Barbara Cuglietta photo Lydie Nesvadba
Dans un témoignage très fort Barbara Cuglietta, directrice du Musée juif de Belgique revient sur l’élément déclencheur de sa vocation pour l’art et les musées. A la suite de la chute des Lehman Brothers qu’elle observe depuis le 45ème étage d’une tour de Times Square, elle décide brusquement de quitter ce monde de la finance internationale pour fonder une galerie en 2010, puis prendre la direction de la prestigieuse école de La Cambre, rejoindre la galerie Gladstone et enfin le Musée juif en juin 2020 avec comme feuille de route une ambitieuse transformation architecturale pour 2026. Une vision profondément humaine et ouverte qu’elle partage avec les équipes autour d’un dialogue art et judaïsme. Les expositions Mathieu Pernot autour de son travail au Camp de Lesbos et l’exposition collective Ellis Island autour des notions d’errance et d’exil, incarnent cette nouvelle focale dont elle nous décrypte les enjeux. En septembre le musée accueillera une partie de la collection de Galila Barzilaï Hollander tandis que le projet de Sol LeWitt sera dévoilé en décembre.
Quelles étaient vos motivations pour rejoindre la direction du Musée Juif ?
Tout d’abord j’ai toujours rêvé de travailler dans un musée, c’était un désir secret. Quand cette opportunité s’est présentée, j’étais prête, je sentais que c’était à ma portée.
Je connaissais le Musée et avait observé le travail d’ouverture que l’équipe avait réalisé après l’attentat en 2014. Un travail audacieux et intelligent qui, plutôt que de se replier sur le judaïsme et les questions identitaires, a déplacé sa focale vers des thématiques universelles comme les questions d’appartenance, d’exil et de territoire. Des questions engagées qui faisaient écho à l’exil des communautés juives à travers les siècles.
Cela me plaisait de faire résonner Art et Judaïsme au sein d’un Musée, car à mes yeux, ils ont en commun qu’ils sont irréductibles à une identité stable, à une définition univoque et définitive. Une définition, qui par essence dé-finit, et donc finit. Or le judaïsme raconte quelque chose sur l’infinie possibilité de dire, qui est liée à l’infinie possibilité tout comme l’art.
Vous avez dirigé la Cambre, quelles synergies avec la scène culturelle bruxelloise comptez-vous développer ?
Je connais très bien la scène culturelle bruxelloise, je ressens un profond attachement pour collaborateur.rice.s avec lesquels j’ai travaillé. Cette scène est le socle sur lequel j’ai construit mon expérience professionnelle, que ce soit dans les galeries d’art ou le monde institutionnel. Donc, la synergie avec cette scène est quelque chose qui me tient à cœur effectivement. Nous avons commencé à mettre en place de nouveaux partenariats. Cela va de partenariats avec des jeunes commissaires bruxellois, des galeries d’art contemporains mais également des écoles d’art pour le projet Sol LeWitt que nous allons inauguré fin de l’année.
Nous avons pris la décision en équipe de collaborer de manière plus active avec la scène bruxelloise et avons déjà mis en place toutes sortes de partenariat tant avec les écoles, les commissaires que les autres musées.
Le Nouveau Musée : calendrier et ambitions
En 2018, après une longue procédure de sélection entre pas moins de 28 bureaux, c’est l’association de trois cabinets d’architectes qui l’a remporté : Tab Architects (Gand), Barozzi Veiga (Barcelone) et Barbara Van der Wee (Bruxelles).
La structure existante datant de 1901 n’était pas adaptée aux besoins d’un musée du 21e siècle: les espaces sont exigus, la circulation y est difficile, en particulier pour les personnes à mobilité réduite, et le bâtiment ne répond pas aux normes relatives à la conservation des biens culturels et du patrimoine, ni ne remplit les exigences de développement durable d’un projet muséal. C’est pour cela que le bâtiment rue des Minimes deviendra un espace entièrement muséal destiné à présenter les collections permanentes du musée mais également ses expositions temporaires.
Les plans définitifs devraient être validés fin 2021 et nous devrions donc obtenir le permis d’urbanisme en janvier 2023. Si nous considérons deux ans pour les travaux, nous pouvons espérer une inauguration du Nouveau Musée Juif de Belgique début 2026.
Quelle programmation allez-vous mettre en œuvre ?
Je dirais une programmation à laquelle on ne peut pas associer le mot « neutre ». Qu’on le veuille ou non, les musées ont une voix, et je souhaite que la nôtre soit celle d’un endroit qui raconte des histoires, et que les histoires que l’on raconte aient quelque chose à voir avec la porosité de l’identité, qu’à travers des récits on mette en lumière la confrontation entre poétique et politique.
Nos publics sont multiples et nous voulons continuer à être un « musée pour tout.e.s ». Le fait qu’il s’agisse du seul musée de Belgique consacré à l’art et l’histoire du judaïsme ne signifie pas que nous devons parler à un public identifié. Cela fait partie des discussions que nous avons en équipe de manière régulière, surtout lorsque l’actualité de notre monde hyper-polarisé veut à tout prix nous mettre dans une case, notre volonté est toujours de faire exactement l’inverse, c’est-à-dire construire des ponts, se mélanger et changer la focale.
La COVID-19 nous a également poussés à ralentir, et avec les restrictions budgétaires nous avons dû adapter et repenser à la manière dont nous nous connectons avec le public. Cela a mené à de grandes surprises, d’un côté une manière hyperlocale à Bruxelles avec le tissu associatif, les écoles et notre public fidèle, et de l’autre le virtuel a permis a des gens du monde entier de suivre des conférences et évènements. C’était très fort.
Pour être plus concret, nous avons réouvert avec deux expositions qui placent chacune en leur cœur des lieux insulaires symboliques. D’un côté, l’exposition du photographe documentaire Mathieu Pernot qui raconte les vies délaissées des demandeurs d’asile du Camp de Lesbos en 2020, en pleine crise sanitaire. De l’autre, Ellis Island, une exposition de groupe, basée sur le roman éponyme de George Perec. Toutes deux questionnent les notion,s d’identité, d’errance et d’espoir. A la fin de l’année, nous ouvrirons une petite rétrospective de l’artiste conceptuel américain Sol LeWitt.
Vous n’avez pas commencé votre carrière sous le signe de l’art, quel a été l’élément déclencheur pour vous lancer dans l’aventure ?
J’ai fait l’école Polytechnique et ai appris à construire des avions ! ensuite j’ai travaillé pendant 10 ans dans la finance internationale entre Bruxelles, Londres et New-York. Les éléments déclencheurs ont été au nombre de deux : tout d’abord la crise des subprimes en 2008, ou tout s’est effondré. J’étais à New-York au moment de l’effondrement de Lehman Brothers, dans mon bureau au 45eme étage d’une tour à Times Square. Tout s’est écroulé autour de moi et en moi, et la perte de sens a été totale. Je me suis complètement désolidarisée de ce monde.
Le deuxième déclencheur serait peut-être l’exposition rétrospective de Louise Bourgeois au Guggenheim, plus ou moins en même temps. Une exposition incroyable qui regroupait plus de 200 œuvres mettant en lumière les recherches de cette femme sur la relation entre corps et sculpture. Cela m’a bouleversée. Deux ans plus tard j’ouvrais ma galerie et puis le reste à suivi…
Infos pratiques :
Mathieu Pernot, Something is Happening
jusqu’au 16 septembre
Ellis Island
jusqu’au 29 août
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