Matthis 2002, Jacqueline Mesmaeker
J’ai découvert le travail de Jacqueline Mesmaeker à l’occasion de l’exposition de Guillaume Désanges pour la Verrière-Fondation d’entreprise Hermès en 2019 et j’ai eu le bonheur de retrouver ses dessins lors du salon Art on paper sur le stand de la galerie Nadja Vilenne qui l’a défend. Une artiste relativement rare et discrète, subtile, à la fois poétique et conceptuelle, comme le soulignait Guillaume Désanges, qui pratique également la vidéo en pionnière et dès la fin des années 1970. C’est pourquoi la galerie qui participe à la nouvelle foire internationale dédiée à la vidéo Around Video Art fair a décidé de mettre l’accent sur son corpus filmique. Nadia Vilenne, fondatrice de la galerie revient sur ce choix et ses motivations à participer à cette foire vidéo lilloise, territoire limitrophe de la Belgique et de Liège.
Elle a répondu à mes questions.
Quelles raisons vous conduisent à participer à cette nouvelle foire lilloise ?
Nadia Vilenne : Tout d’abord pour des raisons de proximité, que nous voulons privilégier dans une réflexion liée à l’état de la planète. Puis l’Eurorégion est bouillonnante de propositions. Et je pense évidemment, dans le contexte qui nous occupe, au travail du Fresnoy tant sur le plan de l’éducation que de la monstration, mais aussi à Lens, au Grand Large, au LAM. Ensuite, il nous a plu de répondre positivement à la proposition de Christophe Veys, suite à pas mal de conversations avec Renato lorsque nous nous croisions dans les foire. Mais ça c’était avant…
Je pense très sincèrement que les collections futures seront constituées d’images en mouvement sur divers supports. Je constate que bon nombre des artistes avec lesquels nous travaillons flirtent très ouvertement avec la vidéo ou le cinéma. Valérie Sonnier par exemple entre films et dessins, Olivier Foulon aussi dans une pratique plus conceptuelle. John Murphy qui entretient une magnifique complicité avec les films d’Antonioni et d’autres cinéastes majeurs. La plupart de nos artistes touchent régulièrement à la vidéo, la réfléchissent dans un rapport singulier ou la détournent selon la typologie de leur travail. Tout est poreux, à l’image de l’attitude de Jacqueline Mesmaeker.
Pourquoi Jacqueline Mesmaeker et quelles vidéos allez-vous présenter ?
En Belgique, Jacqueline Mesmaeker fut une pionnière en la matière, principalement dans le domaine des installations filmiques et ce dès la fin des années 70, suivant de près les Jacques Lizène, Lili Dujourie, Jacques Charlier, Jacques Louis Nyst, Marie Jo Lafontaine. Jacqueline Mesmaeker expérimente très vite les limites et les possibilités qu’offre la projection filmique. Elle s’essaie au 8 et au 16 mm. En témoigne cette installation aux multiples tulles de soie et myriades de mouettes qu’elle produit en 1979 et qui sera déployée pour une importante exposition que produit Jan Hoet la même année à Gand : Inzicht / overzicht, un panorama on ne peut plus pointu de la scène artistique belge de l’époque. Le musée de Gand vient d’ailleurs de tout récemment faire l’acquisition de cette installation. Jacqueline Mesmaeker va multiplier les projets. Beaucoup resteront non réalisés. Mais nous disposons d’archives conséquentes. Dès 1979, elle déclare que « filmer c’est capter et que projeter c’est peindre ». Elle n’aura de cesse d’interroger le langage cinématographique et ses composants, la captation, la lumière, la projection. Dans ses installation il s’agit toujours de désorienter le support, ce qui provoque le vacillement du spectateur. Elle construira un nombre impressionnant de ponts avec l’art, le temps, le mouvement, sans tenir compte de la citation ou de l’emprunt, mais en créant de nouveaux rapports propres au travail de l’artiste. En marge de ses installations, ses vidéos proprement dites ne sont pas nombreuses, une vingtaine, mais toutes répondent à ses questionnements, toutes renvoient à ses autres pratiques artistiques. C’est sidérant de cohérence. Emerge bien sûr son intérêt constant pour la peinture, qu’il s’agisse de celle d’Holbein ou de celle de Barnett Newman. D’où le choix de « Matthis et Naoïse » que nous montrerons à Lille. Il s’agit de deux portraits muets de deux gamins filmés en plan frontal, l’un en débardeur se lavant les mains au savon dans une bassine blanche, l’autre coupant maladroitement une pomme, après avoir enfilé des gants verts. Rien n’est imposé, mais la filiation aux toiles d’Holbein le Jeune s’infiltre dans les couleurs qui se répondent (les cheveux roux, le fond et les gants vert), la simplicité des gestes et la frontalité du cadrage.
Quelle part la vidéo représente-t-elle dans les artistes de la galerie ?
Elle est importante. Je citais Lizène et Charlier parmi les pionniers de la vidéo en Belgique. Nous travaillons avec ces deux artistes depuis longtemps. Ils sont d’ailleurs tous les deux liégeois. Et Liège, dans le domaine de l’art vidéo, ce n’est pas rien, que l’on pense à l’engagement de l’ancienne galerie Yellow qui a produit la toute première expo vidéo en Belgique en 1971 ou au travail essentiel de Vidéographie durant les années 80. Nous collaborons également avec Aglaia Konrad, dont l’œuvre vidéographique et impressionnante, touchant principalement au domaine de l’architecture. Avec Messieurs Delmotte également, dont les prestations sont décoiffantes. Nous avons également réédités tous les films 8 mm de Pol Pierart, avons montré des films d’Eran Schaerf et Eva Meyer. Puis, il y a les jeunes pousses. Je pense principalement à Charlotte Lagro, une jeune artiste hollandaise, dont nous suivons le parcours pas à pas. Et c’est assurément très prometteur.
Question plus personnelle : à quand remontent vos premières émotions face à la vidéo ?
Godard évidemment ! Et Pierrot le fou.
Infos pratiques :
AROUND Video art fair
Hôtel Moxy Marriott, Lille
1 – 3 octobre 2021
Actualités de la galerie :
Triennale de Beaufort
FIAC, Grand Palais Ephémère
Galerie Nadja Vilenne
5 rue Commandant Marchand
4000 Liège