Dirk Snauwaert, WIELS : Didier Vermeiren, Shimabuku et programme 2023

Installation Views WIELS Didier Vermeiren Double Exposition 2022 Photo We Document Art 

Didier Vermeiren bénéficie de sa première au WIELS à Bruxelles, un événement pour les belges depuis 35 ans, alors qu’en France il a été exposé au Musée Bourdelle en 2005 puis à la Maison Rouge. Un artiste majeur, de l’ordre de l’absolu comme le résume Dirk Snauwaert et une « Double Exposition » selon le titre retenu qui renvoie à un cliché décisif dans son processus de création, tout comme la photographie. Un dialogue remarquablement orchestré par l’artiste, curateur du parcours. De plus le Wiels propose une exposition de Shimabuku sous le prisme du son, un opus inédit après Le Crédac et le Musée de Monaco, dont la commissaire est Zoë Gray. Dirk Snauwaert nous dévoile la programmation 2023 qui donne une large place à la performance.

Quelle est la genèse du projet Double exposition de Didier Vermeiren ?

Nous avions vu un ensemble d’œuvres à la Fondation Herbert de Gand, la dernière installation du vivant du collectionneur. Pendant le confinement, la fondation avait attribué à chacun des artistes un espace, ce qui donnait un résultat éclectique mais très convaincant comparé à un accrochage plus linéaire ou narratif. Nous avons alors réalisé qu’il n’y avait pas eu d’exposition institutionnelle de l’artiste en Belgique, considéré comme majeur ici alors qu’en France il a bénéficié de plusieurs expositions monographiques, à la Maison Rouge notamment. Ce rayonnement s’explique par son opposition à une généalogie artistique à Bruxelles qui se limiterait au symbolisme et au surréalisme, qui exclurait le formalisme, dont Vermeiren est une des figures incontournables. Pour cette exposition au WIELS, c’est l’artiste lui-même qui a été le curateur et qui a imaginé le livre qui l’accompagne de A à Z, avec ce grand souci du détail qui le caractérise.

Pourquoi ce titre Double Exposition ?

Comme pour chaque artiste invité à faire une rétrospective au WIELS, le bâtiment offre deux étages mais avec une même entrée et sortie, ce qui, contrairement à d’autres institutions, ne donne pas la possibilité d’un développement dramatique ou chronologique. Il faut donc pouvoir lire l’exposition à l’endroit et à l’envers et ce à deux reprises. Ce n’est pas la première fois que les artistes se heurtent  à cette particularité, assez exceptionnelle dans notre paysage architectonique institutionnel.  Cela a conduit Didier Vermeiren à réinvestir une pratique plus ancienne, une photographie intitulée Double Exposition qui a valeur d’exception dans son parcours puisqu’il a réalisé une double exposition d’un même cliché, ce qui donne une œuvre plus onirique, à l’opposé de son approche très factuelle et objective, concrète. L’imaginaire ne l’ayant jamais interpellé. C’est pourquoi cette photographie a une place bien visible dans le parcours, derrière la sculpture qu’il a saisie. Ce titre, dans sa rhétorique, traduit bel et bien ce qui est le programme de l’exposition : une double exposition sur deux étages et combinant les sculptures et la photographie, une approche poursuivie par l’artiste depuis de nombreuses années. Ce dialogue avec la photographie avait été exposé au Musée Bourdelle en 2006, à la Maison Rouge en 2012, ou au Frac Bretagne en 2018, mais jamais dans une telle ampleur.

La question de la place du spectateur

Didier Vermeiren reste assez ambivalent sur cet élément clé chez les minimalistes, ce que décrit  Michael Fried comme de la théâtralité, par la perception en mouvement autour de volumes. L’expérience du spectateur est rythmée par les intervalles de vide et d’espace entre les œuvres, incitant à un développement du regard circulaire et progressif autour des objets standardisés, froids et industriels du minimal. Chez Vermeiren, il ne s’agit pas d’industriel ou de standardisé même si l’on se déplace et que l’on développe son regard jusqu’à percevoir des effets de reconnaissance entre photos et sculptures. On remarque bien dans l’exposition que le développement initial est encore très concret avec le poids ou la gravitée explicitée par cette superposition d’une lourde plainte de 20cm, superposée à un même volume de polyuréthane. L’écrasement se faisant normalement dans un volume très strict et organisé alors qu’il s’agit d’un volume plus chaotique et désorganisé. Des œuvres encore stricto sensu minimalistes qui n’interpellent aucune autre catégorie que la facticité sculpturale et plastique du cube alors qu’ensuite Vermeiren a investi des socles utilisés par des institutions pour exposer des sculptures de Rodin ou autre artiste. Des moulages de socles vides renvoient ainsi à la rupture que Rodin a opéré en sculpture, ainsi qu’à la place de la sculpture dans le dispositif de monstration des musées, une forme de critique institutionnelle autour d’un certain académisme et d’une entreprise de canonisation des langages artistiques. Et l’on pense à Malevitch et Mondrian puisque le socle est un cube donc un élément néo-plastique, géométrique premier avec tous les aspects que cela implique comme cela est développé par l’artiste jusqu’à la pièce la plus récente exposée au 3ème étage dans la dernière salle qui est une sorte de temple avec un jeu entre un cube vide et creux et un effet d’arrangement de stèles autour d’un champ, dans un renvoi presque à l’origine de la sculpture. Si de prime abord, l’exposition dessine un ensemble imposant, il s’opère un phénomène de l’ordre cinétique, de la reconnaissance, de l’animation et du mouvement selon les témoignages des visiteurs et des critiques quand on se retourne pour regarder les photos en rapport avec les sculptures et leurs répliques et déclinaisons.

Diffusion des films de la cinéaste Elsa Cayo, compagne de Didier Vermeiren au dernier étage

L’artiste a souhaité, entre autres décisions, projeter les films tout à fait remarquables de sa compagne Elsa Cayo, une cinéaste expérimentale. Sont projetés deux films dont l’un sur sa première rétrospective à la Ville Arson en 1987 puis au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles, ainsi qu’en 2003 dans un élan plus poétique, presque élégiaque.

Shimabuku

Shimabuku : les enjeux

L’exposition a été reportée deux ans car l’artiste ne pouvait quitter son pays. Zoë Gray, la commissaire, tout de même pu le rencontrer chez lui à Yokohama et décider avec lui des grandes lignes du parcours. Il a finalement pu prendre l’avion juste à temps pour le montage de l’exposition. Nous espérions que l’artiste puisse réaliser une œuvre plus spécifique et inscrite dans le contexte bruxellois mais la pandémie a rendu cette idée impossible. Le parti pris du son, de la musique, de l’intervalle et de la vibration est tout à fait différent des autres expositions de Monaco ou du Crédac.

En quoi la pratique de Shimabuku rejoint-elle celle de Vermeiren ?

Shimabuku pratique un humour sournois ou très naïf, presque absurde, d’une dérision qui n’est pas étrangère à un art belge même si nous n’avons pas beaucoup d’artistes qui ont travaillé dans l’esprit Fluxus. Ajouter au spectre des possibilités des artistes et du public belge, d’autres sensibilités et imaginaires que ce qu’ils connaissent déjà était l’une de nos préoccupations principales. Avec Shimabuku et Vermeiren, les origines de certains discours encore prépondérants aujourd’hui : le minimalisme dans la sculpture fondamentale et la déstructuration absurdiste de Fluxus sont encore de mise. Chez Shimabuku, on peut dire que les procédures qu’il applique ont des racines dans des performances de certains artistes et compositeurs Fluxus. Et ses amitiés avec certains musiciens aujourd’hui montrent comment son état d’esprit a beaucoup de points communs avec cette génération. Même si cela ressemble a priori à quelque chose d’improbable, Vermeiren et Shimabuku ne sont pas si éloignés en réalité, car ils travaillent sur les limites entre l’art et la vie.

Programmation 2023

Je travaille actuellement avec Charlotte Friling à la préparation de la rétrospective de Jef Geys reportée d’un an pour cause de pandémie. Un artiste majeur belge connu en France à travers la galerie Air de Paris et qui a bénéficié d’une exposition à l’IAC de Villeurbanne notamment.

Nous allons démarrer l’année 2023 avec l’artiste greco-belge Danai Anesiadou présente à la Documenta14, sous le commissariat d’Helena Kritis. Née en Allemagne de parents grecs, l’artiste a grandi en Belgique. Elle développe un travail de collages avec beaucoup de références à internet et au cinéma dans un imaginaire foisonnant. Conjointement sera présenté Marc Camille Chaimowicz avec Zoé Gray comme commissaire dans un aperçu sélectif sur lequel nous travaillons depuis 2 ans. L’artiste n’ayant pas quitté son appartement pendant la pandémie, il a continué son écriture de lettres autour de Madame Bovary. Nous aurons ensuite deux performances dans le cadre du programme et festival Indiscipline que nous avons initié cette année autour de commandes et productions. Les deux artistes primés seront invités ensuite au Grand Casino de Knokke.

Infos pratiques :

Didier Vermeiren, Double Exposition

Shimabuku, Instrumental

jusqu’au 8 janvier

Prochainement :

28_01_23 – 23_04_23 : Danai Anesiadou: D POSSESSIONS

17_02_23 – 20_08_23 : Marc Camille Chaimowicz: Nuit Américaine

https://www.wiels.org/fr/

Egalement à découvrir à Bruxelles les expositions de :

Myriam Mihindou à la Verrière -Fondation Hermès, Invader Rubikcubist au MIMA Museum, FLAGS à la Fondation Boghossian, Mathieu Kleyebe Abonnenc à La Loge, On the Lookout à la Fondation CAB

NECA

https://www.visit.brussels/fr/