Biennale de Lyon#16 : quand fragilité ne rime pas avec frugalité ou décroissance !

Lucile Boiron, Musée Guimet, Biennale de Lyon

Sous la bannière « Manifesto of fragility » Sam Bardouil et Till Fellrath les commissaires de la 16ème Biennale de Lyon et directeurs du Hamburger Bahnhof de Berlin en appellent à toutes les formes de fragilités qui nous entourent ou nous précèdent. Face aux nouvelles précarités de notre monde ils convoquent et imaginent des résiliences et résistances multiples suite à l’invitation d’Isabelle Bertolotti, directrice artistique de la Biennale après plus de 2 ans de préparation sur un territoire élargi, Covid oblige. Cette déclaration d’intention à l’heure où « il nous fait ralentir et réduire nos excès » est-t-elle conforme avec la réalité ? Si l’on regarde les chiffres, ils sont impressionnants : 202 artistes en provenance de 40 pays, 66 nouvelles productions, 12 lieux investis dont les anciennes Usines Fagor sur un total de 30 000m². Le budget n’est pas communiqué mais on imagine qu’il a dû être ambitieux puisqu’un crowfunding a été lancé au moment du désengagement d’un certain nombre de partenaires à la suite du changement de municipalité. On peut imaginer ce que cela signifie en termes de déplacements des artistes venus nombreux du Moyen Orient (Liban, Emirats Arabes Unis, Arabie Saoudite) mais aussi de Norvège, du Mexique, Colombie, Brésil, Chine…de transport des œuvres et de prêts d’institutions internationales. Une chance pour les visiteurs français et européens au prix d’une empreinte écologique réelle.

Tout commence par la fabuleuse histoire d’une jeune tisserande rebelle, Louise Brunet, sorte de figure archétypale de la révolte dont la légende se perd dans les archives et qui a fasciné les commissaires. Véritable fil conducteur du parcours Louise apparait sur la colline de la Fourvière puis disparait à Beyrouth dans l’enfer des filatures fondées par de riches marchands lyonnais. Elle symbolise de nombreuses figures invisibilisées dont les fantômes hantent notre présent. L’exposition au macLYON qui agit en préambule, favorise de nombreux télescopages de mediums et d’époques très audacieux et parfois peu explicites. L’avantage est de revisiter le riche passé de Lyon, capitale des Gaules. Coup de cœur pour les peintures de l’artiste Jesse Mockrin qui déconstruisent les visions stéréotypées du pouvoir et que l’on retrouve dans d’autres lieux de la Biennale comme pour d’autres artistes.

Ugo Schiavi, Musée Guimet

Ce voyage spatio-temporel posé au 2ème étage du macLYON, la fragilité se mesure à une ville : Beyrouth dont les traumatismes se succèdent jusqu’à la catastrophe d’août 2020. Intitulée Beyrouth and the Golden Sixties, l’exposition est une reprise de sa version berlinoise (Gropius Bau). Un âge d’or cosmopolite qui correspond à la période entre 1958 et 1975 avec une rare concentration d’artistes et d’intellectuels qui favorisent le modernisme sur fond de tensions géo-politiques croissantes. Pas moins de 200 œuvres de 34 artistes et quantité d’archives sont réunies pour un résultat dont l’impact  n’est pas manifeste sauf à être un spécialiste de l’art de ce courant et région du monde. Il en ressort les œuvres d’Etel Adnan, Simone Fattal et du couple Joana Hadjithomas et Khalil Joreige et leur défilé de statues mutilées par les ravages de l’histoire. SI l’on songe à la remarquable exposition proposée en 2021 par la Fondation Boghossian de Bruxelles avec le Centre Pompidou en réponse à la tragédie du port « How will it end ? » autour des témoignages recueillis sur place, la vulnérabilité y était beaucoup plus palpable.

L’autre poumon de la Biennale : les Anciennes Usines Fagor malheureusement exploitées pour la dernière année par l’équipe de la Biennale, la scénographie d’Olivier Goethals apporte un vrai plus à l’édition 2019 en créant des sortes d’enveloppes qui dessinent des membranes. Parmi les immanquables : l’installation monumentale de Dana Awartani, réplique en briques de terre de la Grande Mosquée d’Alep sévèrement endommagée pendant le conflit syrien, l’installation sonore de Munem Wasif autour de la disparition de l’industrie du jute au Bengladesh, le collage multimédia de Philip Timischl à partir de la liquidité des images, les tapisseries hybrides d’Erin M. Riley, les équilibres précaires de Jose Dàvila, les vidéos documentaires de Randa Maroufi, réalisées à la frontière de Ceuta, enclave espagnole au Nord du Maroc, prétexte à de nombreux trafics. Sans oublier la magistrale scène de crime de Hans Op de Beck, figée dans les cendres grises ou le labyrinthe de verre d’Aurélie Pétrel autour des images latentes du récit d’une jeune lyonnaise à partir d’un agenda des années 1950 trouvé chez un bouquiniste à Beyrouth.

Le 3ème site à voir sans hésiter est le Musée Guimet. Lieu cher au cœur des lyonnais, fondé par l’industriel et collectionneur Emile Guimet puis tour à tour théâtre, patinoire, brasserie.. avant d’être définitivement fermé en 2007 quand ses collections sont transférées au Musée des Confluences. Ses couloirs et ses salles restées dans leur jus deviennent un fantastique terrain de jeu pour les artistes très inspirés. Clément Cogitore a bénéficié d’une commande spéciale s’est inspiré d’une processus de carnaval médiéval à Bâle en Suisse. Sublime installation de Daniel de Paula en réponse à un masque funéraire romain du Musée du Lugdunum –dans lequel se tient un autre chapitre de la Biennale et sur lequel je reviendrai. Sculpture en suspension de Tarik Kiswanson qui rejoue les notions de déplacements en prolongement de son exposition au Carré d’art de Nîmes. Dispositif immersif anxiogène d’Evita Vasiljeva dans les anciennes réserves où sont encore inscrites les zones géographiques des objets. Le plus impressionnant se joue avec Ugo Schiavi dans la plus vaste salle de l’ancien musée où il recréé à partir de scan 3D d’ossements et de végétaux fossilisés un environnement ethno-futuriste spectaculaire.

Jesse Mockrin, macLYON

Etape immanquable également : l’ascension sur la Colline de Fourvière à la découverte d’autres institutions plus historiques comme le Lugdunum, Musée et théâtre romains. Construit en béton par l’architecte Bernard Zehrfuss, sa rampe hélicoïdale est une invitation à aller dans les tréfonds du passé. Plusieurs œuvres ponctuent le parcours avec une pertinence variable. Citons la sculpture organique de Klara Hosnedlovà en rupture avec le brutalisme ambiant, les œuvres textiles de l’artiste saoudienne Filwa Nazer en hommage aux femmes de son pays ou les dessins de l’artiste nigérienne Toyin Ojih Odutola autour du vécu d’une femme noire et ses représentations.

Il n’est pas indispensable de se perdre dans le grand Parc de la Tête d’Or célèbre pour avoir accueilli l’Exposition Coloniale de 1894 et ses zoos humains. Les 3 artistes n’y sont pas déployés avec suffisamment de force, Nina Beier n’étant visible que de l’extérieur du Chalet.  

En conclusion : une visée très internationale qui dynamise de nombreux lieux même si l’intention de départ reste assez contradictoire avec les défis et promesses infinies du monde, pour reprendre le titre d’un des chapitres de l’ensemble.

L’identité visuelle a été confiée au Studio de Design Safar (Beyrouth)

Programme associé : Lieux d’intérêt

Ne pas manquer la Jeune Création Internationale à l’IAC – Villeurbanne

avec : AMANDINE ARCELLIJIMMY BEAUQUESNELORENA COCIONIADJI DIEYEMINNE KERSTENMAÏTÉ MARRAOLOF MARSJALOUISE MERVELETMAR REYKJAVIKALMA SAURET-SMALLPIERRE UNAL-BRUNET

Le Prix Jeune création Auvergne-Rhône-Alpes a été décerné à l’artiste Maïté Marra.

Infos pratiques :

Manifesto of fragility

16ème Biennale de Lyon

Jusqu’au 31 décembre

Billetterie

Plein Tarif : 18 €

Tarif réduit : 10 €

https://www.labiennaledelyon.com/

Jeune Création Internationale

http://i-ac.eu/fr/expositions