Xavier Franceschi, Ouverture (décalée) des Réserves, Frac Île-de-France Romainville 🎧

Frac Île-de-France Les Réserves/Freaks architecture crédit photo Martin Argyroglo

« Si cette crise s’inscrit dans la durée, nous aurons à nous réinventer »

Directeur du Frac Île-de-France, Xavier Franceschi devait ouvrir le nouveau bâtiment des Réserves à Romainville au sein du nouveau pôle art contemporain Est ensemble et écosystème Komunuma. Le confinement est passé par là obligeant à décaler la programmation d’ouverture qui accompagne le concept inédit de partage au public de la vie des collections, chacun pouvant choisir une œuvre pour amorcer un dialogue singulier. Une approche tout à fait nouvelle qui a définit l’ensemble du chantier et du bâtiment signé Freaks architectes. Cette ouverture devait donner la part belle aux enfants des communes proches de Romainville autour de l’activation et la performance d’œuvres sonores. Une autre manière de valoriser la collection dont les différents métiers seront visibles en permanence par le biais de dispositifs architecturaux et rendez-vous proposés. Au-delà de la déception des équipes et de la fermeture également de l’exposition David Douard au Plateau, Xavier Franceschi, qui entend jouer la carte du virtuel comme lors du premier confinement, souligne le caractère beaucoup plus grave d’une incertitude qui s’installe de façon durable avec l’apparition de nouveaux virus dont l’impact sera sans commune mesure sur nos vies et les artistes, toujours plus menacés.  

Vue de l’exposition David Douard O’ Ti’ Lulaby – Frac Île-de-france/Le Plateau Courtesy de l’artiste et Galerie Chantal Crousel, Paris crédit photo Martin Argyroglo

Impact du reconfinement sur l’exposition David Douard au Plateau qui se trouve mise en veille

L’exposition est effectivement mise en veille et cette expression correspond bien à la situation car si vous passez devant les espaces du Plateau vous pouvez quand même voir quelques œuvres lumineuses que l’on a à dessein laissées activées. Un signal pour dire aussi que l’on attend avec impatience la possibilité de rouvrir. L’exposition ne va pas être amputée de ce temps et l’on va décaler sa fin pour laisser au public la possibilité de la découvrir selon le calendrier initialement prévu de 2 mois ½.

En termes d’organisation comme lors du premier confinement le télétravail est privilégié et l’on s’organise pour que tout le monde puisse poursuivre ses tâches quel que soit le profil d’activité.

Vue de l’exposition David Douard O’ Ti’ Lulaby – Frac Île-de-france/Le Plateau Courtesy de l’artiste et Galerie Chantal Crousel, Paris crédit photo Martin Argyroglo

Avec quels objectifs et cahier des charges a été conçu ce nouveau bâtiment construit à l’initiative de la Région Île- de-France et cofinancé par le ministère de la Culture ?

L’objectif premier était de pouvoir conserver cette collection de 1960 œuvres dans les meilleures conditions, l’élément fondamental du cahier des charges étant de respecter une surface utile pour pouvoir accueillir l’ensemble de la collection, définie à 2000m².

Le deuxième aspect était d’imaginer une ouverture au public, une dimension qui a toujours été présente au fil des projets évoqués pour, au-delà du stockage, donner à voir la collection et ses réserves. Le projet a pris forme dans un contexte particulier du nouveau pôle d’art contemporain de l’Est parisien à partir de cette ancienne friche industrielle, site historique de Roussel-Uclaf maintenant Aventis, sorte de ville dans la ville avant que le groupe immobilier Fiminco ne rachète le site pour y développer un projet culturel. Une première partie du site a été réhabilitée pour accueillir la Fondation Fiminco, des galeries, l’association Jeune Création, la Parsons School…

En ce qui concerne le Frac il s’agit du seul bâtiment nouvellement construit avec Freaks architectes. Ce bâtiment s’inscrit sur une parcelle dont les contraintes impliquaient de construire tout en longueur et sur 3 étages.

En ce qui concerne l’ouverture au public, j’ai regardé ce qui se faisait en France, en Europe et ailleurs et ai opté pour une solution somme toute assez simple : plutôt que d’aller vers des « réserves visitables », sorte de cliché dès qu’on parle d’ouverture de réserves, délimiter un espace de 400m², soit 25% de la surface du bâtiment pour offrir la possibilité au public de voir des œuvres régulièrement présentées. Au-delà de cette possibilité offerte au public, il y a une logique globale du projet de rendre visible, du moins perceptible toute l’activité dans les réserves, soit l’activité de la conservation de la collection, de la gestion de la collection et sa diffusion, notamment hors les murs dans des lieux pas forcément dévolus à l’art selon la vocation même d’un Frac. Au niveau architectural ont été prévues une série de vues à partir de ces espaces ouverts au public sur les réserves attenantes et il y aura toute une série de rendez-vous avec le public autour des métiers afférents à cette collection.

Retour sur la programmation d’ouverture Children Power, pour l’instant ajournée

Ce projet en plusieurs volets autour du thème de l’enfance se décline dans chacun des lieux du Frac, le premier à Romainville pour l’ouverture (entre novembre et janvier), le 2ème au Plateau (fin janvier à avril) et le 3ème au Château de Rentilly (de mars à juillet). Tout le calendrier est bouleversé et nous sommes dans l’expectative, ce qui s’avère assez complexe concernant ce premier volet à Romainville avec de nombreux partenariats engagés notamment avec des écoles, des conservatoires.

Le programme inaugural Les Réserves prévoit des dispositifs inédits plaçant les enfants au cœur du processus dans les espaces vides des futures réserves :

-D’une part, le Frac propose à des enfants d’une classe de CM2 et de sixième de Romainville de s’emparer de la collection en y effectuant le choix d’un ensemble d’œuvres destinées à être présentées lors du premier accrochage qui marquera l’ouverture du bâtiment.

-De plus, le Frac Île-de-France a dans sa collection plusieurs dispositifs d’exposition conçus par des artistes et permettant de présenter d’autres œuvres et d’investir tout type d’espace. Cet ensemble, unique au sein d’une collection publique, sera activé par les enfants, dans le cadre du travail mis en place avec l’équipe des publics du Frac.

-Enfin, des œuvres musicales et partitions de la collection seront activées par des groupes d’enfants et adolescents de 7 conservatoires du territoire Est Ensemble comme : Pierre Huyghe, Silence Score (1997) ; Anri Sala, A Spurious Emission (2007) ; Société Réaliste, Single Party Anthem (2013) ou Thu Van Tran, Arirang Partition (2009).

Exposition Interprète – Frac Île-de-France, Le Plateau ©Thu Van Tran. Photo Martin Argyrogo
Children Power, Frac Les Réserves, Romainville 

-Au Plateau, fin janvier, une exposition sera conçue exclusivement pour les enfants (interdite aux plus de 18 ans) et les artistes produiront des œuvres spécialement pour eux dans des jeux d’échelle et de scénographie avec notamment Michel Blazy, Anne Bourse, Pierre Paulin, Jean-Charles de Quillacq, Ulla von Brandenburg ou Richard Fauguet.


Didier Trenet, Extra Muros, 2007,collection Frac Île-de-France© Didier Trenet / Adagp, Paris/ 2020
Children Power, Frac Les Réserves, Romainville 

-Au Château, Children Power 3 prendra la forme d’une exposition sur l’enfance autour de grands photographes et vidéastes tels que Diane Arbus, Henri Cartier-Bresson, Helen Levitt, Barbara Probst…

« Sors de ta réserve ! », un dispositif inédit

Dans cette logique que le public soit au plus près du réel de l’activité et des œuvres elles-mêmes, nous avons cherché à amplifier l’expérience en lui offrant la possibilité de choisir les œuvres qui vont lui être présentées à travers le projet « Sors de ta réserve ! ». Même si cette idée n’est pas nouvelle en soi, plusieurs éléments changent la donne par rapport à ce qui a pu déjà être envisagé. Tout d’abord nous disposons d’éléments, d’outils numériques toujours plus sophistiqués : notre site internet qui donne la possibilité d’avoir accès à la base de données de la collection et ce de façon exhaustive, auquel nous avons ajouté à l’intention d’un public non expert, un certain nombre de guides et de supports pour entrer par plusieurs biais dans la collection. Ce projet sur lequel nous sommes en train de travailler aura une première occurrence lors de l’inauguration à l’occasion du commissariat confié aux deux classes d’enfants de Romainville, comme cité précédemment.

Dana Wyse, Kamloops : objets trouvés dans mon cœur,Vitrine et objets divers issus de lacollection de l’artiste,2002,collection Frac Île-de-france ©Dana Wyse
Children Power, Frac Les Réserves, Romainville 

Vos réflexions personnelles sur cette crise qui frappe de nouveau le secteur de la culture 

D’un côté nous avons l’expérience de ce premier confinement pour pouvoir réagir et rester force de proposition en donnant à voir les œuvres des artistes, ce qui est notre mission première, à la fois dans le suivi des projets déjà engagés et la conception de nouveaux projets sur supports de diffusion numérique comme nous l’avions fait par exemple avec le « Bureau des confinés » imaginé ce printemps avec l’équipe. Mais d’un autre côté, même si l’on annonçait à l’époque qu’une 2ème vague pouvait survenir, on avait du mal à imaginer que nous aurions à revivre un nouveau confinement, que nous serions confrontés à un autre rapport au temps avec une crise qui s’installe dans la durée. C’est désormais le cas. On peut du reste se demander si ces crises ne seront pas à répétition à l’avenir, le fameux « s’habituer à vivre avec le virus » nous incitant à le penser fortement. Si c’était le cas, si cette forme de crise, si extraordinaire qu’elle était, s’inscrivait durablement dans notre quotidien, nous aurions nécessairement à évoluer, à nous réinventer. Le problème, c’est qu’au passage, les artistes trinquent, ils sont les premiers à en faire les frais. La précarité que la crise au printemps avait révélée est évidemment toujours là et s’amplifie à mesure que ladite crise s’étend. Il faut absolument que les pouvoirs publics en prennent conscience – je crois du reste que c’est le cas pour nombre d’entre eux – et que des mesures efficaces soient prises à cet égard. Lors d’une interview au printemps dernier, j’avais dit que, déjà, les budgets consacrés à la culture devaient être sanctuarisés. Je pense que c’est on ne peut plus vrai aujourd’hui et que les institutions qui en premier lieu soutiennent les artistes, formant ce fameux écosystème si exceptionnel en France, doivent être plus que jamais renforcées.

C’est vital pour les artistes.

En écoute : Podcast

Xavier Franceschi © Martin Argyroglo

En savoir plus :

Ouverture des réserves ! – frac île-de-France

Children Power 1,2, 3

www.fraciledefrance.com

Suite aux nouvelles mesures gouvernementales prises pour lutter contre l’aggravation de la crise sanitaire, l’ouverture des Réserves du Frac Île-de-France ne pourra malheureusement pas avoir lieu le 27 novembre, comme initialement prévu. Dès qu’il sera possible, une nouvelle date d’ouverture sera communiquée et nous ne manquerons pas de vous tenir au courant.