Francis Bacon’s Second Version of Triptych 1944 (1988, detail) Credit : © Estate of Francis Bacon/DACS/Artimage 2021
Retourner à Londres après le Brexit et la pandémie à quelque chose de très spécial. On retrouve ce « splendid isolement » qui caractérise les Britanniques. Le monde de l’art continue d’y exceller avec des expositions majeures dont celle de Francis Bacon qui mérite à elle seule le déplacement.
Intitulée L’homme et la bête/Man and Beast à la Royal Academy l’exposition propose une traversée crue et au scalpel de l’animalité qui est en nous. Non pas un simple attrait pour les animaux mais cette part secrète et indicible qui se réveille parfois dans des situations extrêmes et que l’immense artiste sait cueillir comme à nul autre pareil. Une dimension qui n’avait pas été explorée en tant que tel comme le souligne le co-commissaire biographe et ami du peintre, Michael Peppiatt. Cela renvoie à d’autres des obsessions de celui qui ose se concentrer sur la figure humaine au lendemain de la guerre à contre-courant de la doxa dominante de la tabula rasa. Sa série des cris ancrée dans cette bestialité des bouches décrite par Bataille dont la lecture est très fréquente chez l’artiste ouvre sur Head 1 (1948), avec un gros plan sur cette mâchoire et cette dent. On sait que la photo de la bouche de Goring et de dignitaires nazis font partie d’autres sources d’inspiration, de même que les travaux de Muybridge sur la décomposition du corps en mouvement. Le pape hurlant de Head VI est l’une des lectures les plus troublantes de ces êtres hybrides et tourmentés dont la violence n’a plus de visage. Le triptyque Three Studies for Figures at the Base of a Crucifixion signe ces métamorphoses brutales avant que les corridas ne rappellent son admiration profonde pour Picasso. Un parallèle dessiné avec son attrait pour le monde de la boxe, autre ring avec du sang versé. Cristallisation d’une lutte féroce, d’un possible carnage ou antichambre d’une partie de sexe.
C’est bien sur un ring que les deux amants de Two Figures in the Grass évoluent, tableau accusé d’obscénité en 1954. Si les animaux sont bien présents et notamment les singes il faut dire que les séjours faits par l’artiste chez sa mère en Rhodésie lui permettent de nombreux safaris. L’observation de la dure loi de la jungle le fascine et rejoint ses années de jeunesse dans l’Irlande sauvage. Il en rapporte un certain goût pour les cages dans lesquelles il enferme toujours ses personnages. On retient son souffle d’une salle à l’autre, un vrai carnage ! « We are all animals » conclut l’artiste.
jusqu’au 17 avril
https://www.royalacademy.org.uk/
Louise Bourgeois, The Woven Child (Hayward Gallery, SouthBank Center)
Alors que le Kunstmuseum de Bâle avec «Louise Bourgeois x Jenny Holzer» propose une exposition ambitieuse mais sans doute assez élitiste, la Hayward Gallery propose une traversée plus sensible de son œuvre, axée sur la relation de l’artiste aux textiles dans la dernière partie de sa carrière. Des oeuvres souvent peu exposées.
Ses parents originaires d’Aubusson possédaient une galerie de tapisseries à Paris tenue par son père, tandis que sa mère tenait un atelier de réparation à Choisy-le-Roi. Des données biographiques qui vont fortement influencer Louise, les vêtements devenant pour elle comme le journal intime de ses traumas. La première oeuvre du parcours très forte, est celle de la lingerie de sa mère suspendue à des os de bovins. Différentes « cellules », marque de fabrique de l’artiste renferment des vêtemements dont celle assez redoutable, The View of the World of the Jealous Wife, où des mannequins sans tête suspendus dans une cage en acier sont vêtus des robes de Louise. La figure de l’araignée, synonyme de sa mère apparait dans une cage très impressionnante au 1er étage. Tout est lié et les fils se nouent et se dénouent dans les différentes installations sous le régime du trouble et de l’ambiguité. Plus que de textiles, il s’agit du féminin et du masculin, de la maternité, de sexualité. Immanquable !
Lubaina Himid, Tate Modern
Lauréate du Turner Prize 2017, j’ai découvert l’artiste grâce à Sandra Patron, qui directrice alors du MRAC Occitanie l’avait invitée en 2018. « Gifts to Kings » déroulait une narration autour de la contribution invisibilisée des esclaves aux richesses et à l’histoire de l’Occident. Making histories visible est l’un de ses axes de recherche à l’Université de Lancashire où elle est professeure. L’on retrouve cette même volonté de questionner l’imptact des normes et règles architecturales sur nos modes de vie avec dès le début du parcours des bannières suspendues portant un certain nombre de messages : « What king of buildings do women want to live and work in ? Has anyone ever asked us ?
“What is a monument?”
Les textiles, les céramiques et ces théâtre de figurines peintes rejouent le Marriage à la Mode de William Hogarth dans une version plus actuelle avec des représentants du monde politique Reagan, Thatcher aux côtés de représentants du monde de l’art : le critique, le marchand et l’artiste féministe. Un art du story-tellling dans cette version la plus aboutie de son travail jamais exposée.
jusqu’au 2 octobre 2022
https://www.tate.org.uk/whats-on/tate-modern
Il est intéressant de poursuivre cette histoire des minorités et des diasporas avec Life Between Islands à la Tate Britain qui retrace 70 ans de liens, luttes et influences sociales, politiques et artistiques. « Caribbean British art » difficilement traduisible en français est un panorama vibrant, engagé et sensible. Tous les mediums sont convoqués. Après les fantômes de l’histoire, la créolisation et la survivance des traditions carnavalesques, place à la cross culture présente et future. Aucun racourci simpliste dans ce parcours mais un sursaut créatif vital et rafraichissant. Mention spéciale pour le film d’Isaac Julien Paradise Omeros. Ces jeunes gens qui quittent Sainte Lucie pour se retrouver dans le Londres brumueux des années 1950.
jusqu’au 3 avril
Au moins 3 + 1 raisons de retraverser le Channel maintenant que les contraintes se sont allégées fortement !