A l’heure où l’on observe un retour en force de la revue d’art, sophistiquée et exclusive, fer de lance des grandes galeries mondiales, telles Gagosian qui caracole en tête des rayons de lieux très branchés comme la Librairie du Palais de Tokyo, de la Maison Artcurial ou du Drugstore Champs Elysées pour les nostalgiques, on se dit que cette version papier devient le luxe ultime en période de digitalisation généralisée. La mode a aussi ses revues pour aficionados comme Monocle ou W magazine et Louis Vuitton avec ses librairie éphémères ne s’y est pas trompé, cultivant une esthétique vintage très étudiée avec des collaborations artistiques nombreuses.
Si l’on remonte à l’origine d’un tel engouement cela en revient à l’évolution de La Revue d’art et l’exposition proposée par Anne Dopffer, directrice du Musée national Marc Chagall à Nice retrace les jalons passionnants de cette aventure éditoriale qui trouve dans la Ville lumière foisonnante de l’entre-deux-guerres le terrain fertile à son éclosion. A l’heure où Paris, nouvelle capitale des arts voit affluer de nombreux artistes multiculturels dont Marc Chagall, le personnage principal de notre histoire, les revues accompagnent les évolutions majeures d’un marché de l’art qui s’internationalise avec la multiplication des galeries d’art des deux côtés de la Seine et dont l’édition d’art devient le support de légitimation idéal. Marc Chagall participe à cet engouement pour les revues tout d’abord pour la galerie et revue d’avant-garde berlinoise Der Sturm et aux revues yiddish Shtrom et Khaliastra puis au fil des métamorphoses de ces publications de plus en plus désirables jusqu’à en devenir des objets esthétiques à part entière après la Seconde Guerre. Il collabore avec son grand ami Tériade pour la fastueuse aventure de Verve et avec Christian Zervos pour Les Cahiers d’art, véritable vitrine de la galerie du couple Zervos, 14 rue du Dragon. Cette revue outre l’audace de sa mise en page, offre une pluralité de regards et d’auteurs créant des passerelles entre les arts primitifs, la littérature, l’archéologie avec aussi bien Picasso, René Char, Tristan Tzara, Alberto Giacometti que Samuel Beckett.
Mais c’est avec Aimé Maeght que Chagall de retour des Etats-Unis et brève participation à la revue surréaliste en exil VVV, va connaitre sa collaboration éditoriale la plus intense dans une liberté absolue qui lui est offerte. Maeght devient son marchand et leur confiance se renforce au fil de leurs rencontres en terre commune de Provence et expositions. Derrière le miroir est le prolongement de leur complicité naissante dans une maquette qui évolue au gré des propositions des artistes dont s’entoure l’éditeur qui reste à leur écoute. La lithographie devient l’élément central de cette nouvelle parution et c’est à cette occasion que Chagall découvre cette technique dans laquelle il va exceller, comme cela se ressent dans les couvertures de chaque numéro où il laisse exploser son talent de coloriste et sa créativité plastique. Le succès et l’originalité de DLM va durer sur plus de 20 ans encourageant Maeght à en proposer une version luxe au tirage limité à 150 exemplaires signés de la main de l’artiste. Des multiples avant l’heure ? De nouveau tout le génie visionnaire de l’éditeur et de l’artiste s’inscrit sous nos yeux tandis que les témoignages de la place donnée à Chagall par la revue XXè siècle notamment à l’occasion de sa rétrospective au Grand Palais en 1969, ne referment ce panorama, original et essentiel à une compréhension de l’art moderne en devenir.
Catalogue Marc Chagall et les Revues d’art de couleur et d’encre, aux éditions RMN, Musées nationaux du XXème siècle des Alpes Maritimes.
Visite proposée par Odile Redolfi dans le cadre des partenariats OVNi festival.
Infos pratiques :
Exposition terminée à ce jour, qui n’a malheureusement pas pu être prolongée. Le catalogue en est donc le témoin indispensable.
Musée National Marc Chagall (musees-nationaux-alpesmaritimes.fr)
