Red Nails, Martin Margiela, 2019. Courtesy l’artiste et Zeno X Gallery, Anvers. Production Lafayette Anticipations.
Celles et ceux qui voudraient percer le mystère de Martin Margiela resteront sur leur faim tant l’artiste se dérobe sans cesse pour qui voudrait le démasquer selon le principe qu’il a érigé en véritable philosophie au cours de toutes ces années de création. Dans ce labyrinthe orchestré par Rebecca Lamarche-Vadel directrice de Lafayette Anticipations et commissaire, avec tout le talent qu’on lui connait (cf mon interview), Margiela parsème des indices, des traces, des fragments d’un tout qu’il nous faut recomposer. Autant dire qu’une visite sans médiation relève du défi. Une forme de performance qui commence non pas à l’entrée du parcours habituel mais par une porte dérobée de l’issue de secours. Une fresque représentant un déodorant géant dans ce qu’il dit de nos obsessions hygiénistes, des perruques en sphères de silicone piquées de cheveux naturels en guise de vanités du temps qui passe, un abribus recouvert de fausse fourrure devenu refuge protecteur ou une sculpture de torse masculin à rebours de ses attributs dominants. C’est assez déroutant voire perturbant.
« Margiela cultive une obsession pour les êtres discrets, les objets délaissés, les lieux et les événements inaperçus -à contre-courant des valeurs contemporaines dominantes » comme le résume la commissaire. Il s’agit de développer un art de l’attention. Une quête qui se matérialise autour de Dust Cover, sorte de housse de protection des voitures qui résiste à toute forme d’interprétation selon le livret du visiteur. Une apologie du secret devenue la marque de fabrique de Margiela qui alors au fait de sa gloire, s’est détourné de l’industrie de la mode pour ne plus y revenir.
Le climax à mon sens, de cette traversée fantôme tient dans ces faux ongles rouges géants Red Nails, sculpture monumentale qui symbolise la fétichisation de nos désirs et de nos standards de séduction. L’on songe aux héroïnes d’Almodovar, à ces femmes fortes et puissantes qui se saisissent du rouge et de ses connotations. Quand on se souvient que la laque de couleur fut inventée par l’industrie automobile au début des années 1920 cela en donne une autre lecture.
Il n’est jamais question de vêtements mais d’objets symboles, de révélateurs, d’imaginaires. Le point d’équilibre est ténu entre mystification et révélation.
Margiela sculpteur et dessinateur s’est appuyé sur les ateliers de Lafayette Anticipations pour mener à bien ses expérimentations laissant une grande place au hasard et à l’imprévu.
A chacun.e de dérouler le fil de cette narration qui s’achève dans un éclat de rire avec le film noir et blanc Light Test, reprenant ces icones féminines des couvertures de magazines dont les visages recouverts de cheveux, les Hair portraits du début du parcours, se retournent brusquement vers la caméra. Eternelle métamorphose et pirouette finale du maître du recyclage et de l’inachevé qui n’en finit pas de se réinventer.
Retrouver l’interview de Rebecca Lamarche-Vadel, juillet 2020 @9Lives-magazine.
Infos pratiques :
Martin Margiela
Jusqu’au 2 janvier
Lafayette Anticipations,
Fondation d’entreprise Galeries Lafayette
Agenda et évènements :