Regard écologique au féminin au Musée d’art contemporain de la Haute-Vienne – Château de Rochechouart, décryptage par Sébastien Faucon

Carolina Caycedo, Cosmoatarraya Mae das Aguas, das aguas Livres I, 2018, collection château de Rochechouart. Crédits de l’artiste et de la galerie Instituto de Vision, Bogota.

L’exposition L’œil du serpent agit en écho aux thématiques majeures des collections du Château de Rochechouart musée d’art contemporain de la Haute-Vienne : le rapport au paysage et les enjeux écologiques. Sébastien Faucon, directeur de ce lieu patrimonial emblématique saisit cette occasion pour exposer de nouvelles acquisitions et productions. Les 7 artistes femmes exposées dont certaines pour la première fois en France, de génération différentes, convoquent rites et croyances ayant trait à l’animisme et aux savoir-faire ancestraux, comme le souligne le titre qui renvoie à un recueil de contes folkloriques japonais. Le parcours est scandé en quatre séquences, entre geste poétique et pensée politique sous-jacente dans des intensités variables liées à chacun des éléments. Sébastien Faucon nous en décrypte les enjeux.

« Une première partie s’organise dans un dialogue entre deux artistes historiques : Sophie Podolski et Barbara Hammer. L’artiste américaine Barbara Hammer est l’une des grandes figures du féminisme américain dont les vidéos traitent du rapport au paysage, aux déesses-mères, aux rites matriarcaux. Ses vidéos convoquent à la fois les éléments terrestres qui jouent sur l’imaginaire de lieux comme le site de stonehenge dans son oeuvre « Stone Circles » et un caractère plus méditatif comme un sentiment d’enveloppement avec la nature, de ressac perpétuel dans l’oeuvre « Pond and waterfall ». On découvre à travers ses oeuvres filmiques les contours de la pensée éco-féminisme développée par cette artiste engagée également dans l’emmergence aux Etats Unis du cinéma queer. Les œuvres de la poétesse Sophie Podolski placées en écho sont empreintes du rapport au totem, aux mythes et peuplées d’animaux imaginaires ou de chimères dans une fusion avec la nature.

Une 2ème partie de l’exposition est dédiée exclusivement à l’artiste Carolina Caycedo, vivant entre Bogota et la Californie. Bien que peu vue en France, cette artiste est très présente sur les scènes pacifiques. Elle porte un engagement très fort en faveur des minorités, de la défense des écosystèmes, de l’accès à l’eau c’est pourquoi nous voulions la placer au cœur du dispositif. Elle relie les mythologies et rêveries sud-américaines à des transcriptions oralisées recueillies. En suivant un cours d’eau, elle glane des légendes ou des croyances des populations croisées. Au centre se détache une vaste œuvre suspendue, une forme totémique, sorte d’énorme méduse construite en filets de pêche récupérés auprès de pêcheurs qui doivent malheureusement renoncer à leur activité pour cause de désordres écologiques. Ce sont des œuvres poétiques, plastiquement séduisantes de premier abord mais qui soulèvent un questionnement plus profond autour de la déforestation, du déplacement des cours d’eau et de la raréfaction des espères liés à un territoire.

Kate Newby, Lots to do here, 2019. Crédits de l’artiste et de la galerie Art : Concept,
Paris.

« Le 3ème espace s’ouvre en préambule avec une de Kiki Smith de notre collection autour des notions de métamorphose, de cohabitation entre le féminin et la nature et de fusion entre figures humaines, animales et non humaines.

Puis une série d’oeuvres récentes de de Simone Fattal des nuages en céramique, cherchent à capter l’impalpable et l’immatériel, la beauté fugace. Ils sont exposés comme une ligne d’horizon. Simone Fattal que j’avais exposée dès mon arrivée à Rochechouart, a beaucoup travaillé sur les questions de mythologie à partir des grands récits universels. Ces nuages dialoguent avec des formes graphiques de la jeune artiste Chioma Ebinama comme ce tondo réalisé spécialement pour l’exposition. Une grande partie de l’œuvre graphique de l’artiste s’intéresse aux croyances nigérianes igbo, liées aux esprits qu’elle matérialise dans des aquarelles aqueuses et bleutées »

Kate Newby, Lots to do here, 2019. Crédits de l’artiste et de la galerie Art : Concept,
Paris.

« La dernière partie de l’exposition est dédiée à l’artiste néo-zélandaise Kate Newby avec la production spécifique d’une installation recouvrant l’intégralité du sol de la salle des chasses du chateau. Cette salle présente une magnifique fresque du XVIe siècle. La production de cette oeuvre s’est déroulée en plusieurs étapes. Nous avons d’abord lancé un appel à collaboration auprès de la population locale pour collecter autour du château de vieux tessons de verre selon un principe de dépolution qui anime l’artiste. Elle nous a , en effet, proposé de nous déléguer cette collecte dans le contexte du confinement. L’artiste a ensuite refondu ces tessons dans son atelier dans des formes en céramique moulées au creux de sa main et évoquant tout autant des coupelles comme des coquillages. Les 37000 éléments composant cette oeuvre sont ensuite agencé au sol par variation chromatique donnant l’impression d’une immense vague, d’un paysage coloré et dynamique. L’oeuvre renvoie aux savoir-faires traditionnels mais également à la question de l’offrande. Cette œuvre résume bien l’esprit de l’exposition dans son processus de collecte et de fabrication artisanale et appelle à sortir d’un schéma standardisé pour renouer avec un temps long. Au sein de la salle des chasses ce tapis agit en miroir avec les fresques représentant la forêt domestiquée, suggérant une pensée plus apaisée et moins dominatrice de la nature »

Infos pratiques :

L’ŒIL DU SERPENT

jusqu’au 15 décembre

Musée d’art contemporain de la Haute-Vienne  – Château de Rochechouart

Place du Château, Rochechouart (87)

https://www.musee-rochechouart.com/