Absalon au Capc : une épreuve de la liberté

Vue de l’exposition Absalon Absalon, Capc photo Arthur Pequin

L’œuvre météorite d’Absalon, fauché par le virus du Sida à l’âge de 28 ans, dont les totems, ces Cellules sont souvent figées dans une lecture minimaliste et radicale de l’enfermement, est remarquablement élargie par les commissaires invités par Sandra Patron, directrice du Capc : Guillaume Désanges et François Piron dans une vision contemporaine et proche des questionnements de notre temps. C’est pourquoi au lieu de se concentrer sur une rétrospective dont la rigueur en deviendrait monacale et aseptisée, ils convoquent huit artistes dont les préoccupations rejoignent sa vision programmatique, l’urgence à vivre et à créer, la révolte contre les assignations sous toutes leurs formes.  Son utopie en ressort alors incarnée et concrète dans un parcours où les rebonds visuels et formels agissent en rhizome au sein d’une même membrane qui palpite, s’agite et respire, à l’image du rideau de perles blanches et transparentes de l’artiste américaine Felix Gonzalez-Torres à la fois joyeuse et anxiogène sur le rapport à la mort et la maladie. La vidéo Bataille dès l’entrée du parcours où Absalon lance coups de pied et de poing jusqu’à épuisement et sans jamais renoncer, incarne les ravages faits sur toute une génération quand aucune thérapie n’était avancée. De même avec le solo historique et politique du chorégraphe Alain Buffard « Good boy » devenu un étendard.

Il nous faut traverser, se baisser au niveau du sol, lever le nez en l’air et lire l’inscription de Dora Garcia « Il y a d’autres mondes mais ils sont dans celui-ci », entrer dans certains prototypes de cellules auxquels répondent les œuvres dispersées dans les alcôves naturelles de la grande nef. Un remarquable jeu d’horizontal et de vertical auquel Guillaume Désanges nous a habitué. C’est du premier étage que l’on perçoit le mieux cet agencement subtil de perspectives. Si convoquer Marie-Ange Guilleminot compagne d’Absalon autour de la blancheur et d’un séjour au Japon rêvé semble de l’évidence, c’est plus surprenant en apparence pour ce qui concerne Myriam Mihindou ou Laura Lamiel dont on comprend que le rituel d’objets chargés dépasse le symbole pour convoquer le soin et la réparation. La blancheur de la montre d’Hiroshima, la blancheur du plâtre qui recouvre les rebus lors de la performance d’Absalon à la villa Arson en 1989, la blancheur des cellules toutes conçues selon les propres mensurations de l’artiste, pour y vivre sans eau, ni électricité, selon d’autres règles et y danser. Une forme d’ascèse spirituelle, de confinemnet volontaire, de discipline au quotidien qu’il ne pourra pleinement réaliser alors que ces maisons devaient investir les villes de Paris, Zurich, Francfort, New York, Tel Aviv et Tokyo. Ces architectures ne sont donc pas des projections modernistes ou futuristes. Elles sont un programme de vie. Il est émouvant de souligner que l’artiste est venu construire dans les ateliers du Capc trois de ses cellules, entrées dans les collections du Capc et du Frac Nouvelle- Aquitaine. Rappelons la fulgurance de la carrière d’Absalon qui arrive d’Israël en France à l’âge de 23 ans après une expérience traumatisante de son service militaire. Il rencontre Christian Boltanski par l’intermédiaire de son oncle professeur d’histoire de l’art et entre aux Beaux-Arts de Paris sans bagage artistique, selon la légende. Il y donne une conférence devenue historique au cours de laquelle il décrit les fondements de sa vocation et l’idéal qui l’anime.

Le rapprochement avec l’artiste Mona Hatoum autour du contexte de l’exil et du post colonial d’un art politique rejoint la radicalité qui anime Absalon, son refus des dominations et des conditionnements. Les fils tissés par toutes ces planètes finissent par se fondre en une multiplicité de sens selon les affects alors que sa voix ne cesse d’hurler dans la vidéo Bruits.

Tel ce Sisyphe de la figurine de terre, de papier journal et de fil apporté d’Israël, rare objet qui concentre à lui seul la pensée unique de cet être d’essence biblique et tragique (Absalon est le fils du roi David dans l’Ancien Testament) qui anticipe une véritable écologie de l’art.

Exposition qui se termine bientôt, à ne pas manquer !

Egalement lors de votre visite les expositions « Le Club de poisson lune » et « Olu Ogunnaike, miettes » sont à découvrir. J’y reviendrai lors d’un prochain entretien.

Le Capc est Centre d’art contemporain d’intérêt national depuis février 2021, selon la démarche entreprise par Sandra Patron depuis son arrivée.

Infos pratiques :

Absalon Absalon

Jusqu’au 2 janvier 2022

« Le Club de poisson lune »

« Olu Ogunnaike, miettes »

Jusqu’au 26 mars 2022

CAPC-Musée d’art contemporain,

7, rue Ferrère, 33000 Bordeaux.

http://www.capc-bordeaux.fr/