Alain Fleischer : 1000 vies photosensibles au Centquatre

Alain Fleischer, la Traversée des apparences, 1988

Pour moi, les images de la photographie sont des revenances, elles permettent de faire revenir les êtres. Alain Fleischer

Dans le taxi qui nous ramenait du Fresnoy à la gare de Lille, Alain Fleischer m’avait confié ce projet d’exposition à l’invitation de son ami José Manuel Goncalvès. Si Jean-Luc Monterosso, directeur de la Maison Européenne de la photographie lui avait proposé une exposition en 2003 intitulée : « La vitesse d’évasion » accompagnée d’un catalogue co-édité par le Centre Georges Pompidou et la Maison Européenne de la Photographie, elle n’avait pas l’ampleur de cette carte blanche dans tout le Centquatre sur 2500 m².

Alain Fleischer, Ecran sensible. La lettre étape de la fixation.

A la manière d’un Deus Ex Machina il transforme alors ce lieu chargé d’histoire en caisse de résonnance ou boite de pandore autour de cette obsession qu’il n’a de cesse de poursuivre : les images et leur régime d’apparition et de disparition suivant un dialogue ininterrompu avec des penseurs comme Walter Benjamin, Aby Warburg, Roland Barthes ou Claude Lévi-Strauss dans le prolongement de ses études universitaires.

Alain Fleischer, la Nuit des visages 1992

A ses côtés dans l’aventure deux compagnons essentiels : sa compagne, Danielle Schirman présente à chaque instant de pensée et création (les fameuses dictées) et Dominique Païni. Si on avait presque oublié qu’Alain Fleischer est tour à tour plasticien, photographe, écrivain, philosophe, cinéaste tellement son rôle au sein de la prestigieuse école du Fresnoy créée en 1989 et devenue une forme d’utopie en marche qui a pu occulter le reste, cette traversée sensible agit comme un puissant révélateur. Certaines oeuvres déjà vu prennent ici une cohérence dans un continuum très singulier. Une vision pour commencer dans le grand hall : cet aquarium en forme de tube avec poissons rouges qui traverse une cage à oiseaux peuplée de perruches, tandis qu’une rangée de vieux meubles laisse échapper des sons et des images. Le ton est donné et il s’agit bien de bousculer nos attentes à rebours d’une rétrospective habituelle.

vue de l’exposition Alain Fleischer CentrQuatre Photo Quentin Chevrier

Prospectif, Alain Fleischer imagine en permanence des expérimentations nouvelles autour du medium photographique dans des mises en abyme infinies. Comme un dédale de miroirs et de temporalités qu’il nous faut franchir. « Enfant je voulais devenir explorateur » déclare Alain Fleischer qui a ainsi réalisé son rêve tel un chercheur motivé par le doute et la curiosité. « Le Voyage du brise-glace » prend ainsi des allures de petit théâtre d’ombres au milieu d’un flux d’images d’oeuvres célèbres de l’histoire de l’art, tandis que « Autoportraits sous le masque » et « Papiers d’argents » , conçues avec une grande économie de moyens à partir d’empreintes d’objets moulés dans du papier aluminium alimentaire ou de son propre visage par l’infatigable Danielle.

Alain Fleischer, Autoportaits sous le masque 1992 vue de l’exposition CentrQuatre Photo Quentin Chevrier

Et l’on déroule le fil rouge amoureux qui précède à toute inspiration, ce désir qui parcourt le corps de la femme et surgit dans les plis froissés des « Hommes dans les draps » , les vénus confisquées de « Happy Days», la chambre solitaire de « Dehors-Dedans» ces tours et détours de l’intime qui basculent dans les « Exhibitions» érotiques et pornographiques projetées sur les façades de nos cités.

Le masque, le corps, le reflet, le miroir ou l’illusion sont autant de thèmes qui le hantent dans un éternel recommencement.

Alain Fleischer, Le Voyage du brise-glace 1982 (détail)

Mais ne s’agit-il pas toujours d’une même mélancolie face aux tourments du XXème siècle et errements de cette Mitteleuropa qui coule dans ses veines : les guerres avec « le Regard des morts » , ces visages vacillants des soldats ou la shoah esquissée dans « A la recherche de Stella » et qui le rapproche de Christian Boltanski. Et que dire des momies de Palerme qu’il ressuscite? Une vaine tentative ou rassurante présence… Je ne suis qu’une image répète en boucle le tourne- disque avant de recracher des squelettes d’animaux. On se croirait dans Citizen Kane même si son Rosebud : « Premier Regard-Dernier Regard» reste vertigineux. Vous irez « Nowhere » scande le néon, nous étions prévenus ! La marque sans doute d’un génie intranquile qu’il était temps de révéler.

Biographie complète d’Alain Fleischer :

https://www.lefresnoy.net/fr/Le-Fresnoy/AlainFleischer

Infos pratiques :

Alain Fleischer

L’Aventure générale

https://www.104.fr/

En attendant la réouverture on peut écouter le Podcast de l’exposition ou relire certains ouvrages de l’artiste.

Prochainement : Sortie de son recueil de nouvelles, Petites histoires d’infinis.