Rencontre Véronique Souben, Frac Normandie-Rouen : « Déjouer Flaubert »

Dépayser Madame Bovary, village de Ry

En plus de présenter l’ensemble de ses acquisitions entre 2018 et 2020 à travers deux scénarios, le Frac Normandie-Rouen propose une série de transpositions contemporaines inédites des romans de Flaubert à l’aune d’enjeux actuels dans le cadre de son Bicentenaire jusqu’en décembre 2021. Dépayser Madame Bovary dans le village de Ry, Désorientaliser Salammbô (en contrepoint de l’exposition proposée par le Musée des Beaux-arts de Rouen), Dénaturaliser Bouvard et Pécuchet ..Autant d’axes de réflexion inattendus et expérimentaux proposés dans plusieurs  lieux du territoire. De plus le Frac est de nouveau partenaire avec le SHED de la 2ème édition de Voisins de Campagne invitant la  photographe Elina Brotherus à une relecture du jardin remarquable du domaine du Bois-Héroult. Nouvelle rencontre à ces occasions avec Véronique Souben qui a répondu à mes questions.

Deux Scénarios pour une collection, œuvres acquises par le Frac en 2018, 2019 et 2020 : 

L’exposition déploie un total de 150 œuvres produites par 62 artistes émergents et l’accrochage s’articule autour de deux scénarios très différents.  Parmi les œuvres exposées, beaucoup relèvent des grands axes qui orientent aujourd’hui la collection tels que l’environnement et l’espace construit, le territoire, la nature ; le corps dans sa dimension esthétique, sociale, politique mais aussi médiatique et performative, ou le récit dans des formes disruptives liées aux livres, à l’écriture, à l’image, à l’installation. Nous avons voulu souligner avec ce titre les accointances entre le cinéma, l’installation et le dispositif dans un certain nombre d’œuvres qui ouvrent de nouvelles voies par rapport à notre approche de la photographie autour notamment des artistes Jagna  Ciuchta, Mac Adams ou Sébastien Rémy. Tout en maintenant une politique affirmée vis-à-vis de la photographie nous avons souhaité l’ouvrir à des horizons de sortie de l’image, à la pousser en quelque sorte dans ses retranchements.

 Un premier scénario (13 mars au 06 juin) assez sensible  s’orientait autour de jeux de couleur, d’effets de matière et de surface. Le deuxième scénario (03 juillet au 12 sept) est plus conceptuel avec un discours autour du corps social et politique, de l’atelier de l’artiste, de l’envers du décor en quelque sorte. 

Quelles tendances dominantes ressortent de ces acquisitions ?

Dans les deux scénarios, la photographie prédomine, notamment autour de la mise en lumière élément principal du medium qui met en avant tout ce que le Frac développe autour de la photographie abstraite. 

Ce lien se fait dans une approche très colorielle pour le premier scénario qui va du plus sombre au plus coloré en passant par les tonalités de gris et questions de surface, alors que le 2ème scénario se concentre sur l’image à travers la question du dispositif dans une confrontation assez spectaculaire de deux ensembles d’une part de Pierre-Joseph sur l’hyper Normandie (Photographies sans fin : champ de blé) et une grande installation de Francesco Tropa initialement montrée à Micro Onde  déclinant l’empreinte de son doigt sur plaque de verre sous forme de sérigraphie. L’un et l’autre sont complémentaires et s’intéressent à la mise en image et au dispositif,  l’un dans une approche très standardisée, l’autre de manière unique malgré sa sérialité. 

Déjouer Flaubert, enjeux et parti pris

Cela nous a semblé une évidence de nous inscrire dans l’année Flaubert 21 au fil de nos échanges avec des artistes pour qui la question flaubertienne prenait une dimension très contemporaine autour de sujets comme : Madame Bovary et la question du féminisme aujourd’hui, Bouvard et Pécuchet et l’écologie ou la Tentation de Saint-Antoine. Nous voulions trouver des lieux avec un rapport plus ou moins direct avec Flaubert et explorer la Normandie sous cet angle. Nous avons décidé de jouer pour chaque lieu un roman de Flaubert non pas de manière littérale en regard de sentiments qui avaient cours au XIXème mais en les détournant. Nous avons ainsi choisi de désentimentaliser l’Education sentimentale (Hôtel littéraire Gustave Flaubert à Rouen), de dénaturaliser Bouvard et Pécuchet (Jardin des sculptures – château de Bois-Guilbert), de désorientaliser Salammbô (Jardin des Plantes), l’orientalisme étant au cœur, de Dépayser Madame Bovary avec un projet dans la ville de Ry qui s’est totalement accaparée le roman alors qu’elle n’est qu’un lieu hypothétique, qu’une source d’inspiration parmi d’autres. Un contre-pied  et jeu d’esprit assez ubuesque qui nous permettait de mieux réévaluer, réactiver l’esprit de Flaubert, lui-même ayant toujours été très facétieux et ironique y compris dans Madame Bovary. Cette grille de lecture fonctionnait très bien avec les œuvres de la collection en donnant un nouveau sens aux œuvres. Nous avons travaillé de façon très étroite avec Sandra Glatigny agrégée de lettres modernes et docteure en littérature comparée, professeur au Lycée Corneille de Rouen qui fait partie du Comité d’experts de Flaubert 21 et a co-écrit les notices. Une première dans cette mise en parallèle entre les œuvres choisies, les notices de compréhension et des passages clés des romans de Flaubert. Un processus assez expérimental et passionnant. 

Désorientaliser Salammbô au Pavillon du Jardin des Plantes 

En termes de calendrier nous voulions nous inscrire au même moment que l’exposition du Musée des Beaux-Arts. Nous investissons tous les ans ce pavillon dans un dialogue avec la nature environnante. Le résultat est toujours satisfaisant comme lors de l’exposition inaugurale «  Flower Pictures » à partir des images de Hans Peter Feldmann qui générait des correspondances entre la roseraie, les remarquables orchidées du Jardin des Plantes et les œuvres de Hans Peter Feldmann, David Zérah ou Batia Suter. 

Voisins de campagne : Elina Brotherus 

Nous étions partenaires avec le SHED depuis la première édition de Voisins de Campagne et j’avais en tête Elina Brotherus en écho à ce jardin à la française d’Edouard de Lamaze ou botaniste Le Turquier de Longchamp (1748-1829) ? pour le Bois-Héroult presque surjoué dans des règles très strictes et un témoignage très géométrisé et impressionnant.  Elina Brotherus qui vient d’une tradition nordique du paysage héritière de Caspar Friedrich, interroge à la fois l’histoire du paysage, de la peinture, de la photographie et de la performance. Une approche assez complexe car elle convoque et conjugue toujours plusieurs niveaux de références, ce qui me fascine toujours. Le Frac Normandie lui avait déjà organisé une rétrospective et une publication en 2005 avec plusieurs acquisitions, ce qui permettait de renouer les liens. Elle a été en résidence à Bois-Héroult pour pouvoir s’imprégner de l’atmosphère, des couleurs, sur lesquelles elle pose son regard si singulier. Elle engage avec « Baldessari in the parc » une réflexion sur l’histoire de la sculpture, de la performance et du paysage, masquant à chaque fois son visage avec un béret comme Baldessari le fait dans ses tableaux avec des personnages masqués par des points de couleur primaire selon une approche très conceptuelle. Elina aborde à la fois l’aspect très dessiné et architecturé du lieu avec la question du jardin et de la lumière qui est très importante dans ce projet photographique dans des approches très pensées à une période où le soleil a été très présent, ainsi que la pleine lune, ce qui était une chance. Nous espérons pouvoir prolonger par un ensemble d’acquisitions afin de compléter nos photographies de territoires qui insèrent à chaque fois un regard très différent.

Infos pratiques :

Deux scénarios pour une collection

http://www.fracnormandierouen.fr/

Déjouer Flaubert : parcours sur le territoire normand

http://www.fracnormandierouen.fr/

flaubert21