Leon Wuidar 29 juillet 1989 (détail) courtesy de l’artiste et Rodolphe Janssen, Bruxelles
Denis Gielen a succédé à Laurent Busine à la direction du Musée des Arts Contemporains du Grand-Hornu, MACS, en 2016 sur ce site industriel houiller emblématique de la Province de Hainaut, inscrit au Patrimoine mondial de l’humanité. L’architecture néo-classique de l’ensemble imaginé au XIXème par l’entrepreneur d’origine française Henri De Gorge et la mémoire des mineurs et leurs familles restent omniprésentes et témoignent d’une véritable utopie sociale et communautaire la cité ouvrière disposant d’un hôpital, d’une école, d’une bibliothèque… dans un esprit très novateur pour l’époque. Christian Boltanski s’en était emparé à l’invitation de Laurent Busine avec une installation devenue depuis emblématique, Les Registres du Grand-Hornu, donnant véritablement l’impulsion de la création du MACS comme le rappelle Denis Gielen. Une autre dimension plus poétique fait partie intégrante de l’ADN du musée et les expositions des artistes liégeois Léon Wuidar et Tamara Laï ne dérogent pas à cette règle. Bien que différentes, ces expositions présentent des résonnances fortes selon l’analyse qu’en fait Denis Gielen qui revient également sur les principes fondateurs de la collection du musée. Une cohérence d’ensemble très inspirante pour les artistes invités. En 2022 le MACS fêtera ses 20 ans et l’utopie se sera bel et bien concrétisée.
Denis Gielen a répondu à mes questions.
Retour sur les ambitions qui vous animent pour ce lieu intensément chargé de mémoire
Il y a deux éléments à ma réponse. Tout d’abord on ne part jamais d’une feuille blanche et j’ai eu la chance de travailler aux côtés de Laurent Busine, précédent directeur et fondateur du MACS, Musée des Arts Contemporains de la Fédération Wallonie-Bruxelles qui a donné d’emblée une direction très claire à la fois au niveau de la programmation et surtout au niveau de la médiation culturelle, même si je n’aime pas employer ce mot, alors qu’il parlait plutôt d’éducation du regard, ce que je trouve plus enthousiasmant.
En ce qui concerne mon travail en tant que directeur depuis 5 ans je m’appuie à la fois sur cette mission d’éducation permanente et de démocratisation de la culture pour donner un maximum d’outils à nos visiteurs et ce dès la maternelle. Au niveau de la programmation, elle est forcément différente de celle de mon prédécesseur même si elle n’est pas divergente étant donné les bases posées par Laurent Busine autour de la dimension poétique, la dimension de mémoire et la dimension architecturale. Trois axes qui posent de fait la politique d’acquisition de la collection et la programmation.
En quoi la rétrospective de Léon Wuidar entre-t-elle en résonnance avec ces dimensions fondatrices du projet ?
La rétrospective de Léon Wuidar est tout à fait en phase avec ces trois dimensions. Le rapport à l’architecture est évident chez lui de par ses collaborations avec Charles Vandenhove, de même le rapport à la poésie avec les jeux de mots et le vocabulaire de signes et enfin le rapport à la mémoire, partie prenant de sa démarche, puisque l’artiste ne cesse depuis 60 ans de puiser dans l’imaginaire de son enfance, dans des souvenirs souvent visuels et sensoriels, aussi très affectifs, qui nourrissent son imaginaire de peintre, à l’image de cette série de collages autour d’un souvenir d’enfance à Ostende après la guerre. En plus Léon Wuidar entretient un lien fort avec l’éducation du regard, ayant été pendant de longues années professeur de dessin et d’arts graphiques. Son œuvre invite le regardeur à un déchiffrement à travers ce qui ressemble à des allégories ou à des messages codés.
La genèse de l’exposition de Léon Wuidar
Ma première rencontre avec le travail de Léon Wuidar remonte au début des années 1990, je travaillais alors comme gardien dans un petit centre d’art contemporain de Bruxelles, la Maison des artistes. Je l’ai perçu alors comme uniquement un peintre abstrait géométrique et ce n’est que des années plus tard que je l’ai pleinement découvert grâce à Rodolphe Janssen lors d’une foire, Art Brussels il me semble, où il était présenté en solo show. Il convient de souligner le travail entrepris par la galerie Rodolphe Janssen pour le faire connaitre davantage et aussi la nécessité de s’y pendre à plusieurs fois et avec du recul pour voir autrement l’œuvre. Il m’a fallu de nombreuses années d’expérience pour pleinement l’apprécier car si l’œuvre n’avait pas changé, j’avais changé.
Comment les expositions de Tamara Laï et de Léon Wuidar cohabitent-elles ?
Il s’opère une cohabitation merveilleuse entre ces deux expositions même si elles n’ont pas été conçues l’une par rapport à l’autre. Il est certain que quand j’ai découvert comme vous aujourd’hui Silent Noise, cette installation de Tamara en regard de l’œuvre de Léon, je me suis rendu compte que cette artiste vidéaste qui vient des arts numériques, du web art, du cédérom à l’origine de collaborations engageant des artistes multimédia du monde entier, nous proposait finalement des peintures. Même si la palette est différente, ce n’est plus de la peinture à l’huile ou de la toile mais un écran plat et une palette graphique avec des effets spéciaux, des possibilités de montage, de dédoublement de l’image, d’incrustation de fragments poétiques.. ce qui relève au final d’un travail de peintre. Le contenu de cette forme à la fois peinture d’un côté et vidéo-poème de l’autre a trait je pense à une sorte d’imaginaire, celui de l’enfance chez Léon avec cette idée de revisiter sans cesse ses souvenirs et sensations marquantes, ses premières images épiphaniques et chez Tamara un espace mental à travers ses souvenirs de voyage à partir de rushs qu’elle recycle et d’images sources qu’elle traite à chaque fois autrement. Nous oscillons entre cyber espace d’un côté et espace pictural plus traditionnel de l’autre.
Sur quels principes repose la collection du MACS ?
De nouveau sur ces 3 axes : mémoire, architecture et poétique ; mais également en ce qui me concerne à partir de la première œuvre acquise par le MACS : Les Registres du Grand-Hornu, une installation de Christian Boltanski créée à la mémoire des anciens mineurs du site. Cette œuvre produite dans les années 90, à l’invitation de Laurent Busine, fut suivie plus tard d’une autre œuvre, La salle des pendus, lors de l’exposition de Boltanski au Grand-Hornu en 2015. Toutes les deux sont entrées dans les collections du MACS et furent d’ailleurs exposées au Centre Pompidou en 2020 lors de la grande rétrospective de l’artiste français. Etant donné Les Registres du Grand-Hornu, mon prédécesseur a imaginé certainement en partie les fondements de notre collection. Je pense aussi que pour qu’une œuvre ait un sens dans une collection publique, dans un lieu singulier comme celui-ci, un lien profond est nécessaire. C’est le génie du lieu qui peut nous inspirer et conduire à des acquisitions variées, qu’elles soient ou non dans une mélancolie distanciée façon Boltanski. On n’a pas envie de montrer n’importe quoi et n’importe comment dans un lieu comme celui-ci et si tous les musées fonctionnent comme cela, cela se ressent davantage au Grand-Hornu.
Quelle est la répartition de votre public ?
Même si le Grand-Hornu est un peu au milieu de nulle part, il est au centre de tout de par son rayonnement. Nous ne sommes pas loin de Bruxelles attirant un public lui-même très diversifié, la ville étant très cosmopolite à la fois francophone et néerlandophone. Nous attirons aussi une partie de la Flandre, les flamands ayant développé une véritable culture de la visite d’exposition, ce qui représente environ 30% de visiteurs, soit une part non négligeable. Enfin un public transfrontalier avec la Wallonie et Mons proche et un public de passage étant sur un axe Paris-Bruxelles synonyme de tourisme l’été.
Le Grand-Hornu est-il représentatif comme le Familistère de Guise d’une sorte d’utopie basée sur les théories du phalanstère de Charles Fourier ?
Si l’on se replace dans le contexte de l’époque je parlerais plus de manufacture leader, d’entreprise pionnière au niveau technologique avec une ingénierie assez impressionnante assortie d’une vision de management progressiste, De Gorge étant très tourné vers l’avenir. Utopie peut-être mais également un pragmatisme fondé sur l’audace et l’innovation.
Il est certain qu’au jour d’aujourd’hui cet héritage conditionne en quelque sorte un rapport singulier à l’utopie qui m’habite et m’inspire.
Quelle sera votre prochaine exposition ?
Nous allons accueillir Aline Bouvy, artiste d’origine luxembourgeoise basée à Bruxelles qui explore la sculpture sous toutes ses formes et aborde de façon subtile des questions incontournables aujourd’hui autour de la fluidité des genres, du rapport à l’inclusion, aux communautés LGBT.. La grande partie de l’exposition qui sera une production est inspirée de l’utopie du Monte Verità, lieu libertaire et alternatif en Suisse, dédié à l’amour libre et régi par l’autosuffisance, sur lequel Harald Szeemann a beaucoup travaillé. Un élément très inspirant pour un lieu comme ici.
Infos pratiques :
Léon Wuidar
A perte de vue
Catalogue de l’exposition édition MACS, bilingue français-anglais, 232 pages, 39 €
Tamara Laï
Silent Noise
Catalogue édition MACS, français 96 pages, 10€
Jusqu’au 30 janvier 2022
Musée des Arts Contemporains | MACS (mac-s.be)
Rue Sainte-Louise 82, 7301 Boussu,
Gare de Mons
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