Rencontre avec Clément Nouet, Mrac Occitanie : Africa 2020, vie des collections et défis lancés par la crise

Exposition  »Distance ardente », au Mrac, Sérignan, 2020. Khalil Nemmaoui,  »Un instant avant… », 2020. Photo Aurélien Mole

La Saison Africa 2020 a souffert particulièrement de cette pandémie aussi c’est une chance de pouvoir se déplacer dans un musée qui participe à cette ambitieuse programmation comme le Musée régional d’art contemporain Occitanie, à l’invitation de son directeur par intérim Clément Nouet. « Distance ardente », projet emblématique et généreux en réponse à l’appel du Président Macron, propose un chemin vers la tolérance et le partage, lancé par le commissaire invité Hicham Daoudi au regard des tensions du passé qui ressurgissent violemment. Cet avenir commun est-il réellement possible suite à notre histoire commune ? A chacun d’en juger, c’est l’un des enjeux de ce parcours.

En parallèle le nouvel accrochage des collections que Clément Nouet a confié à la commissaire Jill Gasparina est une vraie réussite. Plus qu’une exposition thématique, c’est le dispositif scénique de chaque salle qui renvoie à des notions spatiales telles que la gravité zéro, l’architecture capsulaire, les écosystèmes fermés… mais sans jamais représenter directement l’espace. Empruntées à tout cet imaginaire cosmique qui nous dépasse et nous fascine, ces œuvres s’inscrivent dans la démarche des pionniers russes des années 1910-1920 (Malevitch ou El Lissitzky) jusqu’à des artistes de toutes générations tels que Nina Childress, Ida Tursic & Wilfried Mille, Mimosa Echard en passant par Robert Crumb, Roland Topor, François Morellet, Daniel Dezeuze ou Claude Viallat. Le graphisme y occupe une place de choix dans la dernière salle aux murs recouverts d’alphabets qui évoquent la science-fiction, le rétro-futurisme ou la culture pop.

Vue de l’exposition  »Distance ardente », au Mrac, Sérignan, 2020. Photo Aurélien Mole.

« Distance ardente » : point de départ et entrée en matière

Dans la pénombre du rez-de-chaussée du Mrac l’installation de Mohamed Arejdal masque les autres œuvres, comme des silhouettes fantomatiques qui surgissent d’une mémoire traumatique. « C’est nous les africains qui… » est constituée de costumes, réalisés d’après des photographies et des images d’archives d’anciens uniformes coloniaux des troupes d’Afrique du Nord ayant servi pendant la 2nde guerre mondiale. Ils sont suturés de fils bleus, blancs, rouges évoquant le drapeau français et la participation de ces soldats invisibles, victimes du phénomène de blanchiment des troupes, généralement occulté des livres d’histoire. Autre œuvre très forte « Pétrification » de Mustapha Akrim, des bleus de travail plongés dans du béton pour symboliser la main d’œuvre des ouvriers anonymes ayant participé à la reconstruction de la France. Ces vêtements sont comme des ruines dont la base s’effrite au sol à l’image de toute cette histoire qui est comme fossilisée et en train peut-être de disparaitre. En écho à ces vêtements pétrifiés, l’artiste Mustapha Akrim propose d’autres images oblitérées des ouvriers avec « Fragment (1) » œuvre réalisée à partir d’archives de souvenirs dissimulés sous une couche de plâtre. Cette seconde vague d’immigration dans les années 1960 est un autre moment clé de notre histoire. La crise sanitaire comme le précise le commissaire d’exposition Hicham Daoudi nous le fait encore plus ressentir quand on se trouve devant les portraits de l’artiste Khalil Nemmaoui, des photographies de médecins africains qui se retrouvent dans une impasse face à un manque de moyens qui leur fait choisir l’exil. C’est une nouvelle migration, volontaire cette fois, et aujourd’hui les statistiques montrent qu’il y a plus de médecins béninois en France qu’au Bénin comme le précise le commissaire de l’exposition. La question qui se pose alors est : l’Afrique peut-elle se relever tant qu’il y aura cette fuite de talents et de cerveaux ?

Vue de l’exposition  »Distance ardente », au Mrac, Sérignan, 2020. Photo Aurélien Mole

Après cette entrée en matière volontairement dure posée par Hicham Daoudi à travers trois temps de notre histoire commune, il nous faut à présent prendre les chemins des indésirables, traverser le désert (Diadji Diop, Fatiha Zemmouri), stationner dans le camp de rétention de Rivesaltes (Hassan Bourkia) pour envisager un nouvel horizon débarrassé des tensions accrues par les rumeurs virales. Ces petites phrases assassines qui prolifèrent sur les plateaux TV ou les réseaux sociaux comme le souligne Mariam Abouzid Souali avec « Le dernier débat ». Sa relecture des grands classiques de la peinture, ici la « Scène » de Léonard de Vinci, ramenés à des dysfonctionnements et déséquilibres contemporains est particulièrement subtile et efficace. Elle participe aussi à l’exposition « Zone Franche » proposée à l’Institut des Cultures d’Islam (saison Africa 2020). Mariam incarne les espoirs de cette jeunesse qui souhaite aller de l’avant et ne pas se concentrer uniquement sur les stigmates du passé comme avec « Un mariage en automne », ce couple mixte radieux qui avance vers un possible avenir.

Exposition  »Distance ardente », au Mrac, Sérignan, 2020. Mariam Abouzid Souali,  »Un mariage en automne », 2020. Photo Aurélien Mole

Programmation associée à Distance Ardente

Nous avons prévu une programmation culturelle très riche autour de l’exposition qui reste compromise dans le contexte que nous vivons.

Parmi les événements et sous réserve de l’évolution de la situation, nous proposons :

En mars-avril une Nuit du court métrage (en partenariat avec l’Ecole supérieure d’arts visuels de Marrakech), Deux live-set avec DJ marocains contemporains en partenariat avec la Scène de Bayssan à Béziers. Une visite avec le commissaire suivie d’une dégustation de vins marocains… et encore beaucoup d’autres événements et partenariats autour de l’exposition. 

A l’abbaye de Fontfroide dans le cadre de la manifestation IN SITU qui fêtera ses 10 ans l’artiste congolais Freddy Tsimba en hommage à Ousmane Sow a réalisé l’œuvre inédite « Immortel » suite à une résidence de création. Une coproduction du Mrac dans le cadre de « Distance ardente ».

J’étudie aussi une synergie possible avec la Halle Tropisme de Montpellier qui prévoit fin avril un festival sur trois semaines « United States of Africa » une Afrique à 360 mais tout dépendra des temporalités effectives des événements.

Exposition  »Distance ardente », au Mrac, Sérignan, 2020. Mohamed Arejdal,  »Univers relationnel », 2020. Photo Aurélien Mole

Pendant cette période, comment avez-vous saisi les enjeux du digital ?

Cette période nous oblige à nous adapter et à innover. Nous en profitons pour essayer de nouveaux formats. Nous avons par exemple réalisé une visite aérienne par drone de « Distance ardente » et de l’exposition de collection « La vie dans l’espace » pour proposer une autre vision des œuvres. Nous avons fait appel à un spécialiste qui travaille avec les monuments historiques et a su jouer littéralement avec les œuvres, le drone proposant des mouvements impossibles à une caméra. Nous avons développé notre communication digitale pour proposer des ateliers pour enfants, des visites d’atelier d’artistes confinés, des rêveries contées et des conférences en ligne avec des historiens de l’art et chercheurs, autour des deux expositions. Le MRAC a également ouvert ses portes aux artistes en résidence à La Cigalière, ces derniers investissant les salles d’expositions avec des créations inédites que nous avons fait partager au public grâce à des diffusions via les réseaux sociaux et plateformes numériques, les vidéos « passerelles ». Un dialogue entre spectacle vivant et arts visuels particulièrement apprécié de nos abonnés. Autant de projets afin de garder le lien avec nos visiteurs.

Quel projet portez-vous pour ce lieu ?

L’ouverture de la prochaine temporalité s’ouvrira au printemps ou en automne selon l’évolution de la crise sanitaire. Les visiteurs pourront ainsi découvrir le travail de Laurent Le Deunff et celui d’Anne et Patrick Poirier.  Suivra une exposition de Nathalie du Pasquier en co-production avec le MACRO de Rome. L’exposition à Rome qui aurait dû être inaugurée en novembre, vient juste d’ouvrir, le 02 février. Nous l’accueillerons au printemps/été 2022.

Dans le cadre du Prix Occitanie Médicis, le premier lauréat Abdelkader Benchamma a exposé au Mrac en 2019. En 2021 ou 2022 le musée offrira également ses salles à Noëlle Pujol lauréate de la 3ème édition. Artiste, réalisatrice, diplômée des Beaux-Arts de Paris et du Fresnoy – Studio national des arts contemporains, elle a bénéficié à la fin de l’année 2020 d’une résidence de trois mois à la Villa Médicis.

Autre projet qui me tient à cœur, le premier accrochage participatif du Mrac permettant de donner la parole à un groupe de personnes, en l’occurrence des patients de l’hôpital psychiatrique de Béziers. En associant la chorégraphe Mathilde Monnier à ce projet notre souhait est de générer une nouvelle lecture de nos collections, une exposition à part entière et une programmation culturelle dédiée. C’est un projet qui dépasse le cadre habituel d’une institution et pousse plus loin les champs du possible avec une résonance sociale forte.

Place du dépôt du CNAP dans votre programmation future

Ce projet remonte à plusieurs années. Mes liens d’amitié avec Sébastien Faucon qui dirige à présent Le musée de Rochechouart m’a permis d’initier ce projet, amorcé par Hélène Audiffren et activé par Sandra Patron. Cet important dépôt nous permet de présenter des accrochages aussi dynamiques que « La vie dans l’espace » et nous espérons pouvoir continuer notre collaboration avec le cnap.

Comment gérez-vous l’impact de cette crise ?

Nous continuons à travailler sur l’ensemble de nos projets même si la crise remet en permanence tout en question en termes de programmation par exemple. C’est difficile pour le musée mais surtout pour les artistes. Ils sont dans une situation fragile. Notre mission est de les soutenir et de les aider ! 

Infos pratiques :

Distance ardente

La vie dans l’espace

Expositions prolongées en 2021

Musée Sérignan d’Art Contemporain OCCITANIE/Pyrénées-Méditerranée – Musée régional d’art contemporain Languedoc-Roussillon (laregion.fr)