Musée d’art contemporain de la Haute-Vienne, château de Rochechouart Yona Friedman, Les villes imaginées, A space chain for Rochechouart
©ADAPG, Paris, 2018
Poursuite de mon tour de France des expositions confinées au château de Rochechouart, musée d’art contemporain de la Haute Vienne que dirige Sébastien Faucon depuis 2017. Chaque année le musée propose des monographies d’artistes en résonance avec les thématiques de sa collection, riche de 1000 œuvres. L’artiste italien Michele Ciacciofera ne déroge pas à cette règle. Ses réflexions autour de l’anthropologie, du patrimoine, de la mémoire collective et des enjeux très actuel de l’écologie à travers son attention à la matière qu’il convoque dans une grande variété de mediums (céramique, verre, dessin, son, installation) trouvent dans l’ensemble des espaces du château un vaste terrain fertile. Sébastien Faucon nous retrace la genèse de ce projet et les ambitions qui l’animent pour ce site emblématique situé dans un paysage très préservé. Ensemble patrimonial irrigué de créations contemporaines, Rochechouart est aussi un lieu de production, dimension que Sébastien Faucon entend bien poursuivre et développer.
Genèse du projet et votre découverte de Michele Ciacciofera
J’ai découvert l’artiste à la Biennale de Venise de 2017 avec l’installation « Janas Code » que j’avais gardé en mémoire. Son intérêt pour l’histoire, la sédimentation et l’archéologie résonnait tout particulièrement par rapport à Rochechouart. Lors de sa première visite il a beaucoup aimé le lieu et le projet s’est peu à peu élargi à l’ensemble des 3 plateaux du musée. Sur la centaine d’œuvres présentées mis à part certaines plus anciennes, la plupart ont été produites pour l’occasion. Je trouvais surprenant que bien qu’aussi visible à l’international et représenté par la galerie chinoise trèss influente Vitamin Creative Space, l’artiste n’ait pas encore eu d’exposition en France. Certains l’avaient vu lors de la FIAC de 2019 avec « Tales of the Floating World » au Petit Palais, que nous retrouvons dans le parcours, et il est récemment entré à la galerie Michel Rein. La vocation du musée est aussi de mettre en lumière ces artistes peu visibles en France comme nous l’avons fait en en 2017 avec Simone Fattal avant son exposition au PS1 de New York.
Sans commencement ni fin : titre et prologue
Le titre emprunté aux Essais de Montaigne indique un mouvement circulaire et rhyzomique où chaque œuvre renvoie à l’ensemble. Chacun est libre de faire son propre parcours avec des allers et retours possibles. L’œuvre picturale de Bernard Frize qui nous accueille à l’entrée du musée représentant un grand vase inspirée de décors italiens de la renaissance fait le lien entre la collection et l’exposition de Michele Ciacciofera à partir de ce rapport au fragment archéologique et au motif. Une petite salle du rez-de-chaussée est à la fois un prélude ou une conclusion avec deux formes échappées de l’installation « Tales of the Floating World ».
Les enjeux du projet
Ce projet s’intéresse à la question du vivant et cette manière que l’artiste a de travailler l’organique et l’inorganique, l’inerte et le mouvement, le végétal et l’animal dans la retranscription d’un vocabulaire où nous nous retrouvons face à une origine cellulaire commune. Celle-ci va se déployer alors dans le champ de la céramique, du dessin, de la peinture, de la sculpture ou du leporello. La dimension écologique du projet se révèle notamment par le processus de production d’objets recyclés qui vont être transformés dans une série d’œuvres et y trouver une nouvelle « purification » selon les propres mots de l’artiste. De nombreuses œuvres sont des productions spécifiques même si nous avons également souhaité réactiver quelques œuvres emblématiques de son travail.
Les origines de Rochechouart, son influence sur le projet de Michele Ciacciofera
Le site sur lequel Rochechouart se trouve a été le lieu d’impact d’une météorite il y a 200M d’années, évènement qui a complètement modifié la composition du sol. Le cratère invisible de nos jours, mesurait 25km de diamètre et est inscrit dans le top 30 des plus gros impacts qu’ait connu la terre. Il y a de nombreux chercheurs internationaux qui viennent à Rochechouart et lors de l’exposition «Météorites » au Muséum National d’Histoire naturelle à Paris en 2018, l’impact de Rochechouart était largement commenté. Michele Ciacciofera a été fasciné par ces données géodésiques qui résonnent fortement avec son travail autour du rapport à la temporalité et à la sédimentation historique.
Le parcours de l’exposition
Pour ce vaste parcours, nous avons réfléchi à 3 fils conducteurs qui se développent sur les 3 étages du musée : le rapport au vivant au premier niveau, au politique au deuxième étage, à l’archéologie et à la mémoire au dernier étage.
La pièce introductive que nous avons choisie avec l’artiste est « Morphogenesis », travail sculptural qui donne la couleur aux trois salles du premier étage. Nous y retrouvons « Tales of the Floating World », belle installation en verre de Murano réalisée en 2019 avec la manufacture Seguso à Venise où des figures animalières et végétales semblent flotter à a surface des tables, inspirées des fonds méditerranéens avec des couleurs très particulières puisque certaines d’entre elles n’appartiennent qu’a cette manufacture.
Avec la série des « Time Scale » il est question de grilles verticales en métal dans lesquelles l’artiste va tisser avec de la laine différents assemblages. Cette laine est teintée à partir de différentes plantes et pigments qui vont évoluer au fil du temps. La laine d’origine animale et le pigment végétal vont ainsi recréer une nouvelle communion et hybridation.
Les leporello, dans une grammaire de signes d’inspiration cunéiforme, sont présentés sur 3 grandes tables en métal oxydé, et renvoient également à une pratique du dessin journalière, tandis que l’installation centrale du 2e étage « The Density of the Transparent Wind » nous bascule dans une dimension plus politique.
Density of the Tranparent Wind, 2ème étage
Cette production spécifique a été réalisée avec l’aide du Cirva (Centre international de recherche sur le verre et les arts plastiques) de Marseille. L’ensemble des 8 pièces en verre sont disposées au sol comme en dérive sur le parquet. Ces outres semblent provenir d’une fouille archéologique et se retrouvent encerclées par 2 rangées assez martiales de drapeaux en toile de jute qui proviennent de différents pays : Kenya, Congo, Honduras, Mexique… Reflet de la provenance de ces cafés et par extension métaphore des échanges mondialisés et de l’exploitation par l’occident de ces matières premières. Contrastant avec leur parcours à travers le globe, ces sacs de jute proviennent d’un torréfacteur basé à Limoges. L’artiste les a retravaillés et peints. La bande sonore issue de l’installation de la Documenta14 de Kassel et d’Athènes, enregistrée sur un bateau de pêcheurs dans le canal de la Sicile lieu de passage des migrants qui fait la jonction avec la Libye, renforce la tonalité très politique de l’espace.
Agora sonore de la tour médiévale
Cette dimension politique se poursuit dans cet espace hors norme reconstruit en béton. Le visiteur découvre un parlement de 17 totems répartis dans l’ensemble de l’espace. Le visiteur est invité à déambuler librement à l’intérieur de cette agora. Le titre « The Inner State », nous renvoie également à une dimension plus méditative accentuée par une bande sonore envoutante réalisée à partir de chants d’oiseaux et de bruits trouvés.
The Library of Encoded Time & Janas Code, 3ème étage
Autre temps fort du parcours, les installations « The Library of Encoded Time » et « Janas Code » qui sont réactivées au dernier étage du château. Véritable cathédrale, l’impressionnante charpente en bois du XVIème siècle donne une tonalité très particulière à cette vaste pièce qui a toujours su inspirer les artistes comme Annette Messager et Christian Boltanski en 1990.
« The Library of Encoded Time » connait plusieurs itérations. L’artiste est parti ici de briques en terre cuite du 18ème récupérées dans une habitation toute proche du musée. Les 235 briques ont été émaillées et recuites avec la collaboration du CRAFT, Centre de Recherche sur les Arts du Feu et de la Terre à Limoges. Cette bibliothèque que Michele Ciacciofera développe depuis 2016, trouve ici une dimension plus large d’archive. Posées sur 3 tables de bois et 3 étagères en métal, ces briques déclinent ses recherches autour du signe, du langage, et de cette sédimentation historique. Il y a aussi une dimension d’improvisation liée à une technique d’écriture automatique afin de faire ressurgir des formes qui traverseraient l’histoire de l’art et l’histoire de l’humanité. Cet ensemble est également ponctué de référence à Antonin Artaud, à James Joyce ou au communisme.
« Janas Code »
Nous réactivons dans cette dernière partie de l’exposition la grande installation « Janas Code » produite par Michele Ciacciofera à l’occasion de la 57e Biennale de Venise en 2017. « Janas Code » se compose de multiples éléments tous façonnés par l’artiste et placés au mur et sur neuf petites tables que l’artiste nomme «memory recorder» (enregistreur de mémoire). Disposés sur les cheminés d’époque du château, deux tapis réalisés dans un village de Sardaigne accompagnent cet ensemble. L’un reprend l’image d’une coupe géologique et l’autre l’histoire des motifs traditionnels sardes. Les anciennes tables, céramiques, fossiles, tapisserie et nids d’abeille reconstituent mentalement un site archéologique funéraire néolithique basé en Sardaigne que l’artiste a étudié.
La collection
Les grandes thématiques de la collection depuis l’origine du musée, en 1985, sont le rapport au paysage notamment autour du Land Art et l’Arte Povera, à l’Histoire, débuté avec l’axe sur la peinture allemande et la question de l’imaginaire entre fiction et mythologie. La globalisation et les réflexions post coloniales (Danh Vo, Thu-Van Tran) ou écologiques (Daniel Steegmann Mangrané, Rossella Biscotti..) font partie de ses orientations plus récentes que j’ai souhaité approfondir.
En 2019, 51 nouveaux artistes majoritairement absents des collections françaises ont rejoint la collection suite à la donation de Madame Agnès Rein donnant une ouverture supplémentaire sur les scènes anglo-américaines et allemandes (Sam Durant, Angus Fairhurst, Georgina Starr, Jonah Freeman, Gillian Wearing).
Notre politique d’acquisition se construit autour de notre volonté de conserver la mémoire des artistes exposés comme l’ont fait l’ensemble des directeurs, tout en ouvrant sur d’autres artistes moins présents dans les collections françaises. Depuis mon arrivée en 2017, nous avons dans ce sens acquis des œuvres d’artistes exposés tels que Simone Fattal, Jochen Lempert ou Babette Mangolte et poursuivi une prospection française et internationale (Michael E. Smith, Martine Syms, Carolina Caycedo, Jean-Charles de Quillacq…)
En ce qui concerne les artistes français, nous en accompagnons chaque année avec une phase importante de production et une acquisition comme nous l’avons fait pour Mathieu K. Abonnenc en 2018 et Laetitia Badaut Haussmann en 2019.
De plus, nous avons eu l’année dernière une donation importante de l’artiste Joëlle de La Casinière autour du collectif du Montfaucon Research Center. Outre un ensemble conséquent d’oeuvres filmiques et graphiques de Joëlle de La Casinière, cette donation intégré un magnifique ensemble de plus de 200 dessins de l’artiste poétesse Sophie Podolski a qui le Wiels a rendu hommage en 2018. Ce nouvel ensemble exceptionnel fait bien sur écho au fonds Raoul Hausmann présent au musée.
Le musée bénéficie en outre depuis sa création d’un d’important dépôt du CNAP. Ce dépôt, revu périodiquement, compte aujourd’hui plus de 40 œuvres majeures venant renforcer des ensembles monographiques (Tacita Dean, Gustav Metzger, Anthony McCall, Thomas Schütte, Gianni Pettena) ainsi qu’une sélection de travaux entretenant une relation étroite avec la collection (Mike Kelley, Felix Gonzalez-Torres, Robert Filliou, Nina Canell, Daniel Gustav Cramer).
Les commandes publiques
Dès son installation dans les murs du château, le musée a bénéficié d’un programme dans le cadre de la commande publique. Ainsi en 1985, Giuseppe Penone imagine une sculpture pour la cour du château en reprenant des éléments architecturaux comme les colonnes torses de la galerie Renaissance.
En 1990 Richard Long réalise avec du calcaire collecté une œuvre in situ, Rochechouart Line, dans l’une des salles des fresques du XVIe siècle, retraçant les travaux d’Hercule. Ce programme se poursuit aujourd’hui avec l’installation de nouvelles œuvres in situ sur la terrasse du château, ouverte en 2017, avec l’œuvre Le tombeau du miroir de Michelangelo Pistoletto et l’œuvre murale « Nous sommes des extraterrestres » de l’artiste Dora Garcia installée sur la façade.
Nous souhaitons poursuivre ce lien si particulier entre patrimoine et création contemporaine à l’image de la production de l’œuvre monumentale de Yona Friedman qu’il avait pensé spécialement pour la cour du château lors de son exposition en 2018 et qu’il a souhaité offrir au musée.
Les synergies du territoire
Le territoire compte une très grande diversité de lieux comme le domaine de Boisbuchet dédié au design en Charente, le château La Borie et le FRAC Artothèque de la Nouvelle Aquitaine à Limoges, le Centre d’art et du paysage de Vassivière ou encore le CRAFT avec qui nous collaborons pour cette exposition.
Le château de Rochechouart comme l’ensemble de ces lieux sont d’ailleurs fédérés au sein du réseau ASTRE. Ce réseau reflète le grand dynamisme des arts visuels sur l’ensemble de la région de Biaritz à Aubusson.
Infos pratiques :
MICHELE CIACCIOFERA
Sans commencement et sans fin
jusqu’au 13 septembre 2021