Lucie Douriaud, Villa Belleville résidence photo Marie de la Fresnaye
« Traduire les principes d’évolution et de révolution qui régissent le vivant à différentes échelles par une gestuelle lente, répétitive voire méditative. Une manière en quelque sorte, d’intérioriser et de réactiver les paradoxes d’un intervalle entre logique et désordre ». Les empreintes laissées par un chasse neige sur le bas-côté d’une route de montage, la spirale pyramidale d’un tuteur végétal, le fractal d’une giboulée de mars ou la cristallisation d’un flocon de neige, sont autant de prétextes de rapprochements formels avec certains modules mathématiques et scientifiques (suite de Fibonacci ou ensemble de Mandelbrot). Des phénomènes géologiques qui rentrent dans le tamis de cette obsessionnelle du geste qui s’est penchée plus récemment sur le phénomène des terres rares et du plastique en combustion. Entre les rebuts de l’homme et les matières composites de son invention, le recyclage agit comme acte de réparation et de rebond vers un autre devenir possible. Entretenant une relation fusionnelle avec l’hiver, son milieu d’origine, c’est une vraie chance de rencontrer Lucie Douriaud par un froid assez polaire sur les hauteurs de Belleville.
Née en 1992, Lucie Douriaud est diplômée de l’École Nationale Supérieure d’Art de Dijon. À l’issue de différents voyages à l’étranger, elle prend conscience des transformations des paysages et des enjeux écologiques que cela génère. Curieuse des savoir-faire manuels et intriguée par la matière et le volume, elle complète sa formation par un second Master à l’École Nationale Supérieure des Arts Décoratifs de Paris. En 2017, elle est diplômée du secteur Art et Espace, après avoir acquis différentes techniques de moulage, Lucie Douriaud poursuit son travail de sculpture dans un artist-run-space: l’Atelier W à Pantin, entourée d’artistes aux pratiques et univers variés. En 2018, Lucie Douriaud participe à plusieurs expositions collectives : Park en duo avec Dorian Cohen à l’Atelier W, ainsi que Loi Carrez et Cleptomanie Sentimentale, deux expositions d’appartement initiées par de jeunes artistes à Paris et à Lyon. Elle présente son travail à l’ABC de Dijon pour sa première exposition personnelle : Cycles en kits II. Lucie Douriaud participe à la 12ème Biennale de la Jeune Création à la Graineterie de Houilles. Elle a poursuivit son projet Plastossiles lors d’une résidence de recherches, créations et transmissions à Sainte-Rose, sur l’île de la Réunion, soutenu par les Ateliers Médicis. Lucie Douriaud est lauréate du programme de résidence Dijon/Dallas. Elle présente son travail à la Pollock Gallery à Dallas, puis au Frac Bourgogne de Dijon. Lucie Douriaud a été finaliste du Prix Dauphine Contemporain en 2019.
En quoi est-ce important pour vous de pouvoir montrer votre travail à l’occasion de cette résidence à la Villa Belleville en cette période de crise ?
C’est important à plusieurs titres. Tout d’abord cela me permet un regard et un retour sur le travail effectué dans ce contexte très confiné ici à la Villa Belleville. J’ai eu peu d’occasions de pouvoir exposer ces derniers mois aussi j’attendais avec impatience cette ouverture pour pouvoir aboutir et prendre des décisions finales sur certains travaux en l’occurrence mes sculptures. Les installer et les sortir d’un contexte de production pour les présenter, à la fois dans l’exposition et ici dans l’atelier suivant un système d’accrochage.
Votre processus de création
Je développe un travail de sculpture basé de façon quasi systématique sur du plâtre dans lequel j’incorpore des matériaux qui peuvent être de différentes provenance comme ici le plastique. Ils sont récupérés, collectés, recyclés, broyés, transformés en petites particules poudre que j’incorpore alors au plâtre. Ils vont donner alors une ligne esthétique directrice qui va jusqu’à orienter le sujet que je souhaitais aborder au départ.
L’installation « The Next Oil », accrochage d’atelier
Nous sommes face à une installation de 3 sculptures en plâtre et métaux inoxydables suspendus, inspirés d’une lecture d’un essai de Guillaume Pitron intitulé : « La guerre des métaux rares, la face cachée de la transition énergétique et numérique ». Il nous explique comment les énergies renouvelables nécessitent finalement encore et toujours l’extraction intensive de matières fossiles, les terres rares qui sont des minerais que l’on récolte en Chine notamment pour fabriquer les batteries des portables, les systèmes de panneaux photovoltaïques ou les éoliennes. Je me suis lancée dans une recherche géométrique, mathématique en essayant d’imaginer des formes de systèmes cristallins représentant une variété de terres rares. C’est ce qui m’a donné envie de travailler cette fois ci aussi avec des métaux.
Exposition collective de Henri Guette, que pensez-vous du résultat ?
C’est le commissaire Henri Guette qui a fait le choix des œuvres en dialogue. Il est toujours intéressant de sortir le travail de l’atelier, de l’entourer des travaux des autres et de le voir différemment. C’est toujours une expérience positive.
L’œuvre « Quand un océan meurt, une montagne naît », exposition collective
Il s’agit d’une installation constituée de nombreux tasseaux que j’ai fabriqué à partir de moulages en plâtre, de plastiques bleus et de coquillages broyés. Ces tasseaux ont les mêmes caractéristiques que ceux de l’industrie avec un format standardisé. Tous sont assemblés grâce à un système d’écrous et de tiges filetées, dans l’idée de reproduire une élévation. L’ensemble est auto-porté par une structure en bois brûlé. « Quand un océan meurt, une montagne naît » est un projet nourri par l’histoire géologique de notre planète et particulièrement par le soulèvement du plancher océanique et dont les sédimentations actuelles s’imprègnent de micro-plastiques.
Quelles étapes sont-elles décisives selon vous dans le parcours d’un artiste ?
Avant tout les rencontres dans différents lieux et contextes de notre parcours. Elles vont confirmer notre réussite future et intégration ou non à un marché et écosystème. Les Arts décoratifs ont été l’une des étapes de ce parcours au même titre que les Ateliers Médicis sur l’île de La Réunion ou l’Atelier W à Pantin.
Comment avez-vous vécu ce temps de confinement ?
En tant qu’ artistes nous sommes plutôt habitués au confinement. Nos pratiques d’atelier sont des micro-confinements permanents et nous sommes tous d’accord pour dire que l’on a besoin de ces temps d’isolement pour produire et créer à des fréquences oscillant entre 15 heures par jours ou 3 semaines par mois ou plus du tout ! Nous avons en quelque sort intégré ce mode de vie. Cependant la période a en effet été anxiogène pour tous et pour toutes les raisons que l’on connait. Personnellement j’ai pu grâce à cette résidence à la Villa Belleville, bénéficier d’un espace individuel qui m’a permis de travailler malgré le contexte et surtout d’expérimenter davantage. Même si la fréquence réduite des temps de visibilité ou de monstration pouvait être frustrante, c’était du temps gagné à pouvoir essayer des choses que parfois nous n’avions plus le temps de développer. Je pense qu’il y a du bon à prendre dans cette période malgré le frein sur des retours critiques sur le travail qui restent essentiels.
Place des réseaux sociaux pendant cette crise
Leur rôle a été évident, à prendre ou à laisser en fonction de nos personnalités respectives bien entendu. Nous sommes dans une société de l’image ouvrant à des possibilités fortes d’impact et de diffusion de notre travail.
En écoute : FOMO_Podcast 🎧
Site de l’artiste :
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