Katherine Longly, series To tell my real intentions, I want to eat only haze like a hermit, 2016 © Katherine Longly
Hangar avec « The World Within » Photo Brussels Festival 05, s’est imposé comme un centre d’art européen incontournable dédié à l’image et à ses enjeux. La nouvelle proposition de Delphine Dumont s’inscrit dans une continuité tout en faisant preuve d’innovation sous la forme d’un hommage à l’artiste Véronique Ellena. Face aux séries emblématiques de cette artiste plasticienne française (Les Grands moments de la vie, Ceux qui ont la foi, Les dimanches, Les cyclistes, Clairs-Obscurs..) qui a été marquée par son apprentissage dans l’atelier photographique de La Cambre à Bruxelles, d’autres photographes issus d’écoles d’art belges, convoquent la beauté de l’ordinaire et du quotidien. Ces choses simples qui nous ont tant manquées récemment et dont la nostalgie nous saisit face à ces images à la fois tendres et féroces, proches et lointaines, classiques et expérimentales. Il y a Claude et Lilly qui ouvrent le parcours, deux sans abris et leur amour chevillé au corps que saisit Vincen Beeckman entre squats, galères et logements de fortune, une communauté de festivaliers en Meurthe-et-Moselle frappés par la foudre et dont les traumas resurgissent dans la nature environnante comme en témoigne le duo Téo Becher & Solal Israel, la dérive outrancière et libératoire d’une bande de jeunes confinés à Saint-Nazaire par Antoine Grenez, le rapport à la nourriture et la mise en scène de soi au Japon et ailleurs avec Katherine Longly, les liens complexes avec la maternité chez France Dubois dans un besoin de reconnexion avec la nature ou la joie de vivre des habitants d’une ville minière de l’ex-URSS qui tranche avec cette région rude et austère par Hanna Van Assche.
En plus de ce panorama qui sait de nouveau nous interpeller, Hangar propose avec l’exposition Lost & Found de découvrir la démarche de deux collectionneurs engagés : Christophe Veys et Edgar F. Grima. Loin d’une logique de consommation et de possession, ils ont su privilégier des œuvres non spectaculaires, tisser des liens fertiles avec les artistes qu’ils défendent et devenir à leur tour des passeurs d’émotion et de sens.
Autant de bonnes raisons de revenir à Hangar, que vous soyez amateur de photographie ou d’art contemporain. Delphine Dumont, ambassadrice infatigable de ce lieu et toujours si inspirante, est revenue sur le défi que représentait ces expositions au sortir de la pandémie, les liens photographie et art contemporain, nous livrant les contours de son prochain projet autour de Martin Parr, mené avec Magnum. Un temps fort qui devrait réjouir les amateurs de ce collecteur hors normes de nos tropismes contemporains.
Comment expliquez-vous le succès remporté par « The World Within », qui traitait du contexte grave et pesant de nos confinements ?
Cela s’explique sans doute par la grande sincérité des artistes qui se sont livrés comme jamais. Démunis comme nous face à cette situation nouvelle et complexe, ils ont dû aller au plus profond d’eux-mêmes pour puiser une inspiration nouvelle. C’est sans doute ce qui a touché le public avec des images qui dégageaient une grande force. Quant à ceux qui connaissaient déjà ces artistes ils leurs sont apparus sous un regard nouveau à travers leur intérieur, leur famille, leur intimité.
Cela rejoignait la volonté initiale du jury d’aller au-delà de la photographie documentaire qui a émergé à cette période autour de l’hôpital et des catastrophes. Nous voulions au contraire montrer la capacité de résilience dont beaucoup ont fait preuve. Nous étions aux antipodes du négativisme ambiant et les artistes eux-mêmes en répondant à l’appel à candidatures ont fait preuve de résistance. La grande fréquentation de l’exposition et les nombreuses retombées dans la presse ont montré qu’elle avait su en effet trouver un large écho.
C’est comme si nous nous sentions investis d’une mission dès le départ, pour d’une part soutenir les artistes fragilisés pendant cette période et d’autre part documenter ce temps suspendu et unique.
Genèse du projet Véronique Ellena et de cette exposition
Il convient de distinguer d’une part, ma rencontre avec Véronique Ellena et d’autre part l’idée de cette exposition grâce à notre collaborateur Aleksandar Avramovic qui a rencontré l’artiste lors de ses études à La Cambre. Cette école prestigieuse est une véritable fabrique de talents et si l’on connait en général la mode, il y a une quarantaine de disciplines possibles, dont l’atelier photographique où Véronique s’est formée. A la suite de ma rencontre avec Véronique à Arles en 2018, je l’avais invité à l’occasion de la 4ème édition de notre festival dont le thème était la nature morte. Elle avait alors exposé son travail remarquable réalisé lors de sa résidence à la Villa Médicis qui m’a beaucoup touché, de même pour le public. Nous sommes restées en contact et avons noué une amitié car c’est une personne qui ne laisse pas indifférent.
C’est pourquoi, alors que nous avons dû réinventer notre programmation qui se trouvait comme pour beaucoup d’autres centres d’art très bousculée, il nous est apparu comme une évidence que dans ce besoin que nous aurions de nous reconnecter les uns aux autres et à des histoires humaines fortes, la trajectoire de Véronique Ellena s’imposait aux côtés d’artistes, qui comme elle, ont été formés dans des écoles belges et ont poursuivi dans cette voie. Il est important de souligner en effet combien les années de Véronique à La Cambre ont été décisives dans sa carrière et vocation artistique. Trente ans après, de retour à Bruxelles, elle se retourne sur son passé et mesure à quel point Bruxelles n’a cessé de l’inspirer. En résonnance, les neufs autres artistes, dont un duo, explorent leur vécu ou le vécu d’autres. Des propositions qui n’avaient jamais été encore montrées comme celle de Téo Becher & Solal Israel Les Fulguré.e.s ou de Vincen Beeckman dont nous connaissions les images mais pas la série Claude et Lilly dans son intégralité. Le choix des artistes a été fait par l’équipe de Hangar et l’exposition montée en un temps record de 100 jours. Un véritable défi pour eux et pour Véronique. Cette exposition est à la fois différente et complémentaire de celle du musée Réattu dans son ancrage très fort à Bruxelles. Des trajectoires de vie que Véronique explore et dès le début de son parcours, ce qui a beaucoup perturbé à La Cambre quand elle présente la série Les Supermarchés en 1991 au jury de fin d’année. De grands formats en couleur de scènes de la vie ordinaire qui scellent son intérêt et orientation à venir pour la place de l’humain qu’elle décline ensuite dans différentes séries, jusqu’à ce qu’elle décide de se tourner vers le paysage pour marquer une pause et trouver une nouvelle respiration, comme cela est traduit dans la scénographie de l’exposition. Elle donne alors libre cours à une sensibilité plus spirituelle avec Les Clairs-Obscurs et son travail autour du vitrail à Strasbourg, Arles et plus récemment Lyon, aux côtés du maitre verrier Pierre-Alain Parot. De ses premières photographies à la chambre jusqu’à l’expérimentation de la photographie sur verre, nous montrons toute la palette de cette artiste dans son rapport constant à l’image.
Lost & Found
Cette exposition s’inscrit avant l’orientation exclusivement tournée vers la photographie prise par Hangar. J’avais rencontré Christophe Veys à l’occasion d’une conférence organisée ici, puis je l’avais revu quand il avait exposé aux côtés d’autres collectionneurs à La Centrale (Private Choices, 2017). Il est venu me proposer ce projet d’exposition avec Edgar F. Grima avec qui il partage la particularité de ne pas vivre entouré d’œuvres. Le seul moyen pour eux de voir leurs œuvres est donc de les exposer dans différents lieux. Cela a été l’occasion pour Christophe de redécouvrir certaines œuvres comme la photographie d’Emmanuelle Lainé qu’il avait commandée suite à son exceptionnelle carte blanche pour le Panorama de la Friche La Belle de Mai à Marseille en 2019.
Lost & Found devait avoir lieu l’année dernière dans le cadre du programme VIP d’Art Brussels et nous avons décidé avec Christophe que cela avait du sens de la proposer en parallèle de « Regarde mon histoire », un certain nombre d’œuvre engageant le medium photographique et d’autant plus que la photographie est trop souvent déconnectée de l’art contemporain suivant des catégorisations beaucoup trop réductrices. Je compte d’ailleurs poursuivre cette politique d’ouverture du medium à travers ma programmation pour montrer comment les artistes se saisissent aujourd’hui du medium photographique, parmi d’autres mediums, pour le détourner et en faire des œuvres uniques. Dans ce sens Véronique Ellena nous montre comment la photographie peut être au centre d’une démarche beaucoup plus large.
Prochaine exposition : Martin Parr
Même si Parrathon a déjà été exposé en France au Frac Bretagne (relire mon interview avec le directeur Etienne Bernard), ce sera une première pour la Belgique. Nous préparons avec Magnum ce qui représente un très vaste projet car cette occurrence sera inédite et espérons qu’en septembre Martin Parr pourra être présent et nous offrir un volet belge de ce tour du monde et de force de nos habitudes de vie avec le talent qui a fait sa marque de fabrique, reconnaissable entre toutes.
Catalogue Regarde mon histoire/ Kijk naar mijn verhaal, éditions Hangar, 52 pages, 12 €
E-shop et boutique sur place
Interviews Podcasts à suivre : France Dubois,Katherine Longly, Téo Becher & Solal Israel
Liste des artistes : Vincen Beeckman, Téo Becher & Solal Israel, Elise Corten, Anne De Gelas, France Dubois, Antoine Grenez, Katherine Longly, Hanne Van Assche
Infos pratiques :
Regarde mon histoire/ Kijk naar mijn verhaal
Jusqu’au 17 juillet
Lost & Found,
Collections Edgard F. Grima and Veys-Verhaevert
Jusqu’au 6 juin
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