Interview Guillaume Désanges : Palais de Tokyo, La Verrière Hermès, Salon de Montrouge

Guillaume Désanges, portrait Cc.WORK METHOD

Président du Palais de Tokyo depuis janvier 2022, Guillaume Désanges achève sa programmation et collaboration de 10 ans avec la Fondation d’Entreprise Hermès pour l’espace bruxellois de la Verrière avec l’artiste Myriam Mihindou. Au fil des trois cycles entre 2013 et 2022 : « Des gestes de la pensée », « poésie balistique » et « matières à panser », l’ouverture et la prise de risque ont guidé ses choix, loin de la consécration du marché comme il le souligne, dans une totale liberté offerte par la Fondation. Une vraie chance qu’il mesure à l’heure du bilan et qu’il a mise au service d’une véritable écologie de la pensée et des pratiques, alors que Guillaume Désanges assure également la direction artistique du 66ème Salon de Montrouge. Différentes missions qu’il conjugue en parfaite cohérence avec un certain nombre de questionnements devenus plus aigus autour de la parité, de la représentativité et des conditions sociales de l’écosystème artistique, le tout convergeant avec les défis d’une institution emblématique telle que le Palais de Tokyo où Guillaume Désanges revendique une « permaculture institutionnelle ». Il a répondu à mes questions.

A quand remonte votre découverte de la démarche de Myriam Mihindou ?

Je l’ai rencontrée il y a trois ans lors d’une visite d’atelier après l’avoir vue une première fois dans l’exposition les Maîtres du désordre organisée par Jean de Loisy au Musée du Quai Branly en 2012 et notamment sa série de photographies inversées. J’ai eu envie très vite de l’inviter avec mon collègue François Piron dans le cadre de l’exposition Absalon, Absalon que nous organisions à l’IVAM de Valence et au CAPC de Bordeaux et assez naturellement à la Verrière Bruxelles dans le cadre de ce cycle « Matters of Concern ».

En quoi entre-t-elle en résonance avec votre vision de la création et le cycle pour la Verrière ?

Elle entre en résonance à travers de nombreux aspects. Ce cycle se concentrait sur la matière investie de préoccupations et d’attentions particulières à la fois sociales, politiques, thérapeutiques et magiques, ce qui répond chez Miriam à une relation presque à échelle 1, fondée sur un profond respect et humilité face à la matière que ce soit les matières textiles, liquides, les encres…dans une écologie de pratiques et de pensée.

Plus profondément cela renvoie chez elle à la notion du soin, l’attention aux matières et par les matières. Un point que je soulignais dans mon texte d’intention au tout début de ce cycle autour des deux acceptions du titre « matters of concern » traduisible par « matières à panser» que l’on doit penser mais aussi dont on doit prendre soin et qui nous aident à guérir.

Myriam Mihindou, Forest, 2019, techniques mixtes sur papier, 51 x 36 cm, courtesy de l’artiste et de la galeire Maïa Muller © Archives Galerie Maïa Muller

Le choix du titre Epiderme

Ce titre pourrait presque être générique vis-à-vis du travail de Myriam car il convoque la question de la membrane, de l’interface entre l’intérieur et l’extérieur. Il est beaucoup question chez elle de peau, de contre peaux, de peaux sur soi, (usage de collants, par exemple). Elle convoque souvent l’image du vers à soie pour désigner à la fois un cocon protecteur et une source de relation filtrée avec l’extérieur. Des questions qui ont présidé au choix du titre autour d’un contact direct et physique avec les éléments.

Dans l’exposition l’épiderme implique plusieurs principes dont la relation avec les visiteurs qui vont être amenés à toucher les matières, à s’allonger et à expérimenter des draps-sculptures cousus par l’artiste avec du sable à l’intérieur qui sont totalement intégrés à la scénographie. Une expérience de l’ordre de l’haptique dont l’épiderme est le premier interface.  

Myriam Mihindou, Percept, 2019, techniques mixtes sur papier, 46,5 x 35 cm, courtesy de l’artiste et de la galerie Maïa Muller

Quels partis pris vous ont-ils guidé pour l’organisation du parcours ?

J’ai laissé l’artiste entièrement décider du parcours et suis très peu intervenu. Elle a tout de suite perçu l’espace de la Verrière avec cette lumière zénithale comme une sorte de lieu de méditation, de conscientisation des rapports que l’on peut avoir avec la nature à travers un espace de sensibilité, de sensation et peut-être aussi de guérison.  Ce drap cousu au sol avec au fond un grand collage de dessin et de matière sur le mur conduisent le spectateur dans un état de contemplation et de prise de conscience de l’espace et de son propre corps. Par ailleurs un triptyque photographique vient compléter l’ensemble. Nous sommes donc à la fois dans un registre très minimal dans ses interventions et très intense dans ses sensations.

Myriam Mihindou Recherches pour la Verrière, 2021-2022, courtesy de Myriam Mihindou

Vous résumez votre expérience de ce cycle à la Verrière comme « un lieu de la découverte, du risque et de la curiosité plus que de la consécration ou de la validation des tendances de l’art », quel bilan faîtes-vous de ces 10 ans ?

Cela a été une grande chance, un cadeau, un vrai luxe pour reprendre ce mot qui fait sens avec la Maison Hermès et sa Fondation qui m’ont offert la possibilité d’un espace- temps et des moyens de production sans aucune forme d’injonction en retour. On ne m’a imposé ni thématique ou esthétique particulière. J’ai voulu transférer ce cadeau aux artistes en leur offrant du temps, de la pensée et des moyens.

Cette invitation de la Fondation d’Entreprise Hermès est arrivée à un moment où en tant que commissaire j’évoluais dans des logiques à court terme, qui sont inhérentes au métier de curateur indépendant. Soudain, grâce à cette invitation, je pouvais penser sur le long terme, réfléchir à des questionnements déployés sur plusieurs années, en premier lieu « Les gestes de la pensée » puis « Poésie balistique » et enfin « Matters of concern ». J’ai pu ainsi inviter des artistes longtemps à l’avance et certains imprévus. Les termes premiers pour résumer cette expérience sont liberté et fidélité. Fidélité d’une Fondation qui m’a toujours soutenu, et a été comme moi dans la curiosité avec des artistes qui étaient souvent loin de la consécration mais plus dans la surprise et l’étonnement , ce qui est toujours une source de plaisir.

Vous êtes également Commissaire du 66ème Salon de Montrouge avec Coline Davenne et vous mettez en avant la professionnalisation des artistes par le remplacement des Prix et une valorisation des rémunérations, de même que des disciplines élargies et des thématiques en prise avec les enjeux sociétaux, en quoi cela participe-t-il d’une même écologie des pratiques qui vous anime ?

Le fait que le Salon de Montrouge s’inscrive dans si longue et belle histoire s’explique par sa faculté à se renouveler à chaque génération et grâce à l’intervention de ses différents directeurs artistiques, mes prédécesseurs. A mon tour, je trouvais important de prendre en compte un certain nombre de nouvelles préoccupations qui irriguent la société et l’art aujourd’hui et parmi lesquelles la question de l’écologie non pas en terme de sujet mais d’approche de travail, ce que je qualifie comme une écologie des pratiques. Cela implique de repenser les dominations et les manières de faire. C’est dans cette logique que j’aborde la question de la professionnalisation des artistes et de l’élargissement des thématiques. L’écologie nous apprend à vivre dans des écosystèmes avec des régimes d’intentions qui favorisent une nécessaire ouverture comme dans un jardin avec des plantes sauvages. Cela a été comme un guide pour cette mission du salon du Salon de Montrouge qui fait la part belle à des pratiques, esthétiques et générations d’artistes très différents.

Last but not least, Président du Palais de Tokyo quelles sont vos priorités et ambitions pour ce lieu qui représente un défi autant qu’un carrefour de possibles ?

Cela représentait pour moi l’opportunité de développer à l’échelle d’une grande institution une pensée sur l’art d’aujourd’hui non pas circonscrite à des choix d’artistes mais connectée à des formes d’attention multiples. Des attentions au choix des œuvres mais également aux conditions sociales des artistes et des personnes qui gravitent autour de l’art, de même que des attentions éthiques et morales liées au travail et aux sujets abordés. Des questions que je trouve essentielles aujourd’hui. Quand pris la présidence du Palais de Tokyo, je n’ai pas pris uniquement la direction d’une programmation. J’ai pris la direction d’un grand établissement avec plus de 100 salariés et de nombreux enjeux en termes de public, de management, de gestion, de communication, de production, de développement… et aussi de politique culturelle au sens large. Autant d’éléments qui me motivent et que j’ai commencé à mettre en œuvre sous la notion de « permaculture institutionnelle », à savoir, repenser à l’aune de l’urgence écologique et de ce qu’elle nous apprend, de nouvelles relations que nous devons avoir avec tous nos environnements.

L’opportunité s’inscrivait donc à la fois dans le prolongement de mon parcours et en lien avec de nouveaux questionnements qui ont éclos et de nouvelles voix qui se font entendre en terme d’écologie mais aussi de représentation, de parité, de respect, de diversité… Des questions complexes qui peuvent diviser parfois mais qui nous obligent quand on dirige une institution à rester toujours en alerte et à repenser en permanence nos manières de faire. Des discussions passionnantes que je mène avec l’ensemble des équipes du Palais de Tokyo, et aussi à l’extérieur.

A noter que Joël Riff vient d’être nommé commissaire des expositions de La Verrière et prend la succession de Guillaume Désanges auprès de la Fondation d’Entreprise Hermès.

Infos pratiques :

Epiderme, Myriam Mihindou

exposition du 29 septembre au 3 décembre 2022

Fin du cycle « Matters of Concern » (2019-2022)

La Verrière
50, boulevard de Waterloo
1000 Bruxelles

https://www.fondationdentreprisehermes.org/

66ème Salon de Montrouge

du 13 octobre au 1er novembre

Salon de Montrouge