Guillaume Désanges / Gianni Pettena, Paper (Midwestern Ocean), performance-installation, 1971-2021, ISELP, Bruxelles © Isabelle Arthuis / Fondation d’entreprise Hermès
Avec « Forgiven by Nature », exposition personnelle de l’artiste et architecte italien Gianni Pettena, Guillaume Désanges poursuit le cycle Matters of Concern pour la Verrière-Fondation d’entreprise Hermès, dans une grande cohérence théorique et diversité de formes et de pratiques. Figure incontournable de l’architecture radicale, mouvement issu de la scène florentine en 1965 (Archizoom, Superstudio), Gianni Pettena s’en distingue pourtant dans une œuvre frondeuse et subversive à partir de gestes éphémères et réversibles au cœur de la nature. Une pensée écologique du faire basée sur l’apprentissage et la transmission, privilégiant l’observation plutôt que la construction. Des « architectures inconscientes » et mentales, sans projets en tant que tels, qui invitent à un renversement des assignations et catégories établies. Maisons recouvertes de glace ou de terre soumises aux aléas du vent et des saisons, mur qui respire et cabane recyclée sur l’île d’Elbe, pour vivre une expérience à la fois sensorielle et non domestiquée des éléments comme en témoignent les nombreux documents d’archives et photographies réunis dans l’espace de La Verrière. La 2ème partie du projet dans l’espace voisin de La Verrière, l’ISELP (Institut Supérieur pour l’étude du langage plastique) propose une réactivation de l’installation participative et historique « Paper ». Une première que nous décrypte Guillaume Désanges qui revient sur sa rencontre avec la pensée de cet artiste et poète militant, sorte d’ an-architecte et ses correspondances avec sa vision écologique du commissariat d’exposition.
Pourquoi le choix de Gianni Pettena et comment rejoint-il les enjeux de ce Cycle ?
Le travail de Gianni Pettena s’inscrit pleinement dans la thématique du cycle Matters of concern, qui entend se saisir de la question écologique par le commissariat d’exposition non pas en présentant des artistes qui dénoncent ou qui figurent la catastrophe à venir mais plutôt en privilégiant des pratiques alternatives qui envisagent non pas l’écologie en tant que sujet, mais plutôt une écologie de travail. Dès le début du cycle j’avais pensé à Gianni Pettena qui pose la question de la nature en lien ou en confrontation avec l’architecture, le rapport au paysage, ce qu’il appelle les architectures inconscientes ou les architectures sans architecte. Il y a chez lui une écologie de pratiquesqui aboutit à des formes relativement insaisissables : gestes, actions, dessins, photographies, expériences. Architecte qui ne construit pas, il a décidé malgré ses études d’architecture et son intérêt pour ce domaine, de ne pas rajouter du bâti au monde existant mais d’aller plutôt chercher comment habiter l’architecture différemment, notamment à travers l’utilisation de matériaux naturels, de projets éphémères, en pointant des phénomènes alternatifs. C’est pour toutes ces raisons que j’ai pensé à lui de manière évidente.
A quand remonte votre rencontre avec son œuvre et sa démarche ?
J’avais découvert l’installation Paper lors de l’exposition « The Death of Audience » curatée par Pierre Bal-Blanc à la Secession à Vienne en 2009 que j’avais trouvé très impressionnante, puis, j’avais présenté l’œuvre de Gianni Pettena à l’occasion d’une exposition que j’avais organisé avec la collection du Frac Ile de France en 2010, dans laquelle j’avais montré des architectures non conscientes. J’avais alors décidé de réactiver Papers au Centre Pompidou Metz en 2011 dans le cadre de « Erre Variations labyrinthiques » dont j’étais le co-commissaire. Lors de notre rencontre à cette occasion j’avais pu apprécier au délà de la richesse de son travail critique et formel d’architecture, une personnalité à la fois joyeuse et concernée par l’évolution du monde sans tomber dans une sorte de négativité.
Nous nous trouvons devant la pièce Human Wall, en quoi est-elle emblématique ?
Elle dessine la partie d’un mur de grandes dimensions : 4 mètres de haut sur 3 mètres de large, à partir d’une surface d’argile qui a plusieurs fonctions comme c’est généralement le cas chez Gianni Pettena. C’est à la fois une œuvre formelle d’apparence très picturale, et aussi un statement architectual au sens où la nature, via l’argile, qui est aussi un matériau de construction, revient dans l’espace d’exposition. Cette démarche est proche de l’arte povera et aussi du land art qui sont des mouvements plus ou moins concomitants de ces années. Il y a aussi une dimension plus subtile que l’on voit moins à première vue : des traces de main qui esquissent la construction manuelle de l’homme, sa marque. La terre va peu à peu reprendre sa forme et ces traces de main très visibles vont progressivement disparaitre, ce qui rejoint les critiques de l’artiste à l’encontre de l’architecture dominante et autoritaire. Une façon symbolique de montrer que la nature reprend ses droits sur l’humanité dans une sorte de réversibilité des choses. Enfin en dernière strate de lecture, nous sommes face à une œuvre vivante et incontrôlable, elle sèche et se craquelle à certains endroits suggérant une non maîtrise qui est très importante chez Gianni Pettena.
Gianni Pettena appartient au courant de l’architecture radicale et s’en démarque en même temps, pourquoi est-il moins connu que d’autres représentants ?
L’architecture radicale est une nébuleuse assez large, dont les accointances vont jusqu’à Rem Koohlas et d’autres architectes comme Hans Hollein. Parmi la scène issue de l’Ecole de Florence à la fin des années 1960, qui a donné son nom au mouvement, le groupe formé par Archizoom, UFO ou Superstudio a critiqué les bases mêmes de sa discipline, pour en dénoncer le caractère dominateur, déterminant et autoritaire qui contraint les individus plus que ne les sert. Gianni Pettena à la fois en fait partie et s’en distingue de plusieurs manières. Il est moins connu car il est plutôt solitaire dans le sens où il a toujours travaillé collectivement avec des étudiantes et des étudiants sans vouloir monter un groupe avec une signature stylistique comme c’est le cas de ses confrères. Il écrit sur un papier dans l’une des photographies célèbre de cette scène florentine « Je suis l’espion, Io sono la spia ». Il y a aussi chez lui un côté moins Pop, moins ironique et plus naturaliste et romantique, privilégiant un pas de côté vers la nature plutôt qu’une critique frontale de l’urbanisme, tout cela sans forme repérable.
La 2ème partie du parcours à l’ISELP avec la réactivation de Paper : partenariat et enjeux
Avec l’ISELP nous entretenons des relations de compagnonnage plus que de partenariat et depuis longtemps. J’y ai donné plusieurs conférences et nous avons proposé plusieurs actions de médiation en commun. L’idée cette fois est de proposer une exposition en deux parties. Le bâtiment de l’ISEP très grand et assez complexe sur deux étages, est totalement envahi par la vaste installation historique et pénétrable Paper, datant de 1971 qui est réactivée et bouleverse l’espace à travers des bandes de papier qui viennent à la fois l’occulter et recréer un autre parcours, une architecture faite par le public à l’aide de ciseaux ce qui va à l’encontre d’une architecture pensée extérieurement par une quelconque autorité.
En écoute : FOMO_Podcast
A suivre en complément : Interview avec Adrien Grimmeau, directeur de l’ISELP
Infos pratiques :
Gianni Pettena, Forgiven by Nature
Jusqu’au 13 mars
La Verrière Hermès
Boulevard de Waterloo, 50
Bruxelles
L’ISELP
Entrée libre, du mardi au samedi de 11 à 18h
Bd de Waterloo, 31
Bruxelles
En savoir plus :
Le Cycle Matters of Concern »
Actualités de la Fondation d’entreprise Hermès :
Expositions, Académie des Savoirs-Faire 2021 : Le verre, Résidences d’artistes, New Settings
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Prochaine exposition à La Verrière : Majd Abdel Hamid
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Relire mon précédent interview de Guillaume Désanges :