Simon Baker, directeur MEP Paris, photo : Emmanuel Bacquet
La remarquable exposition Moriyama- Tomatsu orchestrée par Simon Baker, n’a pu ouvrir. C’est un véritable crève-coeur tant ce dialogue entre le mentor et son disciple à partir de 400 oeuvres des années 1950 à nos jours dans une scénographique très originale, est une traversée unique autour d’une même passion : Tokyo et ses marges.
Simon Baker alors qu’il était conservateur à la Tate avait déjà exposé Moriyama (Farewell Photography) dont il est un fin connaisseur. Il revient sur la genèse de ce projet conçu avec l’artiste et la veuve de Shomei Tomatsu alors que le Studio consacré à l’émergence accueille le plasticien, danseur et chorégraphe Smaïl Kanouté, avant que la performeuse et photographe Mari Katayama qui nous avait beaucoup émue lors de la dernière Biennale de Venise, ne dévoile sa nouvelle série « In the Water ».
Simon Baker poursuit les jalons qu’il engage pour la MEP et insiste sur sa vision du medium photographique élargi à d’autres pratiques, à l’heure où l’impact de cette crise ne cesse de bousculer programmations et certitudes.
Dans le cadre de la Saison Africa2020 la MEP consacrera la première rétrospective majeure à l’artiste et activiste sud-africain-e Zanele Muholi, l’un des temps forts très attendus, dont les dates ne sont pas encore malheureusement définies. Parmi les leçons probantes de cette période, les Masterclass en ligne ont remporté un vrai succès.
Anglais, Simon Baker nous expose également les conséquences du Brexit sur le monde de l’art.
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Texte de l’interview :
Lancement « fantôme » de cette saison 2 alors que les musées ne peuvent rouvrir, quel est votre état d’esprit ?
J’avais anticipé au vu de la non diminution du seuil de 5000 cas/jours annoncé par le Président Macron que la réouverture serait difficilement envisageable dès la mi-décembre. Même si j’étais très enthousiaste à l’idée d’envisager une réouverture, je ne trouvais pas cela réaliste en cette période même si nous étions prêts à accueillir le public. N’étant pas optimiste cela n’a dont pas été véritablement une déception pour moi, même si j’ai constaté qu’autour de moi, pour mes collègues et mon équipe toutes ces questions d’ouverture ou non, de reconfinement…commençaient à peser sur le moral. Ce deuxième confinement a été plus dur car on ne perçoit pas de solution possible à part la stratégie du Stop and go jusqu’à un vaccin, ce qui est assez déprimant à la longue.
Retour sur la genèse de ce projet inédit Moriyama-Tomatsu dont vous êtes le commissaire
Lors d’un séjour à Tokyo il y a quelques années j’ai posé la question à Daido Moriyama avec qui je travaillais depuis un moment, de savoir s’il avait encore une envie non réalisée à l’âge de 91 ans et il m’a répondu qu’il avait commencé un projet d’exposition commune avec Tomatsu alors encore en vie en 2010, sur la ville de Tokyo, malheureusement inachevé. Il m’a alors proposé de réaliser à la MEP cette exposition mythique, ce que j’ai tout de suite accepté. Son respect et admiration pour Tomatsu étaient immenses et il a saisi cette opportunité comme un hommage. Il m’a alors accompagné avec son galeriste à Tokyo et au fil de ses échanges avec la veuve de Tomatsu, conçu sa propre scénographie et s’est beaucoup investi personnellement. C’est une vraie chance pour nous car Moriyama a déjà été exposé à Paris plusieurs fois ce qui n’a jamais été le cas pour Tomatsu dont il nous propose une entrée dans son univers autour de ce qui les rapproche.
Accent mis sur l’émergence à travers le Studio et l’exposition actuelle et prochaine, en quoi est-ce une dimension importante à vos yeux d’un medium ouvert et élargi à d’autres pratiques ?
J’ai lancé le Studio en mars 2019 autour d’expositions d’artistes émergents toujours en lien avec la programmation générale et dans une approche pluridisciplinaire. Si l’on songe à des artistes comme Erwin Wurm ou Daido Moriyama et leurs tentatives de sortir de la photographie par le biais de la sculpture, de la sérigraphie…, dans une perception historique déjà très présente, aujourd’hui les artistes n‘ont pas les mêmes (how do you say ?) barrières, catégories entre les mediums. Les artistes se revendiquent d’abord comme artistes plutôt que photographes, peintres, danseurs,.. Ils utilisent les mediums dans une grande liberté et pluridisciplinarité, ce qui à mon avis est l’avenir, même si la photographie reste la base et la vocation de la Mep. Les artistes ont de plus en plus besoin de sortir de leur zone de confort, « confort zone » comme on dit en anglais, et nous devons refléter cette tendance. Les deux expositions du Studio en sont le parfait exemple. Le premier est une vidéo de Smaïl Kanouté, artiste mais aussi chorégraphe, danseur, cinéaste, photographe, qui renouvelle tous les codes d’expression et l’exposition suivante dédiée à Mari Katayma à la fois styliste, danseuse, sculptrice, performeuse, pratiques dont elle se nourrit pour arriver à ses photographies. On ne peut donc limiter son travail à de la photographie. C’est vraiment un constat que l’on fait face aux artistes de cette génération, (à partir des années Thatcher), de moins en moins susceptibles d’exposer uniquement de la photographie. J’ai vu d’ailleurs il y a quelques jours une annonce autour du photographe Raphaël Dallaporta que j’apprécie beaucoup dont l’œuvre proposée est une conversation avec lui (Photo Days), plus comme le ferait Marina Abramovitch que Josef Koudelka ! Les limites ont été énormément repoussées.
En ce qui concerne la programmation, comment allez-vous vous organiser en ce qui concerne notamment Zanele Muholi dans le cadre de la saison Africa2020 ?
L’exposition est une itinérance et actuellement proposée à la Tate Modern même si cette dernière est actuellement fermée. Paris est l’une des étapes de cet ambitieux projet dans une année qui a rendu très difficile sa réalisation. Nous sommes à chaque confinement obligés de renégocier les dates et réorganiser chaque programmation… Faire, défaire et refaire sans cesse. Mais pour l’instant notre saison de Tokyo se prolonge jusqu’au 21 mai, ce qui nous l’espérons donnera assez de latitude pour pouvoir rester flexibles en cas de nouveau confinement et arriver à l’exposition de Zanele Muholi en juin comme prévu.
La MEP vient d’acquérir un ensemble important d’Irving Penn
La MEP avait déjà un lien très fort avec le photographe tout au long de sa vie et il a été exposé à plusieurs reprises et nous possédons l’une des plus importantes collections publiques en Europe. Quand j’ai accepté cette mission à la MEP, très vite après Tom Penn m’a contacté pour m’exposer son rêve d’un fonds Penn à la MEP comme une mini rétrospective et des prêts hors les murs, ce qui avait du sens selon lui étant donné la collection déjà existante. Nous avons alors commencé nos échanges et regardé la liste ensemble à partir de ce qu’ils avaient dans leur fondation. Nous sommes arrivés à ce que l’on appelle une « charity sale » c’est-à-dire que la MEP n’a payé qu’un petit pourcentage de la valeur des tirages et nous avons lancé une campagne de fundraising avec nos mécènes, une fondation suisse et le soutien de la ville de Paris pour arriver à une centaine de tirages représentant chaque période de son travail : couleur, noir et blanc, argentique.. L’idée est donc de pourvoir proposer une itinérance ailleurs.
Paris Photo annulé, reports en cascade.. le tribut à payer de cette crise par le monde de la photographie est très lourd, quelles solutions pourraient se dessiner selon vous ?
Lors du premier confinement nous avons été très présents sur les réseaux sociaux avec des activités pédagogiques pour les familles et le jeune public et aussi d’autres publics avec une offre qui doit évoluer à présent car lors de ce 2ème confinement les gens ne sont pas restés confinés tout le temps à la maison. Nous avons tout de même maintenus nos propositions avec par exemple les Masterclass en ligne qui ont remporté un vrai succès avec 250 élèves à chaque session. Nous avons invité les artistes à s’exprimer en rétribuant leurs interventions et nous avons aussi lancé des performances et commandes spéciales pour les soutenir pendant cette période. Il était important en plus d’offrir des contenus en ligne étoffés à nos abonnés, de manifester une solidarité vis-à-vis des photographes et artistes.
L’Angleterre s’apprête à entrer dans le vif du Brexit, quelles conséquences sont à attendre selon vous en ce qui concerne le monde de l’art et la vie des gens ?
Il est encore difficile de connaitre le détail car les anglais ont peu communiqué dessus mais à un niveau professionnel nous savons déjà bien faire la différence entre envoyer des œuvres à l’intérieur de l’Union Européenne et à l’extérieur. Par exemple quand on fait un transport du Japon en France les entreprises connaissent les modalités. Les questions de transport, TVA et taxes vont à mon avis être réglées assez vite même s’il reste un grand risque d’attente aux frontières comme dans le Kent, région dont je suis originaire qui va être totalement envahie par les camions après leur traversée de la Manche.
Il faudra juste que l’on se donne plus de temps pour les transports et le traitement des documents officiels. C’est comme pendant le COVID quand tous les vols ont été annulés et qu’il est devenu compliqué de faire venir les œuvres de l’étranger, nous avons dû nous adapter face à des créneaux qui étaient beaucoup moins précis.
Personnellement je suis assez rassuré car le gouvernement français a établi un permis de résidence très facile à remplir, et heureusement car sinon cela deviendrait impossible si l’on compare à l’attitude agressive des anglais vis-à-vis des étrangers dans leur pays. Ce qui va sans doute être plus compliqué sont les courts séjours et week-ends avec l’Angleterre. Les allers et retours vont être plus chronophages.
En ce qui concerne des foires comme Frieze je ne suis pas sûr que les européens soient le plus grand marché face aux américains, russes, chinois ou américains du sud. Beaucoup d’européens ont obtenu un permis de séjour à Londres donc je ne sais pas si cela va être si compliqué. Pour ce qui est de Paris malheureusement et ma copine qui travaille dans la mode le sait, les clients chinois qui forment 80% du secteur, peuvent changer leurs habitudes et décider de ne plus faire leur déplacement annuel à Paris qu’ils adorent : prendre un palace, dîner au Crillon… avec cette vision rêvée de la capitale qui peut rapidement être concurrencée par d’autres villes comme Shangai.
Le Covid a en fait créé de nouvelles habitues et les gens vont beaucoup moins se déplacer et voyager, ce qui va avoir de nombreuses incidences économiques mondiales et pas uniquement dans l’art.
Infos pratiques :
Moriyama-Tomatsu : Tokyo
Smaïl Kanouté (Studio)
Réouverture le 7 janvier (sous réserve)