Rencontre avec Gilles Rion, Responsable des expositions Chamarande : carte blanche Odonchimeg Davaadorj


Odonchimeg Davaadorj, Black Swan, 2021–photo: Backslashgalerie © Odonchimeg Davaadorj,2022

Responsable des expositions et du FDAC de l’Essonne, Gilles Rion nous dévoile les ambitions qu’il porte pour Chamarande et les enjeux du cycle construit autour de l’animal et ses liens avec l’homme dans une dimension anthropologique qui rejoint ses axes de recherche. A partir de la trilogie : patrimoine, culture et nature qui définit le Domaine de Chamarande, l’équipe du Domaine entend élargir les possibles autour d’une réflexion sur le vivant. L’exposition collective « Devenir [un autre] animal » et la carte blanche donnée à l’artiste Odonchimeg Davaadorj illustrent ces notions de mutations des règnes et des identités. Gilles Rion revient sur la genèse de ces projets et nous présente également la collection du Fonds Départemental d’Art Contemporain de l’Essonne, qui est un axe important de la politique culturelle du conseil départemental. Il a répondu à mes questions.

Quelle feuille de route vous anime depuis votre arrivée au Domaine ?

Depuis mon arrivée en septembre 2020 en tant que responsable des expositions et de la collection départementale d’art contemporain rattachée à Chamarande, j’ai comme projet de mener à bien les expositions à la fois dans le château, dans le parc et l’orangerie. Ayant étudié l’anthropologie, j’ai construit un cycle autour de l’animal pour l’année 2022 à partir de plusieurs temps forts : l’exposition « Devenir [un autre] animal», la carte blanche d’Odonchimeg Davaadorj pour l’Orangerie, l’installation Mue dans le parc des jeunes artistes Clément Desforges et Solène Moulin-Charnet, et l’invitation au duo Art Orienté Objet à partir du 15 octobre dans l’ensemble des espaces. L’objectif était de traiter en plusieurs temps et plusieurs chapitres cette porosité des liens homme et animal qui nous est apparue encore plus prégnante avec le Covid et au-delà à partir de nombreux penseurs qui ne cessent d’explorer la question depuis plusieurs siècles et également tout un pan de l’anthropologie et de la philosophie à partir des années 1970 et 1980. Cette première exposition a pour objectif de montrer comment l’art contemporain s’empare de ces glissements. 

Comment avez-vous procédé à la sélection des artistes de « Devenir [un autre] animal» ?

Je partais de prérequis anthropologiques notamment autour de l’importance de la forme dans différentes cultures et une forme envisagée comme un véhicule, une enveloppe, un costume qui en révèle les âmes ou les subjectivités. Il me semblait donc intéressant de voir comment l’art contemporain qui travaille les formes pouvait se réapproprier aussi cette manière d’aborder le rapport à l’autre. Un travail des formes dans une acceptation consciente et revendiquée autour de l’identité. Ce qui nous autorisait sinon toutes les libertés, du moins une multiplicité de relations avec les autres et d’identité de soi. Si l’on prend l’exemple des louves de Katia Bourdarel il s’agit bien de louves, donc une revendication genrée de toute l’identité attachée à la signification de cette forme. En ce qui concerne Edi Dubien l’on sait combien aussi la forme et l’identité sont une question d’affirmation de soi.

Edi Dubien,Devenir un autre animal (cocon), 2022Vue de l’exposition« Devenir[un autre] animal», Domaine départemental de Chamarande, 26/03/2022–18/09/2022Photo:Fr. Lauginie / Département de l’Essonne©Edi Dubien, 2022

Je ne voulais pas tomber dans un catalogue complet, de bottin téléphonique à partir duquel on allait additionner les artistes comme on additionne les trophées.

En ce qui concerne le choix des artistes je dirais que c’est d’abord le ventre qui a parlé avant la tête, l’instinct plus que l’intellect, des œuvres qui provoquaient d’abord en moi une sorte de bruissement intérieur à leur contact pour aller ensuite vers une sorte d’intellectualisation. Il y avait comme une charge dégagée par certaines œuvres comme avec les sculptures de Benoit Huot.

Quels partis pris scénographiques vous ont guidés ?

Si je prends comme point de départ le château, je le définis toujours comme polythéiste avec des esprits et des lieux, des histoires, de multiples interventions qui l’ont façonné. Nous avons donc autant de salles que d’identité très fortes, des salons comme on aime le dire ici. Il me semblait essentiel que chaque artiste puisse investir l’un de ces salons pour pouvoir y déployer son univers, tout en s’inscrivant dans le principe d’une exposition collective grand public et à rebours de ce qui se pratique aujourd’hui, permettant à chacun de traverser différents univers et se laisser toucher ou non par certains d’entre eux.

Benoit Huot,Peuples incertains,2015–2022Vue de l’exposition«Devenir[un autre] animal», Domaine départemental de Chamarande, 26/03/2022–18/09/2022Photo:Fr. Lauginie / Département de l’Essonne© Benoit Huot, 2022

Benoit Huot, Peuples incertains

Benoit comme il l’explique lui-même est peintre à l’origine, activité qu’il a dû suspendre le temps de transformer sa maison. A l’occasion de ces travaux, il a retrouvé dans les murs des dépouilles de petits animaux morts. Intrigué, il les a mis de côté et une fois le chantier terminé il a décidé de partir de ces dépouilles pour offrir à ces corps d’animaux une sorte de rituel funéraire pour ainsi marquer leur passage de la vie à la mort. Puis il a élargi sa démarche à partir de créatures dites naturalisées qu’il a récupéré et transformé dans une sorte de transsubstantiation pour leur assurer une sorte d’éternité et de continuité en les rehaussant de breloques et de passementeries chinés. Il opère une sorte d’inversion, ces animaux naturalisés devenant presque culturalisés par le biais de ce travail de sépulture.

Odonchimeg Davaadorj,Buvei, 2021–© Odonchimeg Davaadorj,2022

La carte blanche à Odonchimeg Davaadorj : genèse et enjeux

Je connaissais son travail de dessin, qu’elle a enrichi dans une approche en 3 D par le biais de la céramique. Ce qui m’a particulièrement marqué est cette sorte de maelstrom, de tourbillon dans lequel toute forme de vie jaillit. Le travail d’Odonchimeg a continué à s’inscrire dans cette direction et notamment à l’occasion de l’exposition.

Sans vouloir tomber dans une vision simpliste ou pseudo anthropologique autour de l’influence potentielle des origines mongoles de l’artiste, cela se confirme puisqu’elle se dit sensible à la pensée bouddhiste dans laquelle toute forme de vie à un impact sur les autres espèces. Son approche ontologique s’inscrit ainsi parfaitement dans le cadre de la thématique de l’année. Il semble en effet aberrant aujourd’hui d’imaginer que l’homme serait l’être culturel par excellence, détaché de tout un environnement naturel alors qu’il ne peut prétendre à un avenir sur cette planète que comme faisant partie d’un tout.

Le parcours de l’exposition

C’est elle qui a entièrement imaginé le parcours dans une totale liberté. L’exposition réunit trois séries dont Bardo qui donne son titre à l’exposition. Ces oiseaux, des moineaux de très grande taille, des figures mi-oiseaux  mi-humains qui sont de plus une espèce en voie de disparition en Île-de-France. La série Hera (2021-2022) symbolise à travers ces papillons à visage humain à la fois la métamorphose, la fragilité et la beauté à partir du nom de la déesse Hera protectrice des femmes, sœur et femme de Zeus dans un clin d’œil à la philosophie d’Héraclite pour qui rien n’est permanent. On retrouve cette notion de transformation continuelle, de changement, de flux vital qui anime la démarche d’Odonchimeg avec une incursion vers la philosophie grecque et la présence de ces visages humains qui renvoie l’homme à sa propre finitude.

La dernière série de dessins Black swan (2021) est d’abord une référence au Lac des cygnes et dans la tradition germanique à la figure du cygne noir ainsi qu’à une théorie statistique qui caractérise un fait imprévisible et improbable avec des conséquences très graves. Ce qui rejoint en quelque sorte l’effet papillon. Les cygnes noirs évoluent dans un décor jaune orangé autour d’une figure dont le visage semble émerger ou sombrer dans l’eau dans une sorte d’hésitation qui a valeur de métaphore de la situation qui est la nôtre actuellement. Nous sommes en train de regarder notre avenir se consumer alors que des changements radicaux arrivent nous mèneront très probablement à notre propre extinction.

Que vous inspirait ce lieu marqué par l’œuvre et l’empreinte d’Hubert Robert ?

On sait combien Hubert Robert a travaillé sur la ruine, un patrimoine en perpétuel changement et dans les grands concepts qui ont animé un lieu comme celui-ci autour du triptyque patrimoine-culture et nature il y a comme une façon de figer l’état des choses. Le patrimoine fige l’histoire, l’art fige les formes et la nature est envisagée comme un éternel retour. Même tout change en permanence, dans un devenir continu, c’est pourquoi nous avons comme ambition de ne plus parler de nature mais de vivant, de ne plus parler de culture mais de création, de ne plus parler de patrimoine mais de parler d’histoires, pour les intégrer dans un tout à partir de ce qui en quelque sorte était morcelé. Si nous créons de l’art du XXIème siècle dans un château du XVIIème nous sommes en train d’imaginer le patrimoine de demain. Du moins nous l’espérons.

Pouvez-vous nous présenter la collection départementale d’art contemporain de l’Essonne ?

À l’instar des Fonds régionaux d’art contemporain, le Fonds Départemental d’Art Contemporain de l’Essonne se définit depuis 2001 autour de trois missions fondamentales qui se répondent et se complètent : “constituer et enrichir une collection d’œuvres d’art contemporain ; diffuser cette collection dans le département et au-delà sous forme d’expositions temporaires ; faire comprendre et apprécier les enjeux de l’art contemporain.

Depuis près de 20 ans, le FDAC constitue un paysage particulièrement juste de la création contemporaine des 20 dernières années, en regroupant un ensemble d’artistes qui marquèrent le paysage français voire international depuis 2000. De la même manière, cette collection contient une réelle diversité dans les pratiques et les médias collectionnés, sans dominance de l’un ou l’autre, et correspondant à l’éventail des pratiques les plus actuelles. Elle regroupe aujourd’hui près de 300 œuvres d’artistes français (Alain Declercq, Robert Combas, Valérie Jouve, Philippe Ramette, Laurent Tixador, Agnès Varda…) ou internationaux (Marina Abramović, Mounir Fatmi, Carsten Höller, Hans Op de Beeck, Allan Sekula, Guillaume Bijl…). Elle est de ce fait un formidable outil, d’une rare qualité, pour parler de l’histoire en train de s’écrire, pour illustrer les grandes questions sociétales actuelles mais aussi simplement pour comprendre et apprécier les formes d’expressions artistiques contemporaines. Aujourd’hui, l’enrichissement d’une collection résolument tournée vers le XXIe siècle se poursuit en conservant les deux modalités définies en 2001 – la commande d’œuvres et l’acquisition d’œuvres existantes, dans le cadre de la programmation et de l’identité structurante du Domaine de Chamarande mais aussi en lien avec le territoire essonnien, tout en tenant compte de la vocation itinérante de la collection.

Quel est l’objectif de l’exposition hors les murs que vous préparez autour de la collection ?

Nous prêtons régulièrement des œuvres de notre collection en France et co-construisons de très nombreux projets d’expositions en Essonne. Par exemple, nous enregistrons déjà 61 prêts d’œuvres pour l’année en cours.

Dans le cadre de la thématique annuelle, nous avons plus particulièrement proposé à plusieurs partenaires du territoire départemental d’accueillir des expositions à partir de la collection du FDAC de l’Essonne sur les relations entre hommes et animal. Trois lieux ont embrayé avec beaucoup d’enthousiasme et ont accepté de participer à cette aventure : la Microfolie d’Evry-Courcouronnes, qui accueille l’exposition « Qui a peur du grand méchant loup » jusqu’au 20 juin ; la Mairie de Chamarande qui accueille désormais une œuvre en permanence sur la place de la Mairie ;   et enfin le Château du Val Fleury, à Gif-sur-Yvette, qui accueillera l’exposition « Anima(l) ! » du 18 janvier au 26 mars 2023.

Infos pratiques :

Devenir [un autre] animal

(Château)

Bardo, Odonchimeg Davaadorj

(Orangerie)

Jusqu’au 18 septembre

Accès libre et gratuit

Accès : RER C Chamarande

http://chamarande.essonne.fr/exposition-