Numa Hambursin : « Le chef d’œuvre doit préexister au regardeur »

Numa Hambursin, Fondation GGL Hélénis, juin 2020 photo Marie de la Fresnaye

Directeur artistique de la Fondation GGL Hélénis à Montpellier jusqu’à sa prise de fonction à la tête du MO.CO au 1er juillet, Numa Hambursin me propose une visite en avant-première de ce bâtiment emblématique de l’histoire de la ville, l’Hôtel Richer de Belleval. Il revient sur son triptyque fondateur : la notion de quête de chef d’œuvre, le patrimoine et l’hospitalité avec ce Relais et Château signé des frères Pourcel. Réconcilier le public avec le monde de l’art contemporain est l’un de ses leitmotivs, c’est pourquoi les commandes passées aux artistes pour l’occasion ont été pensées dans un prisme très universel.

En parallèle, Numa Hambursin quittera ses fonctions de directeur du pôle Art moderne et contemporain à Cannes après avoir dessiné les contours du futur centre d’art qui ouvrira en 2024 sur la Croisette.

Quelle vision de l’art défendez-vous ?

Dans ce qui nous différencie avec Nicolas Bourriaud, mon prédécesseur au MO.CO, ce qui est révélateur, c’est que nous symbolisons chacun une vision de l’art bien spécifique et à laquelle nous sommes chacun viscéralement attachés. Pour lui, l’art contemporain s’inscrit dans le discours, il permet de créer un dialogue, selon la théorie de l’esthétique relationnelle qu’il a définie et qui est tout à fait passionnante. Alors que selon moi, l’art permet aussi me semble-t-il le silence. On peut penser par le regard. L’œuvre peut procurer en elle-même et sans mots, et l’on revient à Kant, un choc qui change la vie.

Fondation GGL Hélénis, place de la Canourgue

A quand remonte ce déclic et choc originel chez vous ?

A l’âge de 13 ans quand je découvre les chefs d’œuvre du Prado lors d’un voyage linguistique. Je suis allé tous les jours au Prado sans rien voir d’autre à Madrid et ces œuvres ont changé ma vie. C’est à ce moment-là que se déclenche ma volonté de travailler dans l’art et sans avoir besoin que l’on m’explique ce qu’était un Goya. Cette expérience a bouleversé ma vie, tout comme des œuvres qui ont profondément modifié ma façon de voir le monde et de voir ma propre existence. Ce choc peut aussi faire prendre conscience à des personnes qui se pensent éloignées de l’art que la création contemporaine peut les toucher.

Jim Dine, Le Hall, fondation GGL Hélénis

La Fondation GGL Hélénis

La fondation regroupe deux groupes de promoteurs immobiliers avec qui j’avais déjà travaillé à l’occasion de commandes d’œuvres d’art pour des résidences à Montpellier. Ils sont des leviers d’action considérables et renouent avec une tradition du XIXème siècle abandonnée. Les artistes sont associés dès le départ aux projets architecturaux. Tout le monde est gagnant et l’a bien compris, le promoteur notamment en termes d’image de marque. Ils ont de plus un savoir-faire et une liberté qui est beaucoup plus grande que les collectivités publiques en général plus contraintes.

Fondation GGL Hélénis cour intérieure avec vue sur l’oeuvre de Marlène Moquet

Un bâtiment emblématique

Cette ouverture est très attendue avec un retard de 2 ans pris à cause du Covid. C’est un mille-feuille historique. Il s’inscrit dès les origines médiévales de Montpellier et traverse ses différentes périodes. L’hôtel Richer de Belleval est cher au cœur des montpelliérains car il fut entre 1815 à 1970 la Mairie avec une magnifique salle des mariages.

Il convient de rappeler la spécificité de Montpellier qui, contrairement aux villes voisines d’Arles et d’Avignon a des lieux emblématiques sous forme d’ espaces ouverts tels que la place de la Comédie, le Jardin des Plantes ou cette place de la Canourgue à cause de l’impact de la guerre des Religions, expliquant la place prise par les hôtels particuliers avec des cours extraordinaires mais qui sont toujours fermées. Ce sera donc une exception. De plus cet hôtel a appartenu à une grande famille, les Richer de Belleval, grands botanistes et professeurs de médecine. Ce bâtiment a donc un lien très fort avec la ville. Il était d’autant plus délicat d’y mettre de l’art contemporain. J’ai choisi les artistes autour d’une réflexion partagée sur la dimension universelle de l’œuvre d’art.

Un espace d’exposition est prévu au rez-de-chaussée et ma volonté était de prévoir à l’occasion de chaque exposition, une commande passée à l’artiste.

Marlène Moquet, l’escalier d’honneur, Fondation GGL Hélénis

Commandes pérennes in situ : les artistes choisis

L’enjeu était de proposer un nombre réduit d’œuvres mais placées à des endroits stratégiques et pouvant dialoguer avec les décors historiques revalorisés ou redécouverts à l’occasion de la restauration du bâtiment.

Jim Dine a imaginé pour le porche d’entrée une centaine de cœurs sur des carreaux de céramique conçus avec des émaux particuliers à la Manufacture de Sèvres.

Jan Fabre pour l’ancienne salle des mariages a réalisé à l’aide de milliers de carapaces de scarabées, cinq blasons inspirés des blanches botaniques de Richer de Belleval et de symboles tels que le mariage, médecine, justice, croisade et phénix.

Abdelkader Benchama, artiste de Montpellier, a conçu pour l’accueil, une grande fresque immersive qui joue sur l’illusion d’optique selon le procédé de ses dessins qui renvoient à des principes philosophiques et cosmiques.

Marlène Mocquet en réponse à l’imposante cage du grand escalier XVIIème  installe son bestiaire fantastique dans une installation pleine de détails et de truculence, fruits, fleurs, démons et merveilles.

Olympe Racana-Weiler avec sa peinture très expérimentale entre spray, pigments, coulures, matières brutes investit le boudoir du premier étage. Cette accumulation presque baroque a quelque chose de jubilatoire.

Informations pratiques :

Ouverture le 26 juin

Hôtel Richier de Belleval, Place de la Canourgue, Montpellier

Fondation GGL Hélénis

Prochainement au MO.CO :

Marilyn Minter, Betty Tompkins et Cosmogonies, Zinsou une collection africaine

https://www.moco.art/fr