commissaires : Sara Martinetti et Maria Matuszkiewicz
En co-production avec le musée d’art moderne de Varsovie où l’exposition sera présentée à partir de février 2023.
Modernistin, Phung-Tien Phan et Niklas Taleb
(dans le cadre de la résidence les Furtifs)
Commissaire : Marion Vasseur Raluy
Infos pratiques :
Barbe à Papa
Jusqu’au 14 mai
Large programmation dédiée : performances, workshops, concerts…
Tarifs :
8/4, 50 €
Entrée libre le 1er dimanche du mois